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dans ce sixième livre qu'une peinture allégorique des mystères de Cérès et de Proserpine. L'opinion de l'évêque anglais a trouvé beaucoup de partisans. Voltaire lui-même l'avoit d'abord adoptée; mais un examen plus réfléchi l'a désabusé dans la suite.

<< Cette descente aux enfers, dit-il, imitée d'Homère beau>> coup moins qu'embellie, et la belle prédiction des destins » des Césars et de l'empire romain, n'ont aucun rapport aux » fables de Cérès et de Triptolème. Ainsi il est fort vraisem>> blable que le sixième livre de l'Eneide n'est point une description de mystères : si je l'ai dit je me dédis. »

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Il observe de plus que Virgile vivoit sous un prince ami des formes religieuses, et qui étant initié lui-même, n'auroit pas toléré une semblable profanation. Horace ne regarde-t-il pas cette révélation comme un sacrilége?

Vetabo qui Cereris sacrum

Vulgârit arcanæ sub iisdem
Sit trabibus:

Je me garderai bien de loger sous mes toits
Celui qui de Cérès a trahiles mystères.

(VOLT., vol. 41 de l'édit. de Kell, en 70 vol. )

Comment le sage Virgile se seroit-il permis un attentat qui alarmoit si fort Horace? Observons d'ailleurs que ces dogmes d'une vie future, et des peines et des récompenses qui attendoient le crime et la vertu dans le Tartare et l'Élysée, étoient des dogmes fort populaires, et répandus chez toutes les nations avant Virgile : quel besoin avoit-il donc,

pour les chanter, de se rendre coupable aux yeux de ses compatriotes, en profanant le secret des mystères? Si Warburton avoit eu un goût égal à son érudition, il auroit su que ce n'est point sur le système obscur de quelques initiés, mais sur les croyances vulgaires, qu'un poëte épique doit fonder l'intérêt de ses fictions. Virgile a vraisemblablement traité ce sujet par un motif tout contraire à celui que suppose Warburton. Loin d'apporter une doctrine cachée et nouvelle, il vient opposer une doctrine antique et connue à celle d'Épicure, qui s'étoit introduite jusque dans le sénat, et qui, selon Montesquieu (1), contribua beaucoup à gâter le cœur et l'esprit des Romains vers la fin de la république. Il est évident, pour tout homme de bonne foi, que Virgile ne fait qu'expliquer en beaux vers les idées de Pythagore et de Platon, et c'est pour cela qu'on appeloit ce poëte le Platonicien. On trouve à la fin de la République du philosophe grec une fable allégorique où l'auteur de l'Éneïde a visiblement puisé le fonds de ce sixième livre.

Cette fable est racontée par Socrate, qui certainement ne la devoit pas aux prêtres de Cérès, pour lesquels on l'accusoit d'avoir tant de mépris. Le philosophe suppose qu'un guerrier arménien, nommé Her, ressuscita douze jours après sa mort, et qu'interrogé sur ce qu'il avoit vu dans cet intervalle, il fit à peu près ce récit :

« Aussitôt, dit-il, que mon ame eût abandonné mon » corps, elle s'avança, dans la compagnie de plusieurs au

(1) Grandeur et Décadence des Romains, ch. 10.

» tres qui la reconnurent, vers un séjour tout-à-fait mer» veilleux, où nous vîmes dans la terre deux ouvertures » voisines, et deux autres au ciel qui répondoient à celles» là. Des juges étoient assis entre ces ouvertures mysté» rieuses; et, dès qu'ils avoient prononcé leur sentence, ils >> ordonnoient aux justes de prendre leur route à droite par » une des ouvertures du ciel, et aux méchans de prendre » leur route à gauche par une des ouvertures de la terre. On » m'ordonna de remarquer avec soin le spectacle que j'avois >> sous les yeux, pour l'instruction des hommes que je devois >> bientôt rejoindre.

» Je vis d'abord les ames de ceux qu'on avoit jugés monter » tour à tour au ciel ou descendre sous la terre par les deux >> premières ouvertures qui se répondoient; tandis que, par » la seconde ouverture de la terre, je vis sortir des ames >> couvertes de fange et de poussière, et par la seconde ou» verture du ciel descendre des ames pures et sans tache. » Elles paroissoient toutes venir d'un long voyage, et s'as>> seoir avec plaisir dans une prairie délicieuse où je les con>> templois. Plusieurs de ces ames voloient à la rencontre les » unes des autres, en poussant des cris de joie ou des gémis» semens. Elles se retrouvoient après une séparation de mille >> ans. Celles qui avoient passé ce long temps de leur voyage >> sous la terre versoient des larmes au souvenir des maux » soufferts; mais celles qui descendoient du ciel racontoient >> des merveilles inouïes, et montroient une joie ineffable >> dont nous n'avons pas même l'image ici-bas. En un mot, >> chaque peine et chaque récompense dans ces deux mondes

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» divers étoient dix fois plus grandes que le crime puni ou >> que la vertu récompensée. A la tête des justes sont les » hommes qui ont honoré les dieux, et leurs pères comme » les dieux. Des supplices extraordinaires attendent les im>> pies et les parricides; les grands criminels, même après >> mille ans, n'ont point achevé leur expiation. L'une de ces >> ames (c'étoit celle d'un tyran de Pamphylie) attendoit » sa délivrance au bout de ce long terme de douleurs; mais >> au moment où elle se préparoit à sortir, l'ouverture en se >> refermant lui refusa le passage avec un mugissement hor» rible. A ce bruit, qui fit trembler toutes les ombres, ac>> coururent des ministres de la mort, des spectres infernaux, » qui ressaisirent cette ame deux fois condamnée, et l'entraî>> nèrent dans l'abîme. Quand ces ames eurent passé sept » jours dans la prairie, elles en partirent le huitième, et s'é» levèrent dans une région éclatante de lumière. Là, huit >> cercles brillans d'or, entrelacés les uns dans les autres, sont » suspendus au fuseau de la Nécessité, qui donne le branle » à toutes les révolutions célestes.... (1). Sur chacun de ces » cercles inégaux est portée une sirène qui tourne avec lui, » et qui chante à haute voix, mais sur un seul ton. Des huit » tons divers que font entendre ces sœurs immortelles se » compose l'harmonie parfaite qui réjouit éternellement » l'oreille des dieux,

(1) Ces huit cercles figurent les divers cieux des sept planètes et celui des étoiles fixes. Ici on a abrégé Platon, parce que toutes ces allégories astronomiques n'ont point été imitées par Virgile.

» A l'entour du fuseau, et à des distances égales, sont >> assises sur des trônes les trois parques, filles de la Néces»sité, Lachésis, Clothon et Atropos, vêtues de blanc et le » front ceint d'une couronne. Elles mêlent leurs voix à celles » des sirènes; Lachésis chante le passé, Clothon le présent, » Atropos l'avenir. Tout à coup un génie ailé appela toutes

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» les ames devant Lachésis. Il prit sur les genoux de la par » que les sorts et les diverses conditions humaines; puis, » montant sur une tribune élevée, il s'écria d'une voix prophétique : Ames divines! rentrez dans un corps mortel: » vous allez commencer une nouvelle carrière. Voici tous » les sorts de la vie, je les jette devant vous; choisissez » librement, le choix est irrévocable. S'il est mauvais, dieu » en est innocent.

» A ces mots, le génie jeta les lots de la destinée, et cha>>cune de ces ames choisit le sien. Le souvenir des an>> ciennes habitudes égara le plus grand nombre. Quelques » héros détrompés eurent à la vérité la sagesse de préférer » à leur ancienne renommée un état obscur et paisible; mais » la foule se précipita sur les conditions illustres, et au lieu » de la gloire et du bonheur trouva les soucis, la honte et le » remords. Quand toutes les ames eurent fait leur choix, » elles comparurent une dernière fois devant le trône de la » Nécessité toute-puissante, et le fil de leur nouvelle vie >> commença dès lors à se dérouler sur des fuseaux dont on » ne peut ni hâter, ni suspendre, ni changer le mouvement. » On les mena ensuite dans une plaine où l'ombre d'aucun » arbre, où la verdure d'aucune plante, n'a jamais réjoui les

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