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» Pleure, cité de Mars; pleure, dieu des batailles. » O combien de sanglots suivront ses funérailles !

» Et toi, Tibre, combien tu vas rouler de pleurs

» Quand son bûcher récent t'apprendra nos malheurs!

>> Quel enfant mieux que lui promettoit un grand homme ? » Il est l'orgueil de Troie, il l'eût été de Rome.

» Quelle antique vertu! quel respect pour les dieux! » Nul n'eût osé braver son bras victorieux,

rose,

» Soit qu'une légion eût marché sur sa trace,
>> Soit que d'un fier coursier il eût guidé l'audace.
» Ah! jeune infortuné, digne d'un sort plus doux,
>> Si tu peux du destin vaincre un jour le courroux,
» Tu seras Marcellus.... Ah! souffrez que j'arrose
» Son tombeau de mes pleurs. Que le lis, que la
» Trop stérile tribut d'un inutile deuil,
» Pleuvent à pleines mains sur son triste cercueil;
» Et qu'il reçoive au moins ces offrandes légères,
» Brillantes comme lui, comme lui passagères. »
Ainsi tous deux erroient aux bois élysiens,
Tels tous deux parcouroient ces champs aériens.

Quand les grandeurs de Rome et toutes ses merveilles
Du héros des Troyens ont charmé les oreilles,
Et rempli tout son cœur de ses nobles destins,
Anchise offre à ses yeux les rivages latins,

Ce

Les peuples, les combats, les assauts qui l'attendent,
que le sort, les dieux et sa gloire demandent.
Deux portes du sommeil, deux passages divers
Aux songes voltigeans s'ouvrent dans les enfers:

Cornea, quâ veris facilis datur exitus umbris; Altera, candenti perfecta nitens elephanto : Sed falsa ad coelum mittunt insomnia Manes. His ubi tum natum Anchises unàque sybillam Prosequitur dictis; portâque emittit eburnâ. Ille viam secat ad naves, sociosque revisit. Tum se ad Caietæ recto fert littore portum: Anchora de prorâ jacitur; stant littore

puppes.

L'une, resplendissante au sein de l'ombre noire,
Est formée avec art d'un pur et blanc ivoire;
Par là montent vers nous tous ces rêves légers,
Des erreurs de la nuit prestiges mensongers:

L'autre est faite de corne, et du sein des lieux sombres
Elle donne passage aux véritables ombres.
Tel Anchise long-temps, par de sages avis,
Se plaît à diriger la prêtresse et son fils;
Ainsi, le cœur rempli de sa future gloire,
Le héros part, et sort par la porte d'ivoire.
Pensif, et méditant ses nobles entretiens,
Il marche, et va trouver la flotte des Troyens.
La voile est déployée; et, sans quitter la plage,
De Caïète bientôt il touche le rivage:
L'aucre tombe, et, des vents défiant les assauts,
Ses nefs le long du bord reposent sur les eaux.

REMARQUES

SUR LE LIVRE SIXIÈME.

Les siècles, en partageant leur admiration entre Homère et Virgile, ont assigné à l'un et à l'autre une gloire et des qualités différentes. Ils ont attribué généralement au premier l'invention et la force créatrice; ils lui ont donné parmi les poëtes la place que lui-même donne à son Jupiter parmi les dieux, et l'ont peint menant à sa suite tous les arts dont il est le maître et le modèle. Ce caractère de puissance et de fécondité par lequel on a voulu distinguer l'auteur de l'Iliade n'est point celui que les critiques accordent à l'auteur de l'Eneide. Mais ils reconnoissent dans ce dernier d'autres avantages; le goût, le jugement, la perfection des détails, et je ne sais quel heureux mélange de tendresse et de majesté, leur ont paru former les principaux traits de son génie : suivant eux, enfin, Homère prodigue les beautés, Virgile les met à leur place; l'un invente, et l'autre achève. Là, ils admirent une richesse inépuisable; ici, une sage magnificence: là, ils croient voir toutes les inspirations de la nature, qui ont été le fondement de l'art; ici, toutes les merveilles de l'art, qui reproduit et imite fidèlement la nature.

Ce genre de parallèle entre deux grands hommes peut offrir quelquefois des observations ingénieuses; mais il n'a jamais une exacte justesse. Le sixième livre de l'Eneide prouve seul, contre l'opinion générale, que le don de créer ne manqua point à Virgile. Dira-t-on que la descente d'Énée aux enfers est une copie de celle d'Ulysse? Mais, en bonne foi, quel rapport peut-on établir entre l'ébauche du poëte grec et le tableau du poëte romain? Ulysse, dans le onzième chant de l'Odyssée, voit passer devant lui des ombres confusément évoquées au bord d'une fosse par des cérémonies magiques sans intérêt et sans grandeur; les morts qu'il interroge sont presque tous étrangers à sa destinée; ils paroissent et disparoissent sans motif et sans objet : c'est une véritable phantasmagorie, Homère ne semble même avoir eu que des notions très vagues sur l'existence future de l'ame et sur le sort des justes et des méchans après le trépas; il ne montre à l'homme nulle perspective consolante au-delà de la tombe: il trace bien quelques images imparfaites d'une seconde vie; mais cette vie est triste comme la mort, et vaine comme le néant. On diroit même qu'il n'accorde aux grands hommes qui ne sont plus, ce simulacre d'immortalité que pour mieux flétrir la gloire et décourager l'héroïsme. Ulysse aperçoit l'ombre d'Achille qui domine toutes les autres; il félicite le héros de garder encore le premier rang au milieu des morts. Achille pousse un profond soupir, et répond << qu'il aimeroit mieux être l'esclave du plus indigent » des laboureurs, que de régner sur le peuple entier des » ombres. »

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