ページの画像
PDF
ePub

de ses frais, parce qu'elle est d'un écoulement facile. Ce n'est que lorsque le nom de l'artiste est fait, qu'il a acquis une notoriété qui s'impose, que les éditeurs lui permettent enfin de suivre sa voie, de ne plus faire au public des concessions qui lui sont pénibles. C'est ainsi que les plus grands maîtres, Beethoven et Mozart, ont dû livrer à la publicité des œuvres secondaires, tels que rondos, airs variés dont s'accommodait fort bien le public et qui servaient à faire passer les chefsd'œuvre.

Heller n'a pas échappé au sort commun. Il a été amené à composer, sur les opéras en vogue d'Auber, d'Halevy, sur le Déserteur de Monsigny, le Désert de Félicien David, le Prophète de Meyerbeer, les mélodies, alors très-prisées, de Reber, et cela sur la commande des éditeurs, des caprices, des impromptus, des variations qu'il regrette peut-être aujourd'hui d'avoir livrés à la publicité, mais sans lesquels il n'eût peutêtre pas pu faire passer ses œuvres originales. Beaucoup de ces morceaux, cependant, sont charmants, et, dans tous, se révèlent l'élégance et la distinction qui font le charme du talent de S. Heller.

Il en est, parmi eux, qu'il ne doit pas regretter trop amèrement, parce qu'ils répondent à une sympathie personnelle. Ce sont ceux qui lui ont été inspirés par des maîtres pour lesquels il a toujours professé une sorte de culte, Schubert, Mendelssohn, Beethoven.

Les mélodies de Schubert sont une mine féconde où l'on ne saurait trop puiser; ce n'est pas un travail dont il faille rougir ni se lasser que celui qui consiste à tirer de cet écrin inépuisable les perles sans prix qu'il renferme, et de pouvoir dire au public: Écoutez! Cela est si beau que, sous quelque forme

[ocr errors]

qu'on vous le présente, ce sera pour vous un enchantement. Non! Heller n'a pas fait un travail stérile en écrivant une dizaine de caprices sur les plus célèbres mélodies de l'illustre maître et en publiant un album de trente lieder, transcrits avec une merveilleuse sagacité.

Mais ce que nous devons signaler surtout à l'attention de nos lecteurs, ce sont certains morceaux inspirés par Mendelssohn. Nous ne parlerons pas des caprices secondaires sur des mélodies de ce compositeur (op. 67 et 72), nous arrivons de suite à trois œuvres qui nous semblent d'une importance capitale : nous voulons parler des œuvres 69, 76 et 77.

L'œuvre 69 est intitulée: Fantaisie en forme de sonate sur un chant populaire (es ist bestimmt in Gottes Rath). En prenant pour motif le sujet très-simple de ce lied, sans jamais l'abandonner, en l'adaptant, au moyen de simples artifices de rhythme, à la forme de l'andante, du scherzo, du finale, Heller a écrit une œuvre très-intéressante, très-belle, et dans laquelle il a tellement fait abstraction de son propre style pour n'em-ployer que celui de son modèle, qu'il serait très-facile de présenter, à un auditeur non prévenu, le morceau comme étant un morceau de Mendelssohn.

Même remarque pour l'œuvre 76, caprice sur des thèmes de l'opéra le Retour de l'étranger, qui est d'un degré supérieur encore, et du meilleur Mendelssohn.

Dans l'œuvre 77, Saltarelle, sur un motif de la quatrième symphonie, Heller a mis davantage du sien. Cs morceau, néanmoins, forme avec les deux précédents, un ensemble digne de la plus grande attention.

Heller s'est essayé à un travail de même nature dans ses belles études sur Freyschutz. C'est bien là du style de Weber,

et du plus beau. Le compositeur s'est merveilleusement approprié la manière et jusqu'aux traits de ce maître, et il a fait une œuvre (op. 127) qui devrait servir de type à tous ceux qui croient pouvoir se permettre d'illustrer (le mot est à la mode) les œuvres immortelles des maîtres.

Dans les œuvres 130 et 133, l'auteur a employé le même système pour Beethoven. Dans l'œuvre 130, il a pris pour motif de trente-trois variations, celui qui avait déjà servi à Beethoven pour une œuvre analogue; dans l'œuvre 133, il a varié l'admirable motif de l'andante, de la sonate en fa mineur. Ces deux œuvres demandent, pour être interprétées, un exécutant de premier ordre. Elles se distinguent par une connaissance trèsapprofondie du style de Beethoven, dont un grand nombre d'œuvres sont mises à profit pour servir, au moyen d'artifices de rhythme et d'harmonie, de formules à certaines variations. Ces deux œuvres sont des plus remarquables, et nous admirons là encore le talent avec lequel Heller s'est tiré d'une entreprise dangereuse.

VI

Quoique Heller professe une prédilection très-particulière pour les petits cadres, les tableaux de genre et de sentiment, il a composé des œuvres de grande haleine, et il y a manifesté tant d'aptitudes que nous nous demandons par quel concours de circonstances ou de nécessités, ce beau talent n'a pas plus souvent déployé ses ailes et plané sur les grands horizons. Nous avons plus d'une fois manifesté nos préférences pour

cette magnifique forme musicale qui a nom sonate, et qui est celle de toutes les grandes œuvres, depuis la simple sonate de piano jusqu'à la symphonie. Elle a cela de particulièrement fécond que chaque partie peut en être détachée pour servir de cadre à des œuvres étendues, de telle sorte que l'andante, le scherzo, le rondo, développés séparément, constitueront des œuvres où le compositeur saura déployer les ressources les plus variées. Voyons ce que Heller a réalisé, en traitant la sonate et ses dérivés.

La première sonate (op. 9), écrite dans un style très-tendu et qui ne nous paraît pas suffisamment mélodique, n'a été publiée qu'en Allemagne, à Leipsig ; lorsqu'il la composa, l'auteur l'envoya morceau par morceau à Schumann. Tout en y reconnaissant les germes d'un vrai talent, l'illustre compositeur critique fit ses réserves sur cette œuvre, dont il publia, du reste, l'analyse dans son journal.

La sonate op. 65 est écrite d'une main très-sûre. Le style est ferme et serré, tout est élevé dans cette œuvre. Mais les mélodies ne sont pas suffisamment pénétrantes ni variées. Dans le premier morceau, le motif est plutôt une formule qu'un chant, formule à laquelle l'auteur reste fidèle jusqu'à la fin. Les développements sont d'une rare sagacité; mais le style est haletant et le caractère général trop sombre. La ballade qui sert d'andante rentre dans le même ordre d'idées; l'intermezzo ne s'en éloigne pas non plus; on retrouve dans le trio la formule même qui détermine le premier morceau de la sonate. Le meilleur morceau nous semble l'épilogue, qui se distingue par des qualités énergiques. Telle est notre impression au sujet de cette œuvre, remarquable à plus d'un titre, mais dont le défaut capital nous paraît être une trop grande uniformité de style.

La troisième sonate (op. 88) est moins serrée de style, moins développée; mais il se dégage de toutes ses parties un charme pénétrant, qui nous fait dire que c'est là une des meilleures inspirations de Heller. Le premier morceau est extrêmement mélodique; l'auteur y a introduit un développement qui ne trouve en général sa place que dans le concerto; c'est une sorte de cadence qui prépare la conclusion. Mais ce procédé est employé avec tant de discrétion qu'il ne change pas le caractère du morceau. — Le scherzo oscille entre un rhythme à trois temps qui a quelque affinité avec celui de la tarentelle et un rhythme à trois temps plus accentué. L'effet produit est charmant. L'allegretto, très-sobre de développements, est d'un caractère mélancolique plein de poésie. Le final, très-court, brille par la gaieté et l'entrain. Ces différences de teinte entre les diverses parties de la sonate produisent un heureux effet et soutiennent jusqu'au bout l'attention.

Heller a publié quatre scherzi . Le premier (op. 8), dédié à Robert Schumann, est un morceau écrit avec soin et pureté, qui indique des tendances élevées, révèle un compositeur d'avenir, mais qui est inférieur aux œuvres de même nature qui lui ont succédé.

L'œuvre 24, dédiée à Liszt, est pleine de fraîcheur, de jeunesse, d'originalité. C'est bien là une œuvre écrite au printemps de la vie, où tout est lumineux et souriant. Le scherzo fantastique (op. 57) appartient à un ordre d'idées plus troublé. C'est là une œuvre qui ne dément pas son titre. Heller a trouvé des accents d'une extrême originalité. Toute la première partie se distingue par une science des rhythmes peu commune et des oppositions de nuance saisissantes. La partie intermédiaire est tout à fait étrange; en étudiant l'ensemble du morceau, on se

« 前へ次へ »