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brement méthodique dans l'Eneide n'eût donc rien appris aux Romains; et ce qui devoit paroître admirable dans Homère n'eût été que fastidieux dans Virgile.

Le poëte latin a mis dans son dénombrement tout ce qui pouvoit donner de l'intérêt et de la variété à son sujet. Les différens peuples qu'il introduit sur la scène ont un caractère particulier. Le poëte en prend occasion de parler d'un grand nombre de villes, de forêts, de rivières, de montagnes, et d'amuser son lecteur en l'entretenant de la situation et de la richesse des contrées qu'il décrit. Ses soldats sont remarquables par la différence de leurs armes, de leurs habillemens, et leurs chefs par la différence de leurs attitudes, de leurs caractères. Parmi ces derniers on remarque un grand nombre de héros descendans des dieux; et leur réunion dans les camps de Turnus est très-propre à donner une grande idée de la guerre qui va commencer : ce dénombrement n'est pas moins intéressant par l'agréable mélange des récits que Virgile a tirés tour à tour de l'histoire et de la fable, et qui sont autant de tableaux épisodiques qui distraient le lecteur. Le poëte ne varie pas seulement ses tableaux, mais il varie ses expressions avec un art qu'on ne sauroit trop louer. Il emploie quelquefois l'apostrophe, et cette figure anime son récit. L'harmonie imitative vient aussi

prodiguer ses merveilles au poëte, et le dernier trait de ce tableau est d'une beauté inimitable:

Illa vel intactæ segetis per summa volaret
Gramina, nec teneras cursu læsisset aristas:
Vel mare per medium, fluctu suspensa tumenti,
Ferret iter, celeres nec tingeret æquore plantas, ete.

Ces vers, aussi légers que Camille elle-même, sont dans la mémoire de tout le monde : nous nous dispenserons d'en faire sentir les beautés.

Vida, dans son Art poétique, fournit plusieurs exemples de cette harmonie imitative. Pope, dans son poëme de la Critique, a imité le morceau de Camille, autant que la langue anglaise le lui permettoit. Nous en avons plusieurs imitations dans notre langue, mais aucune n'a rendu les beautés de l'original. Parmi les paraphrases ridicules qu'on a faites de ce passage de Virgile, on pourroit citer celle de Saint-Amand dans le Moïse sauvé:

Tout ce qu'un beau mensonge a dit d'une Atalante,
Ce qu'on a feint d'une autre, à la rapide plante,
Qui passoit l'onde à sec, et dessus les guérets
Couroit sans affaisser les trésors de Cérès,
Se montre véritable en l'ardeur dont Marie
Marche ou glisse plutôt sur la plaine fleurie;

Sa trace est invisible, et son agilité

Fait croire l'hyperbole avec facilité.

Le poëte, après avoir épuisé ce tableau, représente le voile de Marie vaguant sur sa téte, et il ajoute ces vers bizarres :

Puis, ainsi qu'une soie ondoyante et menue,
Frappant de son beau dos l'ivoire demi-nue,
Bien qu'elle aille si vite, il semble la fouetter
Pour punir sa lenteur et la faire hâter.

Nous demandons pardon au lecteur de citer ces vers à côté de ceux de Virgile; mais, comme la manière de Saint-Amand s'est reproduite quelquefois de nos jours, comme il est arrivé plusieurs fois de prendre l'affectation pour le génie, et la recherche pour l'élégance, nous avons eru devoir citer ce morceau pour faire voir aux jeunes gens jusqu'à quel point de ridicule peut conduire l'imagination sans le jugement, et l'esprit qui n'est point éclairé par le goût.

Nous n'avons pas besoin de faire remarquer ici que ce septième livre se termine de la manière la plus heureuse : la guerre est déclarée, ses principaux acteurs sont connus, et c'est la jeune Camille qui ferme la marche de cette

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foule de demi-dieux et de héros. Ce chant est une trèshelle introduction aux scènes héroïques que le poëte va décrire: nous n'avons pu en faire voir toutes les beautés; mais nous en avons dit assez pour que ceux même qui ne le connoissent point, aient lieu de s'étonner de la sévérité des critiques qui en ont été faites. Pour bien apprécier Virgile, peut-être faut-il avoir quelque chose de ce génie et de ce goût si pur qui distingue le prince des poëtes latins. Un esprit impartial pourra trouver quelques légers défauts dans l'Énéide; mais les beautés de tout genre y sont semées avec une telle prodigalité que la critique la moins sévère est toujours reçue avec défaveur; et la postérité a fait comme Auguste qui refusa d'en croire Virgile lui-même, lorsqu'il manifestoit des craintes sur le mérite de son ouvrage. Macrobe est le plus acharné des censeurs de l'Énéide; son livre est presque tombé dans l'oubli, et nous pourrions avec raison lui appliquer cette fable de Boccalini, qui sera peut-être applicable aussi à certains critiques de notre temps: «Un > fameux critique, dit Boccalini, ayant ramassé toutes » les fautes d'nn poëte célèbre, en fit présent à Apollon; >> ce dieu les reçut gracieusement, et résolut de récom» penser l'auteur d'une façon convenable pour la peine » qu'il avoit prise. Dans cette vue, il mit devant lui un

» monceau de blé qui n'étoit point vanné; il lui ordonna » ensuite de séparer la paille d'avec le blé, et de la mettre » à part. Le critique se mit à travailler avec beaucoup » d'industrie et de plaisir; et après qu'il eut fait la sépa» ration, Apollon lui présenta la paille pour sa peine. »

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