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STEPHEN HELLER

I

Stephen Heller est né le 15 mai 1815 à Pesth, en Hongrie. Mais son nom, comme le caractère de sa musique, décèlent une origine allemande (1).

Son père lui fit faire ses études au collège des pères Piaristes; mais, ce qui dominait chez l'enfant était un goût des plus vifs pour la musique. Celui qui guida ses premiers pas dans la carrière artistique n'était pas fait, cependant, pour lui tracer les routes de l'idéal: c'était un basson de la musique d'un régiment d'artillerie, un Bohême, en garnison à Pesth; plus tard, un bon maître le remplaça, M. Franz Brauër. —A l'âge de neuf ans, Heller exécuta avec son maître, au théâtre de Pesth, le concerto de Dusseck pour deux pianos. Quelques années après, les succès qu'il obtint et sa prédilection pour la musique décidèrent son père à céder à ses instances et à celles de quelques amis; il lui laissa la liberté de suivre une carrière vers laquelle l'entraînait une vocation irrésistible; il

(1) Le père et la mère de S. Heller étaient nés en Bohême, près d'Eger. Ses grands parents étaient Autrichiens,

l'envoya à Vienne pour y continuer ses études, sous la direction de Charles Czerny. Mais le célèbre musicien mettait à son enseignement un prix tellement exorbitant, que l'enfant ne put recevoir qu'un petit nombre de leçons de cet excellent maître; - il devint élève d'un autre professeur renommé à Vienne, et comme musicien et comme un des amis peu nombreux de Beethoven, qui l'estimait particulièrement, M. Antoine Halm.

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En 1827, le jeune Heller se fit entendre dans des concerts à Vienne et à Pesth: il avait 12 ou 13 ans. Ce fut alors que commença son odyssée, son tour d'Allemagne qui devait le porter un jour à Paris, où, comme Chopin, il fixerait à jamais sa résidence.

Accompagné de son père, qui se chargeait de tous les détails matériels et financiers, l'enfant parcourut la Hongrie, la Pologne, l'Allemagne du nord, en donnant des concerts. Il y avait, à cette époque, une sorte d'engouement pour les enfants prodiges; ils pullulaient. Le jeune Heller avait des doigts agiles, l'aplomb de l'inexpérience; il avait, de plus, une faculté rare, le don de l'improvisation. L'affiche annonçait, qu'à la fin du concert, Stephen Heller improviserait sur des thèmes donnés par l'honorable auditoire, et ces fantaisies libres (freie phantasie), comme on les appelait, charmaient le public.

Que pouvaient être ces élucubrations d'une jeune imagination à laquelle les œuvres des grands maîtres n'avaient pas servi d'aliment? L'enfant ne connaissait rien de Beethoven, presque rien de Mozart ou d'Haydn, pas un quatuor, pas une symphonie; peut-être avait-il entendu à Vienne quelques-uns de ces chefs-d'œuvre; mais il n'y avait prêté qu'une oreille distraite ou ennuyée. Son éducation musicale se bornait à savoir

jouer nettement certains concertos de Moschelès, Hummel, Ries et plusieurs variations brillantes, ainsi que des rondeaux de ces mêmes auteurs; des airs variés de Herz, enfin des morceaux de concert de Kalkbrenner.

Si cette existence ne contribua pas à former le goût musical du jeune virtuose, elle ne fut pas stérile à d'autres points de vue. Si elle ne fit pas l'artiste, elle fit l'homme. Le jeune Heller était très-observateur: c'était une nature réfléchie; les impressions se fixaient dans son cerveau et y laissaient une empreinte durable. Lorsque l'artiste se révéla, il n'eut plus qu'à consulter sa mémoire, et, en retrouvant comme dans un casier bien ordonné les souvenirs de sa jeunesse, il n'eut qu'à laisser errer ses doigts sur le piano pour en faire jaillir une foule de mélodies dont les origines lointaines étaient ces premières impressions d'un jeune cœur et d'une intelligence précoce.

Que ne vit-il pas ! que n'entendit-il pas pendant ces trois ou quatre années où, comme le jeune Meister, il fit son apprentissage de la vie dans les coulisses du vaste monde ! — Il vit toute sorte d'artistes, les uns reconnus grands dans l'univers entier, les autres grands seulement dans leur village; il vit de doctes professeurs de grandes universités, dont les femmes et les filles parlaient de Mozart et de Beethoven comme leurs pères parlaient de Grotius et de Puffendorf, ou de Virgile et de Tacite, - et qui jouaient avec délices les variations de Herz et l'Orage de Steibelt.

Tout le monde, en Allemagne, cultivait la musique et se piquait d'être artiste, depuis le souffleur du théâtre de Dessau, qui avait, en Allemand qui se respecte, composé sa part d'oratorios et de symphonies, jusqu'au président de la Cour suprême qui ne dédaignait pas de soupirer un tendre lied. Tous accueil

laient avec bienveillance le jeune garçon qui savait si agréablement faire parler le forte-piano.

Pendant que son père prenait à sa charge tous les soins matériels que nécessitait la situation de belligérants cherchant à se faire nourrir par l'ennemi, ainsi que doit agir tout envahisseur, le jeune Heller observait, observait sans cesse et classait dans sa tête le tableau mouvant que déroulait à ses yeux ce monde madgyar et slave si plein de contrastes étranges. Il vit des nobles polonais fiers de leur race et encore pleins des passions et des vices de l'âge féodal; d'autres plus instruits, plus éclairés, plus généreux; des grands seigneurs russes, despotes et tyrans, adorant Voltaire, Rousseau, et faisant donner le knout à des femmes; d'autres fins et délicats comme des petits maîtres du dix-septième siècle. Il vit les patriotes sur les grands chemins de l'exil, emportant dans leur cœur brisé l'image adorée de la patrie. En se rapprochant des contrées plus policées de l'Allemagne, que de fois n'eut-il pas affaire à l'innombrable tribu des journalistes ràpés, des barbouilleurs incompris, des musiciens inédits!

Goëthe a raconté les années d'apprentissage et les années de voyage de Wilhelm Meister: il est à regretter que Heller n'ait pas fixé sur le papier ses souvenirs. Les impressions de l'enfance sont toujours les plus vives et les plus durables. C'est le point de départ de la vie, et telle résolution de l'âge mûr dépend d'une de ces empreintes restée latente dans un coin du cerveau. C'est ce qui donne tant de charme aux récits qui nous sont donnés de l'enfance des grands hommes et des héros, réels ou imaginaires.

Après avoir passé son hiver à Cracovie, le jeune Heller visita Breslau, Dresde, Leipsig, Magdebourg, Brunswick, Cassel,

Hanovre et Hambourg'; il passa dans cette dernière ville son second hiver, en donnant, comme partout, des concerts. Mais, déjà fatigué, dégoûté de la vie nomade, il songeait à retourner en Hongrie.

Il se remit donc en route avec son père, passant par Cassel, Franckfort, Nuremberg et Augsbourg. Il arrivait dans cette dernière ville, exténué de fatigue et malade; il approchait de ses dix-sept ans et commençait à comprendre que son éducation musicale était à faire, qu'il n'était qu'un pianiste aux doigts agiles, ne connaissant de l'art que ce que l'on appelait les morceaux de concert. Quelques leçons élémentaires d'harmonie, qu'il avait reçues à Pesth du vieil organiste Cibalka, composaient tout son bagage scientifique.

Une dame du grand monde d'Augsbourg, amateur passionnée du piano, entendit Heller à son concert, et s'intéressa à lui. Cette dame avait des enfants qui commençaient à se livrer à l'étude de cet instrument. Heller fut prié de leur donner des leçons et invité à se loger près de ses élèves en qualité d'ami. Son père le laissa dans cet intérieur et retourna à Pesth, dans sa famille. A cette époque, un artiste français, compositeur dramatique et auteur d'un Macbeth, Chélard, était à Augsbourg et dirigeait l'Opéra. Ses conseils guidèrent Heller, pendant quelque temps, dans les études de composition. Mais la connaissance qui lui fut la plus avantageuse fut celle du comte Fugger, descendant de l'illustre famille des Fugger, homme distingué entre tous, officier supérieur de l'armée bavaroise. Ses camarades n'appréciaient pas ses talents militaires, mais c'était un homme d'une immense lecture; il possédait une riche bibliothèque littéraire et musicale; c'était un penseur, un philosophe, un chrétien dans le sens le plus

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