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élevé du mot. Ce fut lui qui ouvrit les yeux du jeune Heller sur la mauvaise voie qu'on lui faisait suivre; il lui communiqua les trésors de sa bibliothèque. Ce furent les sonates de Beethoven qui firent entrevoir au jeune virtuose comme un nouveau monde jusqu'alors ignoré. Le moment était favorable le jeune homme commençait à se dégoûter de la carrière de donneur de concerts. Il sentait confusément qu'il ne suivait pas les voies de l'art véritable. Il lut de bons livres, s'initia aux meilleures sources de la musique ancienne, connut les belles œuvres modernes. Il se plut à aimer, à adorer Beethoven, Mozart, Haydn : plus tard, Mendelsshon et Chopin. Le premier, il joua à Augsbourg, dans ses concerts, les œuvres de ce dernier maître; mais, il faut le dire, sans succès. Chopin ne devait être compris que bien plus tard. Heller s'exerça à la composition: il composa plusieurs morceaux pour piano seul, ou avec accompagnement; il écrivit des lieder sur des textes de Goëthe, Heine, Rückert, Uhland. Après quelques années passées ainsi, il fit un voyage à Pesth, pour revoir ses parents. Mais il ne tarda pas à revenir dans sa chère ville d'Augsbourg, où il put s'abandonner complétement à ses travaux.

En 1836, il lui tomba sous les yeux un numéro de la Zeitschrift (journal) rédigé par Schumann à Leipsig. Celui-ci offrait les honneurs de sa critique aux jeunes compositeurs inédits, et les invitait à lui envoyer de bons manuscrits. Heller avait écrit et publié, pendant ses voyages, cinq ou six airs variés, rondeaux et fantaisies brillantes. Mais, après ses études sérieuses à Augsbourg, il avait écrit un scherzo et trois impromptus (op. 7 et 8) qui étaient d'une tendance bien différente. Il envoya ces manuscrits, avec une lettre, à Schumann,

La curiosité de ce maître fut éveillée; il se fit donner les six premiers ouvrages d'Heller et lui écrivit qu'il était loin de trouver dans ces premiers essais l'élévation de pensée des œuvres 7 et 8. Il combla d'aise le jeune compositeur en lui faisant savoir qu'il avait fait accepter ces deux ouvrages par l'éditeur Kistner, à Leipsig. Heller ne connaissait pas une note de Schumann; il le prenait même pour un écrivain purement théorique et esthétique. Il entretint avec lui une correspondance qui ne cessa que peu d'années avant la maladie qui devait emporter le grand compositeur. Schumann se montra, pour le jeune Heller, plein de bienveillance; il lui prodigua les encouragements. Il fit encore agréer par l'éditeur Kistner une sonate, op. 9, qui n'a jamais été publiée en France. S. Heller a longtemps conservé les lettres de Schumann; malheureusement, il les perdit dans un déménagement et eut le regret bien vif de ne pouvoir les communiquer à madame Schumann, alors qu'elle préparait les éléments d'une biographie de son mari.

En 1837, Kalkbrenner vint à Augsbourg, et daigna jouer, dans un concert, un duo avec Stephen Heller; il lui dit qu'il devrait compléter son éducation de pianiste par quelques années d'études avec lui. Son jeu brillant et élégant plaisait beaucoup, et le jeune Heller le considérait, avec Moschelès qu'il avait entendu à Vienne, comme le plus merveilleux des pianistes.

De son côté, Schumann lui écrivait de bien travailler le piano; il lui affirmait que rien n'était plus important que de se rendre apte à dire ses propres compositions; -que personne ne peut mieux les rendre que l'auteur lui-même, qu'il fallait à tout prix acquérir le mécanisme nécessaire pour traduire ses Ces conseils d'une part, pensées. de l'autre l'éloquence toute parisienne de Kalkbrenner qui promettait au jeune vir

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tuose, s'il venait à Paris, de l'aider de ses conseils, de son amitié, de son influence, décidèrent tout à fait Heller à quitter sa chère ville d'études calmes et sereines. Il dit adieu à cette vie si douce, si assurée, si exempte de tout souci.

Ce qui rendit moins amer ce sacrifice, fut la mort du comte Fugger. En le perdant, Heller perdait plus qu'un ami, presque un père, l'homme enfin qui lui rendait le séjour d'Augsbourg inappréciable. Le comte lui avait promis qu'il lui lèguerait sa bibliothèque et ses pianos. Les princes Fugger n'eurent peut-être pas connaissance de cette promesse; leur parent étant mort sans faire de dispositions testamentaires, les héritiers dispersèrent cette riche collection.

Heller partit donc pour Paris, où il arriva dans le cours d'octobre 1838, avec une modique somme et sans autres ressources à espérer. Il alla voir Kalkbrenner, prit deux ou trois leçons de piano, mais fut bien vite obligé de les interrompre. Les conditions imposées par le professeur étaient singulières: payer 500 francs par an, rester cinq ans sous sa direction (cette direction consistait en un examen mensuel; il déléguait pour maître de piano un de ses élèves), ne jamais rien publier sans son autorisation, de peur que l'élève ne compromît la renommée du maître.

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Les premières années de séjour de notre compositeur à Paris furent douloureuses. C'était une nature fière et discrète, douée d'une insurmontable timidité. Le jeune Heller tenait, en outre, à maintenir avec une sorte de passion la liberté de ses actes et de ses pensées. Il n'échangeait aucune satisfaction de vanité, de gloriole, d'amour-propre contre le sacrifice de son indépendance. Il ne tenait qu'à lui, dès son arrivée à Paris, de se mettre en relation avec des gens influents ou en

passe de le devenir. Ceux qui fréquentaient les cercles où on tenta de l'introduire sont, depuis, arrivés à de hautes positions dans les finances, les ambassades, les grandes fonctions publiques, les arts mêmes. La fréquentation de certains salons de femmes distinguées, dans les premières années du règne du roi Louis-Philippe, était un moyen presque sûr d'arriver à une sorte de notoriété. Distingué de sa personne, doué de qualités aimables, le jeune Heller était sûr d'arriver, s'il eût fait comme les autres. Il préféra creuser son sillon tout seul, sans appui. Il le creusa, mais lentement et au prix de bien des tristesses. Il aimait l'art pour l'art et non pour les succès qu'il procure. Il était inhabile à réciter les phrases mensongères qui sont de mise dans le monde. Il aimait en tout la simplicité et la droiture. Il n'admettait pas qu'on pût sacrifier ses convictions aux nécessités de situation. Il usa donc peu des gens influents, ne fit que traverser le monde en observateur, et, dédaignant les avis des gens pratiques, s'enferma chez lui pour écrire et pour penser. Les rares tentatives qu'il avait faites pour se produire n'avaient pas été, du reste, de nature à l'encourager. Au moment où il vint à Paris, le goût pour la musique de piano était bien moins développé que depuis une dizaine d'années. Heller avait joué quelquefois en petit comité son scherzo op. 24, ses études op. 16, etc... Les qualités de cette musique délicate avaient presque toujours échappé aux auditeurs. Heller ne joua plus du tout, et c'est un prodige que ses ouvrages aient pu agir et parler pour lui. Quand un artiste ne paie pas de sa personne, il faut au moins que des amis travaillent pour lui; ils sont rares les artistes qui ont bien voulu populariser quelques-unes de ses œuvres, et cependant l'œuvre de Heller fourmille de pages admirables, de morceaux à

succès pour l'artiste qui saurait ou voudrait les interpréter!

Le pianiste Charles Hallé, jadis établi à Paris, où il était extrêmement aimé et apprécié, fut un des rares artistes qui osèrent jouer en public de la musique de Heller. M. Charles Hallé perdit une partie de sa clientèle à la suite des événements de 1848 et se fixa à Londres, où il occupe une éminente position artistique. C'est un admirable pianiste et un grand musicien. Il joua non-seulement de petites pièces de Heller, mais encore le Caprice symphonique, op. 28 (1).

Quoi qu'il en fût, sans que l'auteur ait concouru à son propre succès, sa musique a fait son chemin dans le monde; elle est aujourd'hui toute publiée en Allemagne, en Angleterre et en France. Le moment semble venu de jeter un coup d'œil d'ensemble sur une œuvre considérable qui sera de plus en plus appréciée, et qui laissera une trace durable dans l'histoire de la musique.

II

Heller a composé une œuvre au moins aussi considérable que celle de Chopin. Sauf le concerto, le trio, la mazurka, il a abordé les mêmes genres. L'étude, le prélude, la sonate, le scherzo, l'impromptu, la ballade, le nocturne, la valse, la tarentelle, la polonaise sont des formes qui lui sont familières.

(1) On doit mentionner aussi parmi les rares artistes qui ont tenté de populariser la musique de S. Heller, l'éminent professeur M. Lecouppey, qui, le premier entre ses collègues du Conservatoire, a introduit les œuvres du compositeur dans l'enseignement autorisé.

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