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qui visent à l'originalité la plus grande laissent entrevoir partout la marque puissante de ce grand génie. Schumann, qui tint après lui le sceptre de la musique en Allemagne, en procède immédiatement, et les compositeurs qui aspirent en ce moment à une haute situation musicale en Europe, Raff, Brahms, Rubinstein sont en quelque sorte ses disciples (1).

Mendelssohn avait toutes les qualités requises pour jouer le rôle de grand pontife de la musique qu'avaient jouée avant lui Sébastien Bach et Hændel. Sa personnalité était trèscorrecte et très-digne; ses vertus domestiques imposaient le respect; il était riche; ses relations étaient immenses; par suite de sa situation exceptionnelle de fortune, il avait pu amasser en lui des trésors d'instruction littéraire et musicale et devenir le musicien le plus lettré, le plus instruit de son temps. Il pratiquait son art avec la ferveur du prêtre qui accomplit les actes de son ministère; il n'en parlait qu'avec les formules d'un pieux respect, il ne livrait à la publicité que des œuvres amenées par lui à la perfection, et, s'il sortait de sa tombe, il désavouerait la publication de ses œuvres posthumes. Il avait un scrupule infini de la forme : ses moindres lieder sont aussi travaillés, aussi finement ciselés que ses œuvres de grande haleine.

Ses compositions étaient accueillies par le public avec une faveur qui ne se démentit presque jamais. Les artistes étrangers venaient recevoir, aux concerts de la Gevandhaus, qu'il dirigeait, la consécration de leur réputation musicale. Les plus grands lui demandaient des conseils.

(1) En ce qui touche la musique dramatique, l'influence de Weber a été plus prépondérante. Meyerbeer procède de Weber, ainsi que Wagner. Chez nous, Gounod se rattache davantage à la tradition de Mendelssohn.

C'était bien là un rôle de pontife qu'il jouait, sans que personne cherchât à contester ses droits. Il n'y eut plus après lui de personnalité aussi haute: Schumann était une organisation trop incomplète pour hériter de toute son autorité : celui qui devait sombrer dans la folie ne pouvait aspirer à ce rôle de calme et puissant dominateur.

Mendelssohn justifiait-il cette grande situation par une originalité extrême qui fît de lui un révélateur, le prophète d'un ordre nouveau? Tentons de définir ce qu'il faut entendre par l'originalité dans les arts. Le premier qui imagina de tracer des signes sur le sable, de pétrir l'argile entre ses doigts pour reproduire les formes qui avaient frappé ses yeux; le premier qui essaya d'imiter, soit avec sa voix, soit par quelque moyen mécanique le chant des oiseaux, celui-là fut le premier artiste, le plus original de tous, et encore eut-il un maître, la nature, qu'il cherchait à reproduire. Ceux qui vinrent après lui perfectionnèrent ses procédés, mirent, sans doute, quelque chose d'eux-mêmes dans leur œuvre; mais, dans cette œuvre, Ꭹ avait ce qu'avait trouvé le premier inventeur. Il en fut toujours ainsi. Haydn et Mozart procèdent des maîtres italiens; Beethoven procède d'Haydn et de Mozart.

il

De même, Mendelssohn profita de tout ce qu'avaient fait ses devanciers. Il amalgama ce qu'il y avait de plus rigoureux dans Bach avec ce qu'il y avait de plus romantique dans Weber, et, pourtant, malgré ce qu'en a dit M. Fétis, il se créa un style, un style auquel il mit son empreinte, qui est bien à lui, et qui n'est ni le style de Bach, ni le style de Weber. L'originalité d'un artiste est faite, pour partie, de l'originalité des artistes qui l'ont précédé. C'est ainsi que le chimiste forme de nouveaux corps avec des éléments déjà connus, Seulement la personna

lité de l'artiste joue ici un grand rôle ; c'est cette personnalité qui imprime à l'œuvre un caractère tout particulier. Le caractère de l'artiste est-il calme, son esprit est-il contemplatif et rêveur, ce caractère se retrouvera dans son œuvre ; son tempérament est-il fiévreux, emporté, son âme est-elle impressionnable, cette impressionabilité vous en retrouverez le signe dans ses compositions. Le milieu, aussi, a son importance. Les productions artistiques n'auront plus le même cachet selon qu'elles verront le jour en des temps calmes ou en des temps troublés, au sein d'une vie sociale paisible et bien réglée, ou au cours d'événements qui rendent l'existence complexe et difficile.

Cette théorie demanderait de longs développements. Bornons-nous à nous résumer et à dire : Dans l'œuvre d'un grand maître, il y a trois catégories d'éléments à discerner: d'abord les éléments qui concourent à former le style. Les plus nombreux proviennent de la tradition; quelque habile

que soit la combinaison, on peut toujours arriver à discerner ce qui est traditionnel de ce qui est propre à l'auteur. Il y a ensuite les éléments qui proviennent du tempérament de l'artiste, ce sont là les véritables facteurs de l'originalité, ceux qui la constituent; car, pour la troisième catégorie d'éléments, ceux qui naissent du milieu et des circonstances extérieures, ils se subordonnent généralement au caractère propre de l'individu qui voit les choses d'une façon relative: tel reste calme dans un milieu troublé; tel se trouble au moindre incident, au sein du milieu le plus paisible.

Si nous appliquons cette théorie à Schumann, nous pourrons en vérifier l'exactitude. Le style de ce maître procède de la tradition, de celle qui, par Mendelssohn, remonte à Weber, à Bach et au delà. On peut discerner les éléments dont s'est

formé son style; mais ce qui fait surtout son originalité, c'est son tempérament, tempérament mal équilibré, mal pondéré, qui le pousse parfois aux inspirations les plus sublimes, et qui, d'autres fois, le maintient dans des régions où l'air manque, où la voix est étouffée, où la pensée ne revêt même pas une forme perceptible. Schumann nous apparaîtra un jour resplendissant de lumière, le lendemain plongé dans l'ombre la plus désolante. C'est une des figures les plus curieuses qui puissent tenter la plume d'un biographe ou d'un critique. Sa vie fut un roman, et le roman finit de la façon la plus lamentable. Schumann est pourtant une des grandes figures de l'art; il a exercé, il exerce, il exercera longtemps une grande influence.

Si nous avons parlé de Mendelssohn et de Schumann à propos de Heller, c'est qu'il nous paraissait difficile de parler de ce dernier sans parler des deux grands maîtres à la tradition desquels il semble se rattacher. Un fait curieux à noter, cependant, est le suivant : lorsque S. Heller communiqua ses premiers essais à Schumann, celui-ci fut frappé de certaines analogies qui existaient entre sa musique et celle du jeune maître. Or S. Heller ne connaissait alors pas une note de la musique de Schumann qu'il prenait pour un pur critique. Mais c'est surtout de Mendelssohn qu'il procède comme style; ce n'est guères que comme tendances qu'il nous semble avoir certaines affinités avec Schumann; du reste, cette filiation artistique une fois reconnue, hâtons-nous d'ajouter que le style de notre compositeur est loin d'être une copie; il est empreint, au suprême degré, de la vraie originalité, celle qui naît du caractère et du tempérament.

V

On trouve dans le catalogue des œuvres de Stephen Heller, publié à Leipsig (1868), complété jusqu'à la présente année 1876, une série d'une quarantaine de morceaux d'une nature toute particulière: ce sont ceux que l'auteur n'a pas tirés de son propre fonds, mais du fonds d'autrui, des caprices, des rondos, des improvisations, des variations sur des airs d'opéra ou des mélodies en renom. Il y a tout un classement à faire parmi ces œuvres : les unes sont des produits de la jeunesse : l'artiste n'ayant pas encore conquis son style, ne se croyant pas assez sûr de lui-même, s'essaie timidement sur les idées d'autrui. C'est le seul moyen de se faire connaître, de prendre rang, sauf plus tard à se révéler sous un jour plus personnel. Il faut se rendre compte des circonstances particulières qui poussent les artistes, même les plus grands, à publier des compositions de cette nature. Le goût de la musique est universellement répandu; mais il est loin d'être épuré; le gros public accueille plus volontiers des productions légères, des broderies sur un thème qui a flatté son oreille, que des œuvres austères savamment combinées. Ces œuvres, quand elles se produisent, ne sont recherchées que d'un petit nombre d'adeptes. Pour qu'un éditeur risque l'impression de semblables compositions, il faut qu'il s'approvisionne, auprès de l'auteur, de toute une série d'opuscules dans le goût du jour, menue marchandise qui l'indemnisera

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