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qu'elle n'espère pouvoir en être délivrée que par une puissance surnaturelle, par une main capable d'arrêter les astres et les fleuves dans leur cours.

52) PAGE 62, VERS 20.

Hæc effata silet. Pallor simul occupat ora.

Le sang-froid et le calme qu'affectent quelquefois les grandes passions font bientôt place aux mouvemens involontaires de la nature. Didon vient de dissimuler les apprêts de sa mort: mais à ses discours pleins d'une tranquillité qu'elle n'a pas, succède bientôt un morne silence; et le rayon d'espérance qu'elle a cherché à faire briller sur son front, est remplacé par la pâleur de la mort qui déjà est devant ses yeux, suivant cette belle expression, pallida morte futura.

53) PAGE 64, VERS 1.

Aut graviora timet quàm morte Sichæi.
Ergo jussa parat.

Il falloit rendre vraisemblable l'obéissance imprévoyante d'Élise; et, après les marques de regret et de fidélité que la reine a données à son premier époux, sa sœur ne peut imaginer que, lui ayant survécu, elle puisse mourir du départ d'Énée. Le lecteur, une fois prévenu par Didon ellemême de ce qui doit arriver, ne peut lire sans intérêt aucun des détails qui conduisent à la catastrophe. Jusque-là, par la magie du récit, cette amante est toujours sur la scène, et l'intérêt qu'elle inspire attache à toutes les circonstances

qui préparent le funeste évènement. Enfin ce récit pathétique porte à l'imagination du lecteur une foule d'idées que la représentation théâtrale elle-même auroit peine à produire; car on peut souvent dire ce qu'il est impossible de mettre sur la scène.

54) PAGE 64, VERS 8.

Et crines effusa sacerdos

Ter centum tonat ore deos, Erebumque, Chaosque, etc. Pour recommander cette description, il suffit de rappeler qu'elle a fourni à J.-B. Rousseau l'idée de l'un de ses plus beaux ouvrages, la Cantate de Circe, à laquelle un choix heureux des différentes mesures appropriées au sujet donne une sorte de supériorité sur les vers de Virgile lui-même. Voici ceux qui paroissent le plus évidemment imités du poëte latin:

C'est ainsi qu'en regrets sa douleur se déclare;
Mais bientôt, de son art employant le secours
Pour rappeler l'objet de ses tristes amours,
Elle invoque à grands cris tous les dieux du Ténare,
Les Parques, Némésis, Cerbère, Phlégéthon,

Et l'inflexible Hécate, et l'horrible Alecton.
Sur un autel sanglant l'affreux bucher s'allume, etc.

55) PAGE 66, VERS 2.

Nox erat, et placidum carpebant fessa soporem, etc.

C'est un effet dès long-temps remarqué, que l'impression de la nuit sur les ames passionnées; la solitude et le silence

semblent nourrir et accroître toutes les inquiétudes par l'absence des objets qui peuvent les distraire. C'est ce que j'ai essayé d'exprimer dans une peinture des effets de la solitude et des ténèbres :

Ah! que la nuit alors, jointe à la solitude,
De l'homme délaissé nourrit l'inquiétude!

L'absence des objets rend ses maux plus présens;
Rien n'en distrait son cœur, son esprit, ni ses sens;
Exhalant en soupirs sa tristesse farouche,

De sa longue insomnie il tourmente sa couche;
Il se roule, il se lasse à chercher le repos;
Tout son sang embrasé précipite ses flots,
Jusqu'à l'heure où l'Aurore, humide de rosée,
Apporte un peu de calme à son ame épuisée,
Et, chassant de la nuit les funèbres vapeurs,
Rend et le jour au monde, et l'espérance aux cœurs.
(Imagination, ch. Iv.)

Cette peinture du sommeil agité de Didon prouveroit seule quelle connoissance profonde Virgile avoit du cœur humain, et avec quelle fidélité il en savoit saisir les mouvemens. Ajoutons que cette turbulence est dans un contraste parfait avec le repos de la nature entière décrit en vers si doux et si mélodieux. Virgile a emprunté cette idée d'Apollonius de Rhodes, dont il a imité quelques autres passages; mais c'est dans cette imitation même qu'il a peutêtre le mieux montré son talent, par le choix judicieux des traits empruntés. « Tout étoit calme, dit Apollonius; les >> sentinelles qui veilloient aux portes commençoient à s'as

» soupir; la mère qui avoit pleuré son enfant commençoit à >> céder au besoin du sommeil. » C'est ce dernier trait que Virgile a supprimé, parce qu'il a senti qu'il ne falloit pas d'avance user la peinture de la douleur de Didon par celle d'une mère éplorée. Il s'est donc contenté de présenter le calme qui règne dans les villes, sur les mers et dans les bois, et le repos général de tous les êtres vivans ou inanimés.

J.-J. Rousseau offre aussi un bel exemple du calme de la nature en contraste avec les passions violentes et désordonnées, dans la 17. lettre de la Nouvelle-Héloïse, où SaintPreux raconte une navigation nocturne qu'il fit avec son amante sur le lac de Genève. C'est peut-être le seul écrivain dont on puisse quelquefois opposer la prose à la plus belle poésie.

<< Insensiblement la lune se leva, l'eau devint calme, et » Julie me proposa de partir. Je lui donnai la main pour >> entrer dans le bateau, et en m'asseyant à côté d'elle je ne » songeai plus à quitter sa main. Nous gardions un profond >> silence. Le bruit égal et mesuré des rames m'excitoit à » rêver. Le chant assez gai des bécassines me retraçant les

plaisirs d'un autre âge, au lieu de m'égayer, m'attristoit. » Peu à peu je sentis augmenter la mélancolie dont j'étois » accablé. Un ciel serein, la fraîcheur de l'air, les doux » rayons de la lune, le frémissement argenté dont l'eau >> brilloit autour de nous, le concours des plus agréables » sensations, la présence même de cet objet chéri, rien ne » pouvoit détourner de mon cœur mille réflexions doulou

»reuses. ».

56) PAGE 66, VERS 9.

At non infelix animi Phœnissa, etc.

Voltaire, qui a essayé de traduire ce passage, est tombé dans une erreur peu importante à la vérité, mais que son grand nom nous oblige de relever. Il rend at non infelix Phonissa par ces mots, Phenisse veille et pleure; ainsi Phænissa, qui exprime simplement le pays dont Didon est originaire, devient par l'inadvertance de Voltaire un nom de famille.

Accipit, etc.

57) PAGE 66, VERS 10.

Oculisve aut pectore noctem

Elle ne reçoit la nuit ni dans ses yeux, ni dans son cœur. On sent combien il étoit impossible de transporter cette hardiesse dans notre langue.

58) PAGE 66, YERS 14.

En quid ago? rursusne procos irrisa priores, etc.

Ce discours est plein des incertitudes et des irrésolutions qui doivent naturellement agiter Didon, dans la situation où elle se trouve : il prouve en même temps qu'il entre dans les dépits de l'amour blessé beaucoup d'orgueil; aussi c'est par ce sentiment que paroissent dictés la plupart des traits qui le composent. Didon regarde comme une humiliation insupportable de recourir au roi numide qu'elle a dédaigné, et aux Troyens dont l'ingratitude l'offense; elle ne voit donc d'asile que dans la mort, et ce n'est qu'en renonçant à la vie

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