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et de rage qu'il contient. Un peintre qui auroit à représenter
une amante furieuse d'une réponse qui la désespère et d'un
abandon qui l'outrage, ne pourroit mieux faire que de rendre
l'attitude et les mouvemens que Virgile donne ici à Didon.
C'est ce que M. Moreau a exécuté avec succès dans la gra-
vure qui est à la tête de ce volume. Didon commence par
l'injure qui doit être la plus sensible au cœur d'Énée. Sa
gloire étoit d'être issu du sang troyen,
d'être chargé par les
dieux d'en perpétuer la race: et dès le premier vers elle lui
refuse cet honneur; le descendant de Dardanus n'est plus
que l'enfant du Caucase, et le nourrisson d'une tigresse.
Racine a imité les mouvemens les plus remarquables de ce
discours, dans la tragédie d'Andromaque. Voici surtout
trois vers qui en sont une traduction presque littérale.
En ai-je pu tirer un seul gémissement?

Tranquille à mes soupirs, muet à mes alarmes,
Sembloit-il seulement qu'il eût part à mes larmes ?
(Act. V, sc. I.)

45) PAGE 48, VERS 7.

Jam jam nec maxima Juno,

Nec Saturnius hæc oculis pater adspicit æquis.

Le premier des crimes pour une femme, c'est l'indifférence et l'ingratitude. Jupiter et Junon deviennent injustes, du moment où Énée se montre insensible; et toute vertu disparoît aux yeux de Didon, lorsqu'elle ne voit plus qu'un traître dans son amant : Nusquam tuta fides.

A qui se confier, quand Énée est un traître?

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46) PAGE 52, VERS 6.

At pius Æneas, quamquam lenire dolentem, etc.

Virgile, avant de faire partir Ênée, comme s'il eût prévu les torts que les critiques devoient lui donner un jour, a soin de le représenter affligé de son départ involontaire, et désirant adoucir la douleur de Didon: Lenire dolentem solando cupit. A ces regrets, il oppose immédiatement le respect du héros pour les ordres des dieux, et l'empressement de ses compagnons prévenus comme lui de la grandeur de leurs destinées. Cet empressement est parfaitement bien exprimé par ces matériaux encore bruts dont ils dépouillent les forêts. voisines, et qu'ils entassent à la hâte sur le rivage. J'ai remarqué ailleurs la beauté de la comparaison des Troyens avec les fourmis, qui réunit la vérité des détails, l'élégance, l'harmonie, et ce degré de justesse qui doit lui suffire. Quand les poëtes rapprochent les hommes des animaux, il faut qu'ils aient soin de rapprocher de l'homme les animaux eux-mêmes; c'est ce que Virgile a fait en donnant aux fourmis une espèce de discipline militaire: Agmina cogunt, castigantque moras. 47) PAGE 54, VERS 2.

Quis tibi tunc, Dido, cernenti talia sensus?

Cette apostrophe pathétique, adressée à Didon, nous fait partager sa situation pénible et ses émotions douloureuses comme amante délaissée, Virgile la peint souffrante; et comme reine humiliée, elle est obligée de descendre de la hauteur de son rang aux supplications et aux prières. Le dis

cours qu'elle adresse à sa sœur est peut-être le plus touchant de ceux que Virgile a mis dans sa bouche. Elle attaque le cœur d'Énée par tout ce qu'il y a de plus affectueux et de plus modeste, par tout ce qu'il y a de plus capable de le fléchir. Lorsqu'ils représentent des amantes réduites au dernier degré du désespoir, les poëtes leur prêtent toujours les demandes les plus modérées. C'est ainsi qu'Hermione dit à Pyrrhus, dans la belle tragédie d'Andromaque :

Ordonnez votre hymen, j'y consens; mais du moins
Ne forcez pas mes yeux
d'en être les témoins.

Pour la dernière fois je vous parle peut-être :

Différez-le d'un jour, demain vous serez maître.

(Acte IV, sc. 5.)

Des formes à peu près semblables sont employées par Didon, elle ne demande plus à Énée de partager son trône et son lit, mais seulement de donner à sa douleur le temps de s'affoiblir, et à son courage celui de s'y préparer.

48 PAGE 56, VERS 9.

Tempus inane peto, requiem spatiumque furori, etc.

Un sentiment non moins naturel aux femmes délaissées c'est de n'avoir aucun tort aux yeux de ceux qui en ont de si grands envers elles : « Ai-je, s'écrie Didon, conspiré avec les » Grecs contre l'empire troyen? Ai-je envoyé mes vaisseaux >> contre Pergame? Ai-je troublé les mânes d'Anchise, ou » violé son tombeau? » Elle se feroit un crime de mettre obstacle à ses destinées, mais elle l'invite à attendre des vents plus favorables. Tous ces mouvemens sont naturels, vifs et

passionnés. Ce qu'il y a peut-être de plus délicat dans ce discours, ce sont les expressions par lesquelles Didon prête à Élise un grand ascendant sur l'esprit d'Énée. L'amour est tellement voisin de la jalousie, qu'il lui semble que sa sœur a pris sur son amant un empire qu'elle même n'a pu obtenir:

Toi seule sur l'ingrat avois pris quelque empire;

Dans son ame à toi seule il permettoit de lire.
Seule enfin, près de lui trouvant un doux accueil,
Tu savois du barbare apprivoiser l'orgueil.

Fata obstant, placidasque viri deus obstruit aures.

Ici Virgile, pour excuser Énée, ne se contente pas de dire qu'il obéit aux dieux, il ajoute qu'un dieu lui-même ferme les oreilles du héros aux prières de Didon. On ne pouvoit mieux peindre sa vertueuse inflexibilité, que par comparaison qui termine ce morceau; elle est également frappante par la beauté des images, et par celle de l'har

monie.

49) PAGE 58, VERS 10.

Tum verò infelix fatis exterrita Dido

ortem orat; tædet cœli convexa tueri.

la

Nous avons développé dans le préambule l'art infini avec lequel le poëte nous conduit à la mort de Didon. Un des premiers artifices de la poésie, dans l'épopée comme dans la tragédie, est de préparer le lecteur aux impressions qu'on veut produire. Il falloit beaucoup d'adresse pour amener cette reine, des fêtes qu'elle donne à son amant, au théâtre de sa mort.

5) PAGE 60, VERS 8.

Semperque relinqui

Sola sibi, semper longam incomitata videtur, etc.

Non seulement les veilles, mais les rêves même de Didon devoient être pleins de son amour; la manière dont Virgile les caractérise est du plus grand naturel : séparée d'Énée, elle ne voit dans son sommeil troublé que solitude et qu'abandon. Le vers qui exprime cette idée est de la plus mélancolique et même de la plus lugubre harmonie. Tout ce qui suit est d'une extrême énergie; c'est dans les héros de théâtre les plus renommés par la violence de leur passion, et l'horreur de leurs remords, que Virgile a cherché quelque chose de ressemblant aux mouvemens tumultueux dont Didon est agitée.

51)

PAGE 60, VERS 18.

Mostam dictis aggressa sororem,

Consilium vultu tegit, ac spem fronte serenat, etc.

:

l'on

Le désespoir le plus touchant est toujours celui que dissimule telle est la situation de Didon; elle a avoué son amour à sa sœur, mais elle lui cache ses projets de mort. Virgile avoit déjà employé une partie de cette idée, en disant plus haut, hoc visum nulli, non ipsi effata sorori. L'idée de la prêtresse est non seulement poétique, mais pleine de vérité. Les devineresses et les nécromanciens ne sont consultés par aucune passion autant que par l'amour, la plus inquiète, la plus curieuse et la plus superstitieuse de toutes. Didon a une telle idée de la violence des feux dont elle est dévorée,

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