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Ainsi donc l'auteur de l'Eneide a pu, comme l'auteur de l'Iliade, passer des plus fortes émotions dramatiques à d'amusantes descriptions qui varient son récit et reposent ses lecteurs. Achille, encore plein de son désespoir, fait célébrer des jeux autour du bûcher de Patrocle, comme Énée autour du tombeau d'Anchise. On n'ignore pas que ces jeux avoient, dans l'antiquité, la plus haute importance: ils se mêloient aux cérémonies les plus solennelles ; leur établissement et leur retour marquoient les plus grandes époques historiques; et, sous ce point de vue, ils sont très bien placés dans un poëme où Virgile chante le fondateur de sa nation. Ce cinquième livre a d'ailleurs d'autres avantages: il fait connoître quelques uns des principaux acteurs qui doivent jouer un rôle dans la suite du poëme. Au nombre des athlètes, paroissent Nisus et Euryale, dont la mort nous fera verser tant de larmes dans le neuvième livre; et ce brave Mnesthée, qui défendra le camp des Troyens contre Turnus pendant l'absence d'Énée.

1) PAGE 140, VERS 7.

Nec littora longè

Fida reor fraterna Erycis, portusque Sicanos, etc.

Eryx, selon la fable, étoit fils de Vénus et de Butès; il

régnoit sur un canton de la Sicile, appelé de son nom.

om Érycie. Se croyant invincible aux exercices du pugilat et du ceste, il osa défier Hercule, et fut tué dans le combat. Virgile appelle les bords de cette contrée littora fraterna, parce qu'Énée étoit aussi fils de Vénus, et par conséquent frère

d'Éryx. Non loin même fut bâti un temple à Vénus, qu'on

surnomma Érycine,

Tum vicina astris Erycino in vertice sedes
Fundatur Veneri Idaliæ,

comme le dit Virgile à la fin de ce même livre.

2) PAGE 140, VERS 16.

Hæc ubi dicta, petunt portus, etc.

Le port où relâche Énée est celui de Drépane, maintenant Trapano, au pied du mont Saint-Julien, autrefois le mont Éryx, dans le val de Mazara. Il faut se rappeler ces vers du troisième livre :

Hinc Drepani me portus et illætabilis ora
Accipit. Hic pelagi tot tempestatibus actus,
Heu! genitorem, omnis curæ casûsque levamen,
Amitto Anchisen, etc.

C'est en sortant du port de Drépane,

où il a
où il a perdu

Anchise, que le héros troyen est jeté par la tempête sur les côtes de Carthage; c'est en quittant la cour de Didon qu'il revient à ce même port, et qu'il y célèbre les funérailles de son père. Un an s'est écoulé dans l'intervalle, dit Énée lui

même :

Annuus exactis completur mensibus orbis....

Ainsi la durée de l'action épique n'a point de bornes précises; elle comprend plus d'une année dans l'Énéïde, et n'a pas deux mois dans l'Iliade.

3) PAGE 140, VERS 20.

Occurrit Acestes,

Horridus in jaculis et pelle Libystidis ursæ;

Troïa Criniso conceptum flumine mater

Quem genuit. Veterum non immemor ille parentum,
Gratatur reduces, etc.

Veut-on voir avec quelle exactitude Virgile avoit rassemblé toutes les anciennes origines, toutes les traditions nationales? il faut ouvrir Denys d'Halicarnasse. Il conduit Énée par la même route ; il le fait aborder aux mêmes lieux, bâtir les mêmes villes, et combattre les mêmes peuples: il nous apprend aussi qu'Aceste ou Égeste (car divers auteurs lui donnent indifféremment ces deux noms ) étoit d'origine troyenne, et gouvernoit une partie de la Sicile. Voici à peu près les paroles de l'historien ( liv. I, ch. 11):

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Quand Énée, dit-il, approcha de la Sicile, la violence » des vents, si fréquens sur cette mer, le contraignit à des» cendre dans l'île, en un endroit appelé Drépane, où il >> rencontra une colonie de ses compatriotes, sortis de Troie » avant lui, sous la conduite d'Hélyme et d'Égeste ou Aceste. Ceux-ci, dont le vent avoit favorisé la route, étoient ar» rivés promptement en Sicile; ils s'y étoient établis près » du fleuve Crinise, dans un canton que leur avoient cédé » les Sicaniens, en considération d'Aceste, né et élevé dans >> leur patrie, par l'aventure que je vais raconter:

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» L'aïeul d'Aceste, homme illustre et de race troyenne, >> eut quelque différend avec Laomédon. Le roi le fit mourir

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>> avec tous ses enfans mâles : il épargna ses filles: mais, » trouvant dangereux de leur permettre quelque alliance » avec les Troyens, il les remit à des marchands, avec ordre » de les mener dans une contrée lointaine. Un jeune homme » d'une naissance distinguée, amoureux de l'une d'elles, la >> suivit, et l'épousa en Sicile. Il en eut un fils nommé Aceste, qui fut élevé dans les mœurs et la langue du pays. Quand >> il eut perdu son père et sa mère, Aceste obtint de Priam » la permission de retourner dans la patrie de ses ancêtres : » mais, après avoir soutenu la guerre contre les Grecs, il >> revint en Sicile avec Hélyme.... Énée, accueilli par ces » deux Troyens, bâtit sur leur territoire deux villes qu'il appela de leur nom : il y laissa tous ceux de son armée » qui ne pouvoient plus résister aux fatigues d'un plus long >> voyage, et les femmes troyennes qui, lasses de traverser » les mers, avoient brûlé, dit-on, une partie de sa flotte, » dans l'espérance de l'arrêter en Sicile. »

On voit que le récit de Virgile est presque en tout conforme à celui de Denis d'Halicarnasse. Il ajoute seulement quelque chose de plus merveilleux à l'origine d'Aceste, en lui donnant pour père le fleuve Crinise:

Troia Criniso conceptum flumine mater
Quem genuit.

Mais il suffisoit que l'amant de la mère d'Aceste vécât près du fleuve Crinise, pour autoriser cette fable. La naissance de tous ces héros, issus des dieux de la mer et des fleuves,

s'explique aisément par le joli conte de La Fontaine, intitulé: Le fleuve Scamandre.

4) PAGE 140, VERS 21.

Horridus in jaculis et pelle Libystidis ursæ, etc.

Desfontaines, ainsi que Segrais, habille Aceste d'une peau de panthère, et non d'une peau d'ourse, sous prétexte qu'il n'y a point d'ours en Libye; mais Buffon' soutient l'autorité de Virgile contre ces deux traducteurs.

« Les ours noirs, dit l'auteur de l'Histoire naturelle, » n'habitent guère que les pays froids; mais on trouve des » ours bruns ou roux dans les climats tempérés, et même » dans les régions du midi. Les Romains en faisoient venir » de Libye pour servir à leurs spectacles. Il s'en trouve à la » Chine, au Japon, en Arabie, en Égypte, et jusque dans » l'île de Java, etc. etc, »

5)PAGE 144, VERS 14.

Ille e concilio multis cum millibus ibat

Ad tumulum, etc.

Ceux qui ont dit que Virgile avoit voulu réunir dans le caractère d'Énée toutes les qualités propres au fondateur d'un grand empire me paroissent avoir bien saisi le carac tère du poëte. Il donne tour à tour à son héros les vertus religieuses, politiques et guerrières. Les honneurs rendus à la mémoire des morts, sont peut-être ce qu'il y a de plus touchant et de plus moral dans le culte de tous les peuples: Énée a donc soin d'instituer les rites funèbres sur le tom

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