» A qui vas-tu livrer la mourante Didon? » Malheureuse! eh! qu'attendre en ce triste abandon? Que mon frère en courroux mette en cendres Carthage ? » Qu'larbe triomphant m'entraîne en esclavage? » Encor si quelque enfant, doux fruit de notre amour, >> Charmoit l'affreux désert où tu laisses ma cour, >> Je ne me croirois pas entièrement trahie, » Et ton image au moins consoleroit ma vie! » Elle dit. Le héros, plein de l'ordre des dieux, Étouffant la douleur de ses tristes adieux, Tient baissé vers la terre un regard immobile. << Cessez, dit-il enfin, un reproche inutile: » Grande reine! mon cœur se plaît à l'avouer, >> De vos soins généreux j'ai lieu de me louer; » J'en conserve à jamais la mémoire chérie; >> Leur souvenir ne peut finir qu'avec ma vie. » Mais daignez m'écouter; Didon, ne croyez pas » Que j'aie à votre insu voulu fuir vos états; >> » Ne croyez pas non plus qu'à votre destinée » Je vous verrois encor, bords chéris du Scamandre! » Et je verrois enfin renaître sous mes yeux » Les palais de mes rois, les temples de mes dieux. Italiam Lycia jussêre capessere sortes : Hic amor, hæc patria est. Si te Carthaginis arces Italiam non sponte sequor. Talia dicentem jam dudum aversa tuetur, (44 Huc illuc volvens oculos, totumque pererrat Luminibus tacitis, et sic accensa profatur : » C'est là qu'il faut porter mes pas et mon amour. » Tout m'arrache à des lieux qui m'avoient trop su plaire, » Et l'intérêt d'un fils, et l'ordre de mon père: » L'un, dès que l'ombre humide enveloppe les cieux, >> Terrible et menaçant, se présente à mes yeux; » L'autre à mille remords livre en secret mon ame, » Je l'enlève aux grandeurs que son destin réclame. » Dans ce moment encor le fils de Jupiter, » J'en atteste et mon père et cet enfant si cher, » A mes yeux éblouis se dévoilant lui-même, » A fait sur moi des dieux tonner l'ordre suprême, » Fait parler le destin, la gloire, le devoir : » Je crois l'entendre encor, je crois encor le voir. » N'irritez plus vos maux et ma douleur profonde; » Je vous quitte à regret pour l'empire du monde; » Et ce fatal départ, qui m'arrache au bonheur, >> Est le vœu du destin, et non pas de mon cœur. » Durant ces mots, Didon, dévorant son offense, A peine à contenir sa longue impatience; Avec le froid dédain de son courroux altier Le mesure des yeux, le parcourt tout entier, Se détourne en silence, et de sa sourde rage En ces mots à la fin laisse éclater l'orage: Nec tibi diva parens, generis nec Dardanus auctor, Perfide; sed duris genuit te cautibus horrens Caucasus, Hyrcanæque admôrunt ubera tigres. Nam quid dissimulo? aut quæ me ad majora reservo? Num lacrymas victus dedit? aut miseratus amantem est ? Nec Saturnius hæc oculis pater adspicit æquis. Nusquam tuta fides. Ejectum littore, egentem, Excepi, et regni demens in parte locavi: Amissam classem, socios a morte reduxi. Heu! furiis incensa feror! Nunc augur Apollo; Nunc Lycia sortes, uunc et Jove missus ab ipso Scilicet is superis labor est ; ea cura quietos « Non, tu n'es point le fils de la mère d'Amour; » Non, au sang de Teucer tu ne dois point le jour: » N'impute pas aux dieux la naissance d'un traître; » Non, du sang des héros un monstre n'a pu naître; » Non. Le Caucase affreux, t'engendrant en fureur, >> De ses plus durs rochers fit ton barbare cœur ; >> Et du tigre inhumain la compagne sauvage, >> Cruel! avec son lait t'a fait sucer sa rage. » Car enfin qui m'arrête? Après ses durs refus, Après tant de mépris, qu'attendrois-je de plus? » Auteur de tous mes maux, a-t-il plaint mes alarmes ? » Ai-je pu de ses yeux arracher quelques larmes? >> S'est-il laissé fléchir à mes cris douloureux ? >> A-t-il au moins daigné tourner vers moi les yeux? » Prosternée à ses pieds, plaintive, suppliante, » N'a-t-il pas d'un front calme écouté son amante? » Le cruel! quand pour lui j'ai tout sacrifié, » M'a-t-il, pour tant d'amour, rendu quelque pitié? » Ah! de ses cruautés quelle est la plus coupable? » O de l'hymen trahi vengeresse équitable, » Junon! qu'attends-tu donc? Ton époux n'est-il plus » Et la terreur du crime, et l'appui des vertus? » Des vertus! A quel signe, ô dieux ! les reconnoître? » A qui se confier, quand Énée est un traître? Sans secours, sans asile, errant de mers en mers, » Par les flots en courroux jeté dans nos déserts, >> Je l'ai reçu, l'ingrat! Des fureurs de l'orage » J'ai sauvé ses sujets, ses vaisseaux du naufrage. |