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Et des Remords rongeurs l'escorte vengeresse;
La pâle Maladie, et la triste Vieillesse ;
L'Indigence en lambeaux, l'inflexible Trépas,

Et le Sommeil son frère, et le Dieu des combats;
Le Travail qui gémit, la Terreur qui frissonne,
Et la Faim qui frémit des conseils qu'elle donne;
Et l'Ivresse du crime, et les Filles d'enfer
Reposant leur fureur sur des couches de fer;
Et la Discorde enfin, qui, soufflant la tempête,
Tresse en festons sanglans les serpens de sa tête.
Au centre est un vieil orme où les fils du Sommeil,
Amoureux de la Nuit, ennemis du Réveil,
Sans cesse variant leurs formes passagères,
Sont les hôtes légers de ses feuilles légères,
Là sont tous ces fléaux, tous ces monstres divers
Qui vont épouvanter l'air, la terre et les mers;
Géryon, de trois corps formant un corps énorme;
Le Quadrupède humain, fier de sa double forme;
L'Hydre, qui fait siffler cent aiguillons affreux;
La Chimère, lançant des tourbillons de feux;
Briarée aux cent bras, levant sa tête impie;
Et l'horrible Gorgone, et l'avide Harpie.
Énée alloit sur eux fondre le fer en main :

«< Arrête; tu ne vois qu'un simulacre vain;

» Marchons, dit la prêtresse, et quittons ces lieux sombres: » Ce n'est pas aux héros à combattre des ombres. >>

De là vers le Tartare un noir chemin conduit; Là l'Achéron bouillonne, et, roulant à grand bruit,

Estuat, atque omnem Cocyto eructat arenam.
Portitor has horrendus aquas et flumina servat
Terribili squalore Charon; cui plurima mento
Canities inculta jacet; stant lumina flammâ ;
Sordidus ex humeris nodo dependet amictus.
Ipse ratem conto subigit, velisque ministrat,
Et ferrugineâ subuectat corpora cymbâ;
Jam senior, sed cruda deo viridisque senectus.
Huc omnis turba ad ripas effusa ruebat:
Matres, atque viri, defunctaque corpora vitâ
Magnanimûm heroum, pueri, innuptæque puellæ,
Impositique rogis juvenes ante ora parentum :
Quàm multa in silvis autumni frigore primo
Lapsa cadunt folia; aut ad terram gurgite ab alto
Quàm multæ glomerantur aves, ubi frigidus annus
Trans pontum fugat, et terris immittit apricis.
Stabant orantes primi transmittere cursum,
Tendebantque manus, ripa ulterioris amore.
Navita sed tristis nunc hos, nunc accipit illos;
Ast alios longè submotos arcet arenâ.

Æneas, miratus enim, motusque tumultu,

Dans le Cocyte affreux vomit sa fange immonde.
L'effroyable Charon est nocher de cette onde.
D'un poil déjà blanchi mélangeant sa noirceur,
Sa barbe étale aux yeux son inculte épaisseur;
Un nœud lie à son cou sa grossière parure.
Sa barque, qu'en roulant noireit la vague impure,
Va transportant les morts sur l'avare Achéron;
Sans cesse il tend la voile ou plonge l'aviron.
Son air est rebutant, et de profondes rides
Ont creusé son vieux front de leurs sillons arides;
Mais, à sa verte audace, à son œil plein de feu,
On reconnoît d'abord la vieillesse d'un dieu.
D'innombrables essaims bordoient les rives sombres;
Des mères, des héros, aujourd'hui vaines ombres,
Des vierges que l'hymen attendoit aux autels,
Des fils mis au bûcher sous les yeux paternels;
Plus pressés, plus nombreux que ces pâles feuillages
Sur qui l'hiver naissant prélude à ses ravages,
Ou que ce peuple ailé qu'en de plus doux climats
Exile par milliers le retour des frimas,

Ou qui, vers le printemps, aux rives paternelles
Revole, et bat les airs de ses bruyantes ailes :
Tels, vers l'affreux nocher ils étendent les mains,
Implorent l'autre bord. Lui, dans ses fiers dédains,
Les admet à son gré dans la fatale barque,
Reçoit le pâtre obscur, repousse le monarque.
A cet aspect touchant, au tableau douloureux
Du concours empressé de tant de malheureux,

Dic, ait, o virgo, quid vult concursus ad amnem?
Quidve petunt animæ? vel quo discrimine ripas
Hæ linquunt, illæ remis vada livida verrunt?
Olli sic breviter fata est longæva sacerdos:
Anchisâ generate, deûm certissima proles,
Cocyti stagna alta vides, Stygiamque paludem,
Dî cujus jurare timent et fallere numen.

Hæc omnis, quam cernis, inops inhumataque turba est :
Portitor ille, Charon : hi, quos vehit unda, sepulti. (11
Nec ripas datur horrendas et rauca fluenta
Transportare priùs, quàm sedibus ossa quiêrunt.
Centum errant annos, volitantque hæc littora,circum;
Tum demum admissi stagna exoptata revisunt.

Constitit Anchisâ satus, et vestigia pressit,
Multa putans, sortemque animo miseratus iniquam.
Cernit ibi moestos, et mortis honore carentes,
Leucaspim, et Lyciæ ductorem classis Orontem,
'Quos simul a Trojå ventosa per æquora vectos
Obruit Auster, aquâ involvens navemque virosque.
Ecce gubernator sese Palinurus agebat,

Qui Libyco nuper cursu, dum sidera servat,

Le héros s'attendrit : « Prêtresse vénérable!

>> Pourquoi vers l'Achéron cette foule innombrable? >> Pourquoi de ces mortels sur la rive entassés

» Les uns sont-ils reçus, les autres repoussés ?

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-«< O prince! devant vous sont les ondes fatales, >> Le Cocyte terrible, et le Styx odieux,

» Par qui jamais en vain n'osent jurer les dieux. » Ce vieillard, c'est Charon, leur nautonnier horrible, >> Qui sur les flots grondans de cette onde terrible » Conduit son noir esquif, De ceux que vous voyez » Les uns y sont admis, les autres renvoyés: >> Les premiers ont reçu les funèbres hommages; >>> Les autres, sans cercueil, ont vu les noirs rivages. >> Tant qu'ils n'obtiennent pas les honneurs dus aux morts, >> Durant cent ans entiers ils errent sur ces bords; » Enfin leur exil cesse, et leur troupe éplorée

>> Atteint au jour prescrit la rive désirée. »

Le héros est ému d'un sort si rigoureux.
Oronte et Leucaspis frappent soudain ses yeux:
Tous deux ils avoient fui les murs fumans de Troie,
Et des flots mutinés tous deux furent la proie.
Palinure comme eux avoit fini ses jours:
Des astres de la nuit il observoit le cours,
Lorsqu'il tomba plongé dans la liquide plaine.
Le héros l'aperçoit, le reconnoît sans peine :
<«< Palinure, est-ce toi? Comment t'ai-je perdu?
Apollon, qui jamais en vain n'a répondu,

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