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Tectum augustum, ingens, contum sublime columnis,
Urbe fuit summâ, Laurentis regia Pici,

Horrendum silvis et relligione parentum.

Ce palais auguste, immense, soutenu par cent colonnes, et entouré de son bois sacré, recommandable par la piété des mœurs antiques, donne d'abord une idée juste et heureuse de l'antiquité voisine de l'âge de Saturne. On croira peut-être difficilement que le bon Picus eût un palais souteuu par cent colonnes; mais il ne faut pas oublier que l'ordre toscan, le plus simple, le plus fort et le plus solide de tous les ordres d'architecture, est dû aux peuples de l'ancienne Étrurie. Le reste de cette description est un mélange de choses qui appartiennent à la guerre et de celles qui appartiennent à l'agriculture; ce qui caractérise très-bien les mœurs de Rome, dont le poëte veut chanter l'origine.

Multaque præterea sacris in postibus arma;
Captivi pendent currus, curvæque secures,
Et crista capitum, et portarum ingentia claustra
Spiculaque, clypeique, ereptaque rostra carinis.

Ces vers ont été imités par Stace, dans sa description du temple de Mars. Voici les vers de la Thebaïde,

Terrarum exuviæ circùm et fastigia templi
Captæ insignibant gentes, cælataque ferro /

liv. 7:

Fragmina portarum, bellatricesque carinæ,

Et vacui currus, protritaque curribus ora.

Ce passage est un des plus beaux de la Thébaïde; et c'est ainsi que Stace auroit toujours dû imiter Virgile, qu'il cherchoit à prendre pour modèle.

Num capti potuere capi? num incensa cremavit
Troja viros?

Quelque beau que soit le discours de Junon, il faut avouer que cette espèce d'opposition et de jeu de mots n'est pas digne de son caractère. L'antithèse est une figure froide et qui tient de l'esprit de symétrie; elle ne peut s'allier au langage des passions, et surtout à celui de la colère. Virgile a voulu imiter ici ces vers d'Ennius sur les murs de Troie :

Quæ neque dardaniis campis potuere perire,

Nec cùm capta, capi, nec, cùm combusta, cremari.

Ces vers d'Ennius étoient fameux dans l'antiquité lamais ils étoient plus faits pour être imités par Ovide

tine;

que par Virgile.

Fecundum concute pectus,

Disjice compositam pacem, sere crimina belli :

Arma velit, poscatque simul, rapiatque juventus, etc.

Ce discours, adressé par l'épouse de Jupiter à Alec

ton, est la plus belle exposition qu'on puisse faire des scènes sanglantes qui vont avoir lieu; tons les fléaux dont on est menacé semblent être dans ces mots : Fecundum concute pectus. En général, ce morceau d'Alecton est admirable dans tous ses détails. Le serpent qu'elle jette dans le sein d'Amate, qui se glisse dans le cœur de la reine, qui s'insinue sous ses habits, qui se replie autour de son cou, et glisse successivement sur tous ses membres, est décrit avec une telle énergie, avec une telle vérité, qu'on croit le voir et suivre tous ses mouvemens; le lecteur frémit pour la malheureuse Amate.

Le désespoir et la fureur de la reine sont tracés avec le même pinceau. Sa fuite dans les forêts avec les bacchantes, ses invocations à Bacchus, auquel elle veut consacrer sa fille, donnent une nouvelle vraisemblance à la fiction du poëte, en la mêlant aux cérémonies usitées chez les païens. Ici Virgile se livre à tout son enthousiasme poétique; et il pourroit s'écrier comme Horace : Quò me, Bacche, rapis tui plenum?

Alecton, pour enflammer Turnus, prend les traits d'une vieille prêtresse de Junon; et l'on ne voit pas d'abord le motif de cette métamorphose, puisqu'elle nc produit point l'effet que s'étoit promis cette fille des enfers: mais en réfléchissant un peu, on s'apperçoit que le

poëte a voulu mettre le caractère de Turnus dans tout son jour, et l'opposer à celui du pieux Énée. Turnus méprise les avis de la prêtresse de Junon, il se rit de la vaine crédulité de la vieillesse, et il ne cède qu'à la fatale influence des enfers. Juvénal étoit particulièrement frappé de ce passage de Virgile, comme on le voit dans ces vers de la septième satyre:

Magnæ mentis opus, nec de lodice parandâ
Attonitæ, currus et equos, faciesque deorum
Adspicere, et qualis Rutulum confundat Erinnys.
Nam si Virgilio puer, et tolerabile desit
Hospitium, caderent omnes a crinibus hydri;
Surda nihil gemeret grave buccina...

«La crainte de manquer d'un habit gêneroit la muse » du poëte, lorsqu'il s'agit de voir, de peindre les dieux, >> leurs chars et leurs coursiers, ou bien Érinnys soufflant >> au sein de Turnus le vertige et la terreur. Virgile, sans > esclave et mal logé, n'eût point entortillé de serpens » les crins de sa furie; ce monstre infernal n'auroit point » fait gémir son funèbre cornet. » ( Trad. de Dussaulx).

Les comparaisons qui se trouvent dans ce passage ont été le sujet de plus d'une critique. On a reproché à Virgile d'avoir comparé la reine Amate à un sabot, et Turnus à une chaudière bouillante. Nous n'osons affirmer

que ces comparaisons, et surtout la première, soient parfaitement du ton de la poésie épique; mais les critiques conviendront que ce qu'il y a de commun ici dans le sujet est bien racheté par la richesse des images et des expressions. On pourroit ajouter que l'objet du poëte latin doit être de rabaisser le caractère d'Amate et de Turnus, et qu'il étoit convenable de chercher le sujet de sa comparaison dans les choses les plus vulgaires. Homère, pour donner une idée du trouble qui agite le chef des Grecs, compare son agitation à celle de l'air, lorsque l'embrâsant de son tonnerre Jupiter annonce aux humains tous les ravages de la tempête ou tous les malheurs de la guerre. Cette comparaison est aussi belle que convenablement placée; mais Virgile auroit manqué de jugement s'il eût pris le sujet de la sienne dans des images aussi élevées. Il ne s'agit pas du roi des rois, du chef d'une ligue puissante, mais d'une femme emportée par ses passions, d'un jeune prince aveuglé par sa fureur, et qui l'un et l'autre sont en proie aux puissances du Tartare.

Nous remarquerons, en finissant ces observations, que la fiction employée par Voltaire dans le cinquième chant de la Henriade ressemble beaucoup à ce passage du septième livre de l'Eneide. D'un côté, c'est Junon qui

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