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saye de se soulever; et l'autre, par des dactyles multipliés, la précipitation avec laquelle elle retombe. Le premier, qui exprime l'effort que fait cette malheureuse reine pour ouvrir les yeux, offre aussi un exemple non moins remarquable de cette harmonie; et c'est avec le même goût que le mot deficit est rejeté au vers suivant.

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PAGE 84, VERS 4.

Ergo Iris, croceis per cœlum roscida pennis,
Mille trahens varios adverso sole colores, etc.

Cette peinture d'Iris avec ses ailes brillantes et humides de rosée, dont l'image et l'harmonie sont également gracieuses, semble avoir pour objet de produire un contraste avec la tristesse des objets que Virgile vient de présenter, les horreurs du suicide et les angoisses de la mort.

à

Je ne puis finir ces observations sans rechercher ce qui a précédé et suivi Virgile dans cette belle peinture de l'amour. Les amours d'Ulysse et de Calypso semblent en avoir fourni la première idée, si admirablement perfectionnée; car il est propos de dire qu'on ne trouve nulle part dans Homère la peinture de toute la violence de cette passion. Calypso, maîtresse de sa destinée, et qui n'est liée par aucun serment, ne peut intéresser autant que Didon qui a voué à son premier époux une éternelle fidélité. Ulysse n'est pas, comme Énée, choisi par les dieux pour fonder un grand empire. Les discours de Calypso sont froids et insignifians; on n'y suit point les progrès de sa passion, qui d'ailleurs n'est pas aussi bien préparée que l'est celle de Didon par le récit des

grands exploits et des aventures malheureuses du héros de l'Eneide. Ulysse semble peu touché des bienfaits de la déesse; l'offre même de l'immortalité ne le seduit nullement, et ainsi sa situation ne peut avoir l'intérêt vraiment dramatique que donnent au pieux Énée les efforts qu'il est obligé de faire pour obéir aux dieux. La peinture d'Ulysse travaillant seul, et sans la moindre distraction, à la construction de la nacelle qui doit le transporter loin de Calypso, présente plus d'une inconvenance, et seroit indigne de l'épopée, si d'ailleurs elle n'étoit pas dans toute la simplicité des mœurs antiques. Mais c'est dans Homère que Virgile a pris sa principale idée : le quatrième livre de l'Eneide est dans le cinquième de l'Odyssée, comme le chêne est dans le gland. Virgile s'est aussi beaucoup aidé des amours d'Ariane et de Thésée; il en a emprunté des vers entiers, comme celui-ci :

Per connubia nostra, per inceptos hymeneos....

Néanmoins le poëte qui lui a fourni le plus grand nombre d'idées, c'est, sans contredit, Apollonius de Rhodes; on trouve dans cet auteur l'esquisse de plusieurs des plus beaux morceaux de l'Eneide.

Passons maintenant aux imitateurs. A leur tête est le Tasse. Didon ne peut avoir de rivale qu'Armide: mais il faut avouer qu'Armide n'eût pas existé sans Didon; ses discours les plus passionnés sont quelquefois littéralement traduits de Virgile. On ne peut nier que l'heureux emploi que le poëte italien a fait des enchantemens de la féerie n'ait ajouté

beaucoup aux grandes beautés de son poëme : ce palais enchanté, ouvrage de l'Amour, si chéri d'Armide tant qu'il est habité par Renaud, et livré aux flammes après son départ, est une des idées les plus heureuses qu'aucun poëte épique ait conçues.

La Gabrielle d'Estrées de Voltaire est assurément bien loin de Didon et d'Armide; et le chant de la Henriade con sacré à ses amours avec Henri IV est généralement regardé comme froid et sans caractère; ce n'est guère qu'une idylle amoureuse, dont la partie épique et la partie dramatique sont également foibles. On trouve dans quelques passages toute la galanterie française et des vers très-agréables, mais nulle part l'intérêt, la force, l'énergie, qui caractérisent le peintre de Didon; et ce qui y manque le plus, c'est l'incroyable variété que Virgile a su mettre dans un livre dont le sujet est tel qu'il sembloit devoir s'emparer de toutes les parties de son poëme. Les fêtes données aux héros, les pompes naissantes de Carthage, les cérémonies nuptiales, avec lesquelles doivent bientôt contraster les cérémonies funéraires, la description d'Atlas, de la Renommée, une foule d'objets de la nature adroitement mêlés au sujet principal, soit par des descriptions, soit par des comparaisons, donnent à ce livre une richesse et une magnificence de poésie qu'on cherclieroit en vain dans le chant correspondant de la Henriade. C'est dans ses belles tragédies que Voltaire a plus heureusement imité les anciens, et qu'il a, en quelque façon, racheté cette foiblesse.

Fénélon, disciple et imitateur des anciens, s'est beaucoup

plus rapproché de leur manière large et pittoresque. Il a, comine Virgile, fait la description d'une chasse; mais il se l'est appropriée par une foule de circonstances différentes, et toutes heureusement imaginées. Il a ajouté à l'intérêt de l'amour par la peinture de la jalousie, moyen que le caractère du héros de Virgile lui interdisoit; et il est le seul qui ait mis dans sa prose poétique assez d'images et d'harmonie pour faire oublier le charme des vers, que tous les autres poëtes ont jugé nécessaire à l'action épique. Enfin, ce qui a valu à son ouvrage un succès si général, c'est le grand fonds de moralité qui le distingue. Le malheur, la prospérité, la richesse et l'indigence, les peuples et les rois, y trouvent également d'utiles leçons. Il est hardi, sans être audacieux; aucun accent de sédition ne s'y fait entendre; et il semble que Louis XIV auroit bien pu s'y reconnoître, sans en être

blessé.

Tous les poëtes épiques ont cru devoir consacrer un de leurs chants à l'amour. Le Camoëns fait aussi débarquer les Portugais dans une île, où les Néréides, enflammées par Vénus et Cupidon, de concert avec le Père éternel, s'efforcent de les retenir. Indépendamment du mélange monstrueux des divinités du paganisme avec la religion chrétienne, cet épisode est écrit avec si peu de ménagement, que l'île enchantée de la Lusiade, ressemble beaucoup plus à un lieu de débauche qu'au séjour des dieux. Ce seroit outrager Virgile, de lui comparer de pareilles productions.

que

Enfin, le récit des amours de Didon a de tous les temps charmé les ames sensibles. Ovide ne se lassoit pas de le lire;

saint Augustin a donné aux malheurs de cette reine, des larmes dont il s'est accusé. Mais, quelque admirable que soit le quatrième livre de l'Enéïde, les lecteurs doivent se garantir de ce degré de séduction qui leur feroit lire les autres avec dédain. Un amateur, un véritable ami de la belle nature, après avoir parcouru avec plaisir de riantes prairies, des lieux fertiles, de riches pâturages, voit souvent avec plus de plaisir encore des terres montagneuses, recouvertes intervalles d'une fraîche verdure; des roches incultes et sauvages, ombragées d'arbres majestueux, ou coiffées de jeunes arbustes qui parent d'un vert feuillage leurs fronts chauves et stériles. Ses yeux parcourent avec intérêt toutes ces variations de la nature, et il aime à voir des beautés inattendues corriger l'âpreté d'un sol aride et montueux.

par

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