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pas voulu, non plus, faire de ces grandes études dont Chopin a posé le dernier modèle. Il a écrit de petits poëmes lyriques, sans penser un instant à quelque but d'école; il a voulu faire d'agréables morceaux, ne rejetant aucun rhythme, aucune harmonie, s'astreignant seulement à ne pas dépasser un certain degré de difficulté, simplifiant la forme et évitant tout ce qui n'était pas absolument nécessaire à l'expression de sa pensée.

Son point de départ a été l'œuvre 16, l'Art de phraser, vingtquatre études, composées librement sans préoccupation d'éditeur; ces études affectent toutes les formes, surtout celle du lied. On y trouve des préludes, impromptus, chansonnettes, romances, églogues, etc. Quand Heller les joua à Paris, elles ne furent pas suffisamment appréciées. Une amie éclairée des arts, Mme Jenny Mongolfier, qui était la première autorité musicale de Lyon, où elle vit très-âgée et retirée du monde, vit par hasard ces études, publiées chez M. Schlesinger; elles la frappèrent, et elle écrivit à Heller pour s'informer de cet auteur inconnu qui avait fait de si charmantes pièces. Depuis, elle fit,dans les limites de ses moyens, tout ce qu'elle put pour populariser l'ouvrage. Mais elle éprouva des résistances.

Le succès vint cependant, et, avec le succès, les éditeurs. On commanda des études à l'auteur, et c'est ainsi qu'il lui fallut écrire les vingt-cinq études de l'œuvre 45 pour faire introduction à l'œuvre 16; puis l'œuvre 46 pour préparer aux études de l'œuvre 45, et enfin l'œuvre 47 pour servir de prologue à l'œuvre 46. Il lui fallut composer trois ou quatre études par jour, retrancher des passages que l'éditeur toruvait trop savants ou trop difficiles, en ajouter d'autres... Eh bien! ce furent ces études qui, pendant longtemps, eurent le seul, le véritable succès. Heller était cité comme un agréable compositeur d'é

tudes; le reste ne comptait pas. Ces études sont une source de revenu pour les éditeurs, pendant que certaines compositions où Heller a mis toute son âme et tout son talent restent inconnues sur les rayons. Après trente ans, un professeur de piano du Conservatoire de Vienne (M. Hans Schmit) vient de publier un travail de bénédictin sur toutes les études; il y a ajouté les préludes op. 81 et l'œuvre 138, il a classé les deux cent quatre pièces dont se composent ces recueils, indiqué l'ordre d'après lequel il faut les travailler, en les déclarant indispensables pour l'art du piano moderne.

L'op. 90, Nouvelles études, appartient à un tout autre ordre d'idées que les œuvres 16, 45, 46, 47. Heller ne les a pas faites sur commande. C'est une série de morceaux qui rappellent les Promenades d'un solitaire, dans un ordre d'idées tout à fait élevé. Depuis les premiers qui peignent l'enfant mutin égaré dans les bois, jusqu'aux derniers qui peignent les souffrances de l'âge mur, le côté dramatique de la vie, l'inspiration ne faiblit pas, et, sans l'avoir voulu, Heller a peut-être écrit là une de ses œuvres les plus personnelles et les mieux inspirées.

Op. 125: Vingt-quatre Nouvelles études d'expression.-C'est dans l'ordre d'idées des Préludes à Lili. C'est de l'infiniment petit, du plus charmant et du plus délicat. La dernière pièce : la Leçon de piano, avec l'exercice des cinq doigts et le souvenir de Cramer, est une des plus aimables fantaisies que l'on puisse imaginer.

Heller a écrit des études séparées, op. 96, op. 116. Dans l'étude op. 96 il a, contre ses habitudes, sacrifié à la virtuosité. Des deux études de l'œuvre 116, nous préférons la première, qui déborde de sentiment et de poésie.

XIV

Dans cette rapide analyse de l'œuvre de Heller nous avons dû négliger bien des morceaux. Il en est qu'il serait injuste de passer sous silence, notamment les douze pièces écrites avec le violoniste Ernst, sous le titre de Pensées fugitives, qui sont charmantes. — Nous donnons, du reste, à la fin de cette étude, la liste complète des compositions de Heller. Ce catalogue permettra de juger de l'importance du monument et inspirera à plus d'un le vif désir d'en connaître les détails.

XV

Le troisième style d'un artiste consiste quelquefois dans l'exagération de certains procédés pour lesquels il se pas

sionne.

Dans les premiers temps de sa carrière artistique, Heller a écrit des morceaux assez développés. Il en a même écrit depuis. Il y a aujourd'hui chez lui une tendance à restreindre les proportions de ses œuvres. Il s'est, sans doute, aperçu avec effroi que, pour maintenir l'attention du public pendant toute l'étendue d'un concerto, d'un caprice longuement traité, voire même d'une sonate, il ne fallait pas s'abstraire trop longtemps dans l'idée pure, mais flatter de temps à autre l'oreille en usant des ressources matérielles qui font briller l'instrument, avoir re

cours, en un mot, à la virtuosité. Or, Heller n'aime pas la virtuosité. Là où la virtuosité apparaît trop, pense-t-il, le penseur s'efface; - donc pas de virtuosité.

Il y a du vrai dans cette manière d'envisager l'art. Il est évident que si l'on s'attache trop à l'effet matériel, on néglige la pensée. Mais est-il absolument sage de renoncer à tout jamais à ce procédé? Un pianiste devra-t-il proscrire impitoyablement le trait brillant, le passage, comme disent les Allemands? Il est certain qu'une certaine école, qui tend à disparaître, en avait abusé au point d'étouffer la pensée sous les ornements, en admettant toutefois qu'il y eût une pensée cachée.

Le trait, cependant, peut être mélodieux par lui-même ou, encore, accentuer, sous-entendre, rappeler une pensée déjà émise. S'il est bien rhythmé, symétrique, n'est-il pas un repos pour l'auditeur, un temps d'arrêt qui lui permet, pendant que son oreille est doucement caressée, de méditer l'idée première du compositeur, d'en prévoir, d'en attendre le retour; et combien de traits délicieux de Hummel, de Field, de Chopin ne sont pas eux-mêmes de véritables mélodies!

En supprimant, de parti pris, tout ce qui touche à ce genre de virtuosité, on en arrive fatalement à diminuer les proportions de l'œuvre, car l'oreille ne pourrait longtemps se complaire en des œuvres de longue haleine où il n'y aurait jamais un instant de repos ou de détente.

Nous savons bien que la grandeur n'est que chose relative, que tout est affaire de proportions, de symétrie, que la beauté peut résider aussi bien dans une symphonie que dans un lied et qu'un tableau de Meissonier peut valoir une toile d'Ingres.

Gardons-nous néanmoins d'exagérer les conséquences de

ce principe. Nos yeux et nos oreilles sont faits à de certaines proportions qu'il ne faut pas restreindre à plaisir.

Ces réserves faites sur certaines œuvres minuscules de Heller, nous voudrions caractériser le rôle de cet éminent artiste et lui assigner un rang parmi les maîtres.

Est-ce un classique, est-ce un romantique? - Question que l'on se serait gravement posée, il y a quelques vingt ans. Aujourd'hui, il n'est pas plus question des classiques et des romantiques au dix-neuvième siècle que de la grande querelle des Gluckistes et des Piccinnistes au dix-huitième : Querelles de mots et non de choses. Heller est tout simplement un grand artiste qui a voulu et qui a su être novateur.

L'art n'est pas circonscrit dans des limites étroites qu'il soit à jamais interdit de franchir. Les purs classiques étaient insen-. sés quand ils ne concevaient, pour les manifestations de l'art, que certaines formes convenues. Les romantiques n'étaient pas plus sages lorsqu'ils proscrivaient d'une manière absolue ces formes consacrées par le temps, par l'expérience, par l'admiration de tous les siècles.

Il est certain qne si l'on veut écrire une sonate, un trio un qnatuor, une symphonie, dans une autre forme que celle qui fut illustrée par Haydn, Mozart, Beethoven, Mendelssohn, on court grand risque de faire fausse route et de manquer l'effet. Un jour Beethoven, infidèle à sa propre tradition, imagina de mêler les voix aux instruments, dans la symphonie; il ne commit qu'une grosse erreur, erreur sublime, tempérée par le génie, si l'on veut, mais que l'on doit condamner au nom des principes. Mendelssohn eut le tort de vouloir l'imiter.

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