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II observe de plus que Virgile vivoit sous un prince ami des formes religieuses, et qu'étant initié lui-même il n'auroit pas toléré une semblable profanation. Horace ne regarde-t-il pas cette révélation comme un sacrilège ?

Vetabo qui Cereris sacrum

Vulgàrit arcanæ sub iisdem
Sit trabibus:

Je me garderai bien de loger sous mes toits

Celui qui de Cérès a trahi les mystères.

VOLT., vol. 41 de l'édit de Kell en 70 vol.

Comment le sage Virgile se seroit-il permis un attentat qui alarmoit si fort Horace? Observons d'ailleurs que ces dogmes d'une vie future, et des peines et des récompenses qui attendoient le crime et la vertu dans le Tartare et l'Élysée, étoient des dogmes fort populaires, et répandus chez toutes les nations avant Virgile : quel besoin avoit-il donc, pour les chanter, de se rendre coupable aux yeux de ses compatriotes, en profanant le secret des mystères ? Si Warburton avoit eu un goût égal à son érudition, il auroit su que ce n'est point sur le système obscur de quelques initiés, mais sur les croyances vulgaires, qu'un poëte épiqne doit fonder l'intérêt de ses fictions. Virgile a vraisemblablement traité ce sujet par un motif tout contraire à celui que suppose Warburton. Loin d'apporter une

doctrine cachée et nouvelle, il vient opposer une doctrine antique et connue à celle d'Épicure, qui s'étoit introduite jusque dans le sénat, et qui, selon Montesquieu, contribua beaucoup à gâter le cœur et l'esprit des Romains (1) vers la fin de la république. Il est évident, pour tout homme de bonne foi, que Virgile ne fait qu'expliquer en beaux vers les idées de Pythagore et de Platon, et pour cela qu'on appeloit ce poëte le Platonicien. On trouve à la fin de la République du philosophe gree une fable allégorique où l'auteur de l'Eneide a visiblement puisé le fonds de ce sixième livre.

c'est

Cette fable est racontée par Socrate, qui certainement ne la devoit pas aux prètres de Cérès, pour lesquels on l'accusoit d'avoir tant de mépris. Le philosophe suppose qu'un guerrier arménien, nommé Her, ressuscita douze jours après sa mort, et qu'interrogé sur ce qu'il avoit vu dans cet intervalle, il fit à peu près ce récit :

« Aussitôt, dit-il, que mon ame eat abandonné mon » corps, elle s'avança, dans la compagnie de plusieurs » autres qui la reconnurent, vers un séjour tout à fait » merveilleux, où nous vîmes dans la terre deux ouver>>>tures voisines, et deux autres au ciel qui répondoient

(1) Grandeur et Décadence des Romains, ch. 10.

» à celles-. Des juges étoient assis entre ces ouvertures » mystérieuses; et, dès qu'ils avoient prononcé leur sen» tence, ils ordonnoient aux justes de prendre leur route » à droite par une des ouvertures du ciel, et aux méchans » de prendre leur route à gauche par une des ouvertures » de la terre. On m'ordonna de remarquer avec soin le » spectacle que j'avois sous les yeux, pour l'instruction des » hommes que je devois bientôt rejoindre.

» Je vis d'abord les ames de ceux qu'on avoit jugés » monter tour à tour au ciel ou descendre sous la terre » par les deux premières ouvertures qui se répondoient, » tandis que, par la seconde ouverture de la terre, je » vis sortir des ames couvertes de fange et de poussière, » et par la seconde ouverture du ciel descendre des ames » pures et sans tache. Elles paroissoient toutes venir d'un » long voyage, et s'asseoir avec plaisir dans une prairie » délicieuse où je les contemplois. Plusieurs de ces ames » voloient à la rencontre les unes des autres, en poussant » des cris de joie ou des gémissemens. Elles se retrou» voient après une séparation de mille ans. Celles qui » avoient passé ce long temps de leur voyage sous la terre, » versoient des larmes au souvenir des maux soufferts; » mais celles qui descendoient du ciel racontoient des » merveilles inouies, et montroient une joie ineffable

» dont nous n'avons pas même l'image ici-bas. En un » mot, chaque peine et chaque récompense dans ces » deux mondes divers étoient dix fois plus grandes que » le crime puni ou que la vertu récompenséc. A la tête » des justes sont les hommes qui ont honoré les dieux, et » leurs pères comme les dieux. Des supplices extraordi>> naires attendent les impies et les parricides; les grands » criminels même après mille ans n'ont point achevé leur »-expiation. L'une de ces ames (c'étoit celle d'un tyran » de Pamphylie) attendoit sa délivrance au bout de ce » long terme de douleurs; mais, au moment où elle se » préparoit à sortir, l'ouverture en se refermant lui refusa » le passage avec un mugissement horrible. A ce bruit, » qui fit trembler toutes les ombres, accoururent des » ministres de la mort, des spectres infernaux, qui ressai» sirent cette ame deux fois condamnée, et l'entraînèrent » dans l'abîme. Quand ces ames eurent passé sept jours » dans la prairie, elles en partirent le haitième, et s'éle» vèrent dans une région éclatante de lumière. Là, huit >> cercles brillans d'or, entrelacés les uns dans les autres (1),

(1) Ces huit cercles figurent les divers cieux des sept planètes. et celui des étoiles fixes, Ici on a abrégé Platon, parce que toutes ees allégories astronomiques n'ont point été imitées par Virgile.

» sont suspendus au fuseau de la Nécessité, qui donne le » branle à toutes les révolutions célestes.

>> Sur chacun de ces cercles inégaux est portée une sirène » qui tourne avec lui, et qui chante à haute voix, mais >> sur un seul ton. Des huit tons divers que font entendre >> ces sœurs immortelles se compose l'harmonie parfaite » qui réjouit éternellement l'oreille des dieux.

» A l'entour du fuseau, et à des distances égales, sont » assises sur des trônes les trois parques, filles de la » Nécessité, Lachésis, Clothon et Atropos, vêtues de » blanc et le front ceint d'une couronne. Elles mêlent >> leurs voix à celles des sirènes; Lachésis chante le passé, » Clothon le présent, Atropos l'avenir. Tout à coup un » génie ailé appela toutes les ames devant Lachésis. II » prit sur les genoux de la parque les sorts et les diverses » conditions humaines; puis, montant sur une tribune » élevée, il s'écria d'une voix prophétique: Ames » divines! rentrez dans un corps mortel : vous allez » commencer une nouvelle carrière. Voici tous les » sorts de la vie, je les jette devant vous; choisissez » librement, le choix est irrevocable. S'il est mauvais, » dieu en est innocent.

» A ces mots,

le génie jeta les lots de la Destinée, et » chacune de ces ames choisit le sien. Le souvenir des an

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