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» sera juste. Il est moins soldat et plus général qu'Achille; » mais ce général d'office s'oublie quelquefois pour faire » le simple soldat: sans cela il auroit achevé la guerre » dès le second jour, lorsqu'étant entré dans le camp d'Énée qu'il assiégeoit, sa fureur lui fit oublier d'en >> tenir la porte ouverte aux siens comme il lui eût été » facile. Le caractère de Turnus a encore cette injustice » d'Achille qui d'une querelle particulière fait une guerre » générale. Cette guerre rend sa colère perniciense aux » deux partis, et plus au sien qu'à celui de son ennemi, » et elle expose tant de milliers d'innocens pour l'intérêt

>> d'un seul. >>

Nous développerons ailleurs quelques-unes de ces observations; nous nous contenterons ici de faire remarquer que si Turnus est un autre Achille, le poëte a soin de ne le faire paroître tel qu'en l'absence d'Énée. C'est là une adresse des plus heureuses, et l'on doit s'étonner qu'aucun des commentateurs n'en ait parlé. Ce neuvième livre est celui où le jeune Ascagne joue le rôle le plus brillant, et en cela Virgile fait preuve du même jugement. Dans le premier livre, le fils d'Énée est transporté par Vénus dans l'île de Paphos; dans le quatrième et dans le septième il est présenté comme un chasseur intrépide; dans ce neuvième livre, Énée est absent, Ascagne devient l'espérance des Troyens; sa sagesse brille dans les.comscils, et son courage sur le champ de bataille.

Ac veluti pleno lupus insidiatus ovili,

Quum fremit ad caulas, ventos perpessus et imbres,

Nocte super mediâ; tuti sub matribus agni

Balatum exercent: ille, asper et improbus irâ,

Sævit in absentes; collecta fatigat edendi.

Ex longo rabies, et siccæ sanguine fauces,
Haud aliter, etc.

Cette comparaison, comme la plupart de celles des anciens, n'a rien d'ingénieux et de brillant dans la pensée le poëte le plus médiocre pouvoit comparer Turnus attaquant les remparts des assiégés à un loup affamé qui rode autour d'une bergerie; mais les expressions et les images que Virgile emploie ne peuvent appartenir qu'à un poëte du plus grand génie. Non seulement le loup tente un accès dans la bergerie, mais il frémit de rage, il brave l'orage et la tempête, ventos perpessus et imbres ainsi Turnus brave les traits des ennemis. Tandis que le loup exerce au-dehors sa fureur, les posent tranquillement sous leurs mères, et poussent de longs bêlemens, tuti sub matribus agni balatum exercent ainsi la jeunesse troyenne reste renfermée dans ses remparts, et se repose sur la prudence des chefs. En deux vers le poëte expose deux scènes différentes, et fait voir tout à la fois ce qui se passe au-dedans et audehors du camp. Il revient ensuite au loup, image de Turnus, dont il caractérise la férocité et l'impuissance par ces mots admirables: Ille, asper et improbus irá, sævit in absentes. Aveuglé par la colère, il s'acharne

agneaux re

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sur sa proie absente. Après cela, on pourroit croire que toutes les couleurs sont épuisées, et qu'il ne reste plus rien à dire au poëte; mais il trouve encore des expressions plus fortes, plus énergiques que les précédentes: rien n'égale la vigueur et la beauté de ces derniers traits du tableau, Collecta fatigat edendi ex longo rabies, et siccæ sanguine fauces. Notre langue se refuse à exprimer ces images hardies, et c'est ici qu'il fant dire de Virgile ce que Virgile disoit d'Homère, « qu'il est plus » difficile de lui arracher un vers que d'arracher à Her>> cule sa massue. >>

Nisus ait: Dine hunc ardorem mentibus addunt,
Euryale? an sua cuique deus fit dira cupido?

Le Tasse, dans le douzième livre de la Jérusalem délivrée, a imité l'épisode de Nisus et d'Euryale. Tandis que la Nuit roule son char d'ébène, Clorinde s'occupe d'un grand projet, et elle se tourne vers Argant : « De» puis long-temps, lui dit-elle, je ne sais quoi d'extraor» dinaire, de hardi, roule dans mon ame inquiète, soit >> inspiration de dieu, soit erreur de l'homme qui se fait » un dieu de son desir. Vois ces flambeaux qui brillent » hors du camp des ennemis; j'irai là, le fer dans une » main, une torche dans l'autre, et je mettrai le feu à la » tour. » Argant sent à ces paroles l'aiguillon de l'honneur, et il veut accompagner l'héroïne dans son expédition glorieuse. Tous les deux ils se rendent auprès d'Ala

din, qui les reçoit au milieu des plus sages de son conscil, approuve leur dessein, et donne de grands éloges à leur courage. Ils partent au milieu des ténèbres, pénètrent dans le camp ennerai, brûlent la tour qui menaçoit Solime. Poursuivis par les chrétiens, ils retournent vers la ville; Argant est reçu par les siens au milieu des acclamations, et, dans le tumulte de la mêlée, la porte est refermée sur Clorinde. L'héroïne combat seule ; elle immole plusieurs chrétiens, et elle succombe enfin sous le fer de Tancrède, qui la reconnoît et pleure sa victoire.

Tel est le sujet de l'épisode de Clorinde et d'Argant; plusieurs détails ont été copiés mot pour mot de Virgile, et c'est sans contredit ce qu'on trouve de mieux dans ce morceau. L'idée d'introduire une femme sur la scène, et de la faire pénétrer la nuit dans le camp des chrétiens, s'écarte peut-être de la dignité du poëme épique. L'amour que le Tasse met dans le dénouement de son épisode, et qui produit un effet très-dramatique, est un sentiment bien moins héroïque que l'amitié, et les lecteurs éclairés préfèreront toujours les larmes de la mère d'Euryale aux larmes de Tancrède.

Pulcherrima primùm

Di moresque dabunt vestri, etc.

Les deux amis, avant d'avoir eu dans le conseil l'avis du jeune Ascagne, reçoivent l'approbation d'un sage

vicillard. Le vieil Alète exprime en cette occasion une grande maxime; mais elle est appliquée à l'action dont il s'agit, elle en est inséparable. Les maximes ainsi employées sont appelées par les commentateurs des sentences déguisées. Virgile ne les emploie presque jamais autrement, bien différent en cela de Lucain, de Sénèque, et de quelques écrivains modernes..

Immo ego vos, cui sola salus genitore reducto,
Excipit Ascanius, per magnos, Nise, Penates,
Assaracique Larem, et canæ penetralia Vesta,
Obtestor, etc.

Ces mots par lesquels commence le discours d'Iule, inimo ego vos, marquent bien l'impatience qu'il a d'exprimer sa reconnoissance aux deux jeunes guerriers. Tont ce discours est pris dans la nature : quand on se trouve dans une situation embarrassante, on est prodigue de promesses; Iule offre tout ce qu'il a, il promet tout ce qu'il espère avoir. « Vous avez vu, s'écrie-t-il, le cheval » que monte Turnus; ce cheval, le bouclier du héros, » son casque éclatant, n'entreront point dans le partage » du butin: Nisus, ils seront le prix de votre courage.» Dans le dixième livre de l'Iliade, Dolon demande à Hector les chevaux d'Achille; mais la promesse que fait le jeune Ascagne de donner le cheval de Turnus à celui qui lui rendra son père a quelque chose de plus naïf et de plus attachant.

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