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la plus haute antiquité, et ils peuvent être présentés sous le même point de vue. On sait qu'en optique deux objets séparés se confondent dans l'éloignement; il en est de même des évènemens et des hommes de l'antiquité, qui peuvent être séparés entr'eux, mais qui se rapprochent pour la postérité qui apprend leur histoire. On a fait la même objection à Virgile pour Didon qui n'a pas vécu dans le même siècle qu'Énée: on ne peut faire aux critiques que la même réponse.

Magno curarum fluctuat æstu...

Cette métaphore est sublime: Catulle l'avoit employée avant Virgile.

Prospicit, et magnis curarum fluctuat undis.

Lucrèce dans le sixième livre de son poëme avoit dit :

Yolvere curarum tristes in pectore fluctus.

Toutes ces expressions sont très-hardies, mais elles sont en même-temps d'une justesse frappante.

La comparaison dont Virgile se sert dans ce passage pour exprimer l'indécision de son héros avoit déjà été employée par Apollonius pour exprimer l'inquiétude et l'agitation de Médée : « Le danger, dit le poëte grec, » auquel Jason alloit être exposé, lui causoit mille in» quiétudes, et faisoit à chaque instant palpiter son cœur. » Ainsi, lorsque les rayons du soleil frappent la surface » d'une eau dont on vient de remplir un vase, l'image

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qui se forme alors se meut sans cesse autour de l'ap»partement, et voltige çà et là en décrivant des cercles >> rapides : telle étoit l'agitation du cœur de Médée.» Cétte comparaison est très-ingénieuse, etVirgile l'a très-heureusement rendue. Les Latins avoient étudié les principes du goût à l'école des Grecs, et c'est à la langue grecque, aux chefs-d'oeuvre qu'elle avoit produits, que la langue des Romains, ainsi que leur poésie, fut redevable d'une grande partie de ses beautés. Virgile et les plus célèbres écrivains de son temps firent souvent d'heureux emprunts aux écrivains de la Grèce; ils conservèrent par-là les traditions du goût, et transportèrent son flambeau dans leur propre pays. C'est ainsi que Boileau, Racine, et les grands écrivains du siècle de Louis XIV, puisèrent souvent dans les mines fécondes des Romains et des Grecs, et qu'ils dictèrent les oracles du goût et de la raison au Parnasse français. Les hommes seasés n'ont jamais accusé les uns ni les autres d'être des plagiaires; c'est un flambeau qui s'allume à un autre flambeau, et chacun brille de sa propre lumière.

Huic deus ipse loci, fluvio Tiberinus amœno,
Populeas inter senior se attollere frondes
Visus. Eum tenuis glauco velabat amictu
Carbasus, et crines umbrosa tegebat arundo.

Les couleurs sous lesquelles Virgile représente le fleuve du Tibre ont servi de modèle à tous ceux qui après lui ont peint les fleuves et leurs divinités : c'est toujours un

vêtement d'azur et une couronne de roseaux. Quoique les vers de Boileau sur le passage du Rhin soient trèsconnus, on ne sera peut-être pas fâché de les retrouver ici: Au pied du mont Adule, entre mille roseaux,

Le Rhin, tranquille et fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d'une main sur son urne penchante,

Dormoit au bruit flatteur de son onde naissante, etc.

Ces vers ne perdent rien à côté de ceux de Virgile ; je préfère cependant crines umbrosa tegebat arundo à cette image un peu trop vague entre mille roseaux. Dans le reste de sa description Boileau ressemble plus à Homère qu'à Virgile, et le Rhin prend plutôt l'attitude fière et terrible du Scamandre que celle du Tibre. Le voyage d'Énée est décrit avec beaucoup de rapidité; douze vers suffisent au poëte pour peindre le fleuve faisant remonter ses eaux vers sa source, favorisant les projets des Troyens, et recevant sur ses ondes la flotte d'Énée qui s'avance paisiblement à travers d'antiques forêts.

Lorsque les Troyens arrivent près de Pallantée le poëte donne un exemple d'une plus grande précision : Évandre étoit occupé à faire un sacrifice & Pallas s'apperçoit le premier de l'arrivée des étrangers, et il accourt au rivage; il les interroge sur le but et le motif de leur voyage, sur leur pays, sur leurs familles; il leur demande s'ils apportent la paix ou la guerre ; et tout cela est ex primé en moins de deux vers.

Qud tenditis? inquit ;

Qui genus? unde domo? pacemne huc fertis, an arma?

Un commentateur anglais, en rendant justice à la précision de Virgile en cette occasion, s'est amusé à nous donner l'itinéraire d'Énée : « Cette expédition d'Énée, dit-il, » est aussi prompte que les circonstances l'exigeoient; il » partit de son camp près d'Ostie, parcourut la distance » de quinze milles sur le Tibre pour arriver à Rome; >> delà pour se rendre à Cervetère, pays de Tarchon, il » fit environ vingt milles par terre, et trente-cinq milles » par mer pour retourner à son camp. » D'après le commentateur, on voit qu'Énée ne perdit point de temps dans son voyage; il partit la nuit, arriva à Rome le lendemain à midi, et passa la nuit suivante chez Évandre; le second jour il se rendit à Cervetère, arriva le soir à la vue de Tarchon et de son armée, et s'arrêta la nuit dans la forêt consacrée à Sylvain; le troisième jour il arriva chez Tarchon, prit le commandement des troupes, mit à la voile vers le soir et voyagea toute la nuit; le quatrième jour au matin il parut à la vue de son camp, et remporta une victoire avant la fin de la journée. Cet itinéraire est fait très - exactement et tracé d'après Virgile.

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La précision n'est pas la seule chose qu'on doive admirer dans ce passage. On doit remarquer aussi l'adresse avec laquelle le poëte fait paroître le jeune Pallas, qui doit jouer un rôle si touchant dans les autres livres. Vir

gile donne à ce jeune héros l'épithète d'audax ; c'est ainsi qu'il caractérise d'avance le courage et surtout le courage malheureux : il donne à Turnus la même épithète et dans la même acception au septième livre, audacem ad Turnum.

Jam primùm saxis suspensam hane adspice rupem;
Disjectæ procul ut moles, desertaque montis

Stat domus, et scopuli ingentem traxere ruinam.

» conte,

L'épisode de Cacus n'est pas tout entier de l'invention de Virgile; l'évènement qui y est raconté a obtenu une place dans les récits de la plupart des historiens romains; il est rappelé par Denys d'Halicarnasse, et par Tite-Live. Nous rapporterons ici le passage de Tite-Live: «< On radit-il, qu'Hercule, après la défaite de Géryon, » amena ses troupeaux en ce lieu-là, et qu'il les fit paître » sur les bords du Tibre, qu'il avoit passé à la nage; » plein de vin, et fatigué d'ailleurs, il s'endormit; un > berger de la contrée, nommé Cacus, charmé de la beauté » de ces animaux, et voyant bien qu'Hercule en suivroit » la trace, s'il les conduisoit de la façon ordinaire dans sa » grotte, s'avisa de les y traîner par la queue. Hercule, » mécontent du pays, songeoit à le quitter, lorsque les » bœufs qui lui restoient, meuglant à leur départ, le » meuglement des vaches renfermées dans la caverne de » Cacus leur répondit. Hercule retourne sur ses pas, veut » forcer l'entrée de la grotte; Cacus s'y oppose, et périt

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