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Misène dont l'airain, cher au dieu de la Thrace,
Échauffoit la valeur et rallumoit l'audace.
Jadis, du grand Hector illustre compagnon,
Il portoit près de lui la lance et le clairon;
Mais quand Hector perdit la vie et la victoire,
Sous un autre héros gardant la même gloire,
Du vaillant fils d'Anchise il suivit le destin.
Un jour qu'il embouchoit l'harmonieux airain,
Provoqué par les sons de sa conque sonore,
Un des Tritons jaloux, qu'un noir dépit dévore,
Si le dépit est fait pour les ames des dieux,
Saisit dans sa fureur ce rival odieux,

Le plonge entre les rocs, sous la vague écumeuse.
Tous pleurent sa vaillance et sa trompe fameuse;
Et le héros surtout, du sommet d'un rocher,
Veut porter jusqu'aux cieux son superbe bûcher.
De l'antique forêt déjà les chênes tombent;
Les sapins orgueilleux sous la hache succombent :
Ils déchirent leurs troncs, il coupent leurs rameaux,
Et du sommet des monts font rouler des ormeaux.
Énée est à leur tête ; il médite en silence;
Et, plongcant ses regards dans la forêt immense :
« Oh! dans son vaste sein, si ce bois spacieux

» Me montroit le rameau que demandent les dieux!
» La sibylle l'annonce; et ta mort, ô Misène!
>> Me prouve trop combien sa parole est certaine;
» Et le destin, toujours trop fécond en douleurs,
» Ne m'a jamais en vain annoncé des malheurs. »

Ipsa sub ora viri coelo venêre volantes,

Et viridi sedêre solo. Tum maximus heros
Maternas agnoscit aves, lætusque precatur
Este duces, o, si qua via est, cursumque per auras
Dirigite in lucos ubi pinguem dives opacat
Ramus humum. Tuque, o, dubiis ne defice rebus,
Diva parens. Sic effatus, vestigia pressit,
Observans quæ signa ferant, quò tendere pergant.
Pascentes illæ tantùm prodire volando

Quantùm acie possent oculi servare sequentum.
Inde, ubi venêre ad fauces graveolentis Ayerni,
Tollunt se celeres; liquidumque per aëra lapsæ,
Sedibus optatis geminæ super arbore sidunt,
Discolor unde auri per ramos aura refulsit.
Quale solet silvis brumali frigore viscum
Fronde virere novâ, quod non sua seminat arbos,
Et croceo fetu teretes circumdare truncos:
Talis erat species auri frondentis opacâ
Ilice; sic leni crepitabat bractea vento.
Corripit Æneas extemplò, avidusque refringit
Cunctantem, et vatis portat sub tecta sibyllæ.

Nec minùs interea Misenum in littore Teucrì Flebant, et cineri ingrato suprema ferebant. Principio pinguem tædis et robore secto

Comme il disoit ces mots, deux colombes légères,
De la belle Cypris agiles messagères,
S'abattent sur la terre; et son regard surpris
Reconnoît de Vénus les oiseaux favoris.
Aussitôt il s'écrie: « Oiseaux de Cythérée!
» Si vous venez vers moi de la voûte éthérée,
> Volez; que votre vol me guide vers ces lieux
» Où ma main doit cueillir le rameau précieux.

» Et toi, ma mère, et toi, conduis-moi sur leur trace. »>
Le couple alors s'envole, et d'espace en espace,
Autant que l'œil de loin peut suivre son essor,
S'élève, redescend, et se relève encor.

Mais de l'affreux Averne et de ses lacs immondes
A peine ces oiseaux ont reconnu les ondes,
Ils détournent leur course, et d'un vol assuré
Vont se poser tous deux sur l'arbre désiré.
Son or brille à travers une sombre verdure.
Tel, quand le pâle hiver nous souffle la froidure,
Le gui sur un vieux chêne étale ses couleurs,
Et l'arbuste adoptif le jaunit de ses fleurs :
Tel étoit ce rameau; tel, en lames bruyantes,
S'agite l'or mouvant de ses feuilles brillantes.
Au doux frémissement, à l'éclat de cet or,
Le héros court, saisit, emporte son trésor,
Et vole triomphant l'offrir à la déesse.

Cependant les Troyens, accablés de tristesse,
Debout près de Misène, objet de leurs douleurs,
L'entouroient en silence, et répandoient des pleurs.

Ingentem struxêre pyram: cui frondibus atris

Intexunt latera, et ferales antè

cupressos

Constituunt, decorantque super fulgentibus armis. Pars calidos latices et ahena undantia flammis Expediunt, corpusque lavant frigentis et ungunt. Fit gemitus: tum membra toro defleta

reponunt; Purpureasque super vestes, velamina nota, Conjiciunt. Pars ingenti subiêre feretro,

Triste ministerium, et subjectam more parentum
Aversi tenuêre facem : congesta cremantur
Turea dona, dapes, fuso crateres olivo.
Postquam collapsi cineres, et flamma quievit,
Relliquias vino et bibulam lavêre favillam,
Ossaque lecta cado texit Corynæus aheno.
Idem ter socios purâ circumtulit undâ, (7
Spargens rore levi et ramo felicis oliva,
Lustravitque viros, dixitque novissima verba.
At pius Æneas ingenti mole sepulcrum
Imponit, suaque arma viro, remumque, tubamque,
Monte sub aërio, qui nunc Misenus ab illo (8

Dicitur, æternumque tenet per sæcula nomen.

D'abord, de troncs fendus, de rameaux sans verdure,

Ils dressent du bûcher l'immense architecture;

Et, du triste édifice entourant les apprêts,
En cercles sont penchés de lugubres cyprès :
Au-dessus, du héros on a placé les armes.

Pour en baigner ce corps, digne objet de leurs larmes,
Ils répandent les flots bouillonnans dans l'airain,
Et de riches parfums s'épanchent de leur main.
On gémit, on le met sur le lit funéraire,
De ses restes muets triste dépositaire;
On étend au-dessus ses habits précieux,
Dépouille si connue et si chère à leurs yeux!
D'autres, le regard morne et l'ame désolée,
Triste et lugubre emploi, portent le mausolée,
Suivant l'antique usage; et, tremblant d'approcher,
En détournant les yeux allument le bûcher.
L'encens, l'huile, les mets, les offrandes pieuses
Que jettent dans le feu leurs mains religieuses,
Brûlent avec le corps : des parfums onctueux
Arrosent les débris qu'épargnèrent les feux;
La douleur les confie à l'urne sépulcrale;
Le rameau de la paix répand l'onde lustrale.
On pleure encor Misène, on l'appelle trois fois,
Et les derniers adieux attendrissent leurs voix.
Énée à cet honneur en joint un plus durable :
Sur un mont il élève un trophée honorable,
Y place de sa main la lance et le clairon;
Et ces bords, ô Misène! ont conservé ton nom.

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