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suis trouvé les mains élevées au ciel, et faisant des efforts pour dire « Grand Jupiter, si Lysimaque doit régner, fais qu'il règne avec justice! Lysimaque, vous régnerez : croyez un homme qui doit être agréable aux dieux, puisqu'il souffre pour la vertu.

Cependant Alexandre ayant appris que je respectais la misère de Callisthène, que j'allais le voir, et que j'osais le plaindre, il entra dans une nouvelle fureur : « Va, ditil, combattre contre les lions, malheureux qui te plais tant à vivre avec les bêtes féroces. » On différa mon supplice, pour le faire servir de spectacle à plus de gens.

Le jour qui le précéda, j'écrivis ces mots à Callisthène : « Je vais, mourir. Toutes les idées que vous m'aviez données de ma future grandeur se sont évanouies de mon esprit. J'aurais souhaité d'adoucir les maux d'un homme tel que vous. »

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Prexape, à qui je m'étais confié, m'apporta cette réponse: << Lysimaque, si les dieux ont résolu que vous régniez, Alexandre ne peut pas vous ôter la vie; car les hommes ne résistent pas à la volonté des dieux. »

Cette lettre m'encouragea; et, faisant réflexion que les hommes les plus heureux et les plus malheureux sont également environnés de la main divine, je résolus de me conduire, non pas par mes espérances, mais par mon courage, et de défendre jusqu'à la fin une vie sur laquelle il y avait de si grandes promesses,

On me mena dans la carrière. Il y avait autour de moi un peuple immense, qui venait être témoin de mon courage ou de ma frayeur. On me lâcha un lion. J'avais plié mon manteau autour de mon bras: je lui présentai ce bras, il voulut le dévorer; je lui saisis la langue, la lui arrachai, et le jetai à mes pieds.

Alexandre aimait naturellement les actions courageuses : il admira ma résolution; et ce moment fut celui du retour de sa grande âme.

Il me fit appeler; et, me tendant la main : « Lysimaque, me dit-il, je te rends mon amitié, rends-moi la tienne. Ma colère n'a servi qu'à te faire faire une action qui manque à la vie d'Alexandre. »

Je reçus les grâces du roi ; j'adorai les décrets des dieux, et j'attendais leurs promesses sans les rechercher ni les fuir. Alexandre mourut, et toutes les nations furent sans maître. Les fils du roi étaient dans l'enfance; son frère Aridée n'en était jamais sorti; Olympias n'avait que la hardiesse des âmes faibles, et tout ce qui était cruauté était pour elle du courage; Roxane, Eurydice, Statire, étaient perdues dans la douleur. Tout le monde, dans le palais, savait gémir, et personne ne savait régner. Les capitaines d'Alexandre levèrent donc les yeux sur son trône, mais l'ambition de chacun fut contenue par l'ambition de tous. Nous partageâmes l'empire; et chacun de nous crut avoir partagé le prix de ses fatigues.

Le sort me fit roi d'Asie : et à présent que je puis tout, j'ai plus besoin que jamais des leçons de Callisthène. Sa joie m'annonce que j'ai fait quelque bonne action, et ses soupirs me disent que j'ai quelque mal à réparer. Je le trouve entre mon peuple et moi.

Je suis le roi d'un peuple qui m'aime. Les pères de famille espèrent la longueur de ma vie comme celle de leurs enfants; les enfants craignent de me perdre comme ils craignent de perdre leur père. Mes sujets sont heureux, et je le suis.

PENSÉES DIVERSES'.

Mon fils, vous êtes assez heureux pour n'avoir ni à rougir ni à vous enorgueillir de votre naissance : la mienne est tellement proportionnée à ma fortune, que je serais fâché que l'une ou l'autre fussent plus grandes.

Vous serez homme de robe ou d'épée. Comme vous devez rendre compte de votre état, c'est à vous de le choisir dans la robe vous trouverez plus d'indépendance, dans le parti de l'épée, de plus grandes espérances.

Il vous est permis de souhaiter de monter à des postes plus éminents, parce qu'il est permis à chaque citoyen de souhaiter d'être en état de rendre de plus grands services à sa patrie: d'ailleurs une noble ambition est un sentiment utile à la société, lorsqu'il se dirige bien. Comme le monde physique ne subsiste que parce que chaque partie de la matière tend à s'éloigner du centre, aussi le monde politique se soutient-il par le désir intérieur et inquiet que chacun a de sortir du lieu où il est placé. C'est en vain qu'une morale austère veut effacer les traits que le plus grand des ouvriers a gravés dans nos âmes: c'est à la morale qui veut travailler sur le cœur de l'homme à régler ses sentiments, et non pas à les détruire. Nos auteurs

Il ne faut pas confondre ces Pensées avec un petit extrait intitulé le Génie de Montesquieu, qui parut en 1758. Ce grand homme écrivait le soir ses observations de tous les jours; ces pensées solitaires étaient le premier jet de l'esprit, elles ont la sève de l'originalité. Ces anneaux préparés pour une grande chaîne, quoique détachés, sont des anneaux d'or. On ne peut lire sans attendrissement ces entretiens muets avec son fils: ces pensées étaient une espèce de legs paternel; il a son prix aux yeux des hommes sensibles et éclairés. (Note des éditeurs des OEuvres posthumes de Montesquieu, Paris, 1798, in-12. )

moraux sont presque tous outrés : ils parlent à l'entendement, et non pas à cette âme.

PORTRAIT DE MONTESQUIEU

PAR LUI-MÊME.

Une personne de ma connaissance disait : « Je vais faire une assez sotte chose, c'est mon portrait : je me connais assez bien. >>

Je n'ai presque jamais eu de chagrin, encore moins d'ennui.

Ma machine est si heureusement construite, que je suis frappé par tous les objets assez vivement pour qu'ils puissent me donner du plaisir, pas assez pour qu'ils puissent me donner de la peine.

J'ai l'ambition qu'il faut pour me faire prendre part aux choses de cette vie; je n'ai point celle qui pourrait me faire trouver du dégoût dans le poste où la nature m'a mis.

Lorsque je goûte un plaisir, je suis affecté ; et je suis toujours étonné de l'avoir recherché avec tant d'indiffé

rence.

J'ai été dans ma jeunesse assez heureux pour m'attacher à des femmes que j'ai cru qui m'aimaient; dès que j'ai cessé de le croire, je m'en suis détaché soudain.

L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé.

Je m'éveille le matin avec une joie secrète de voir la lumière; je vois la lumière avec une espèce de ravissement; et tout le reste du jour je suis content. Je passe la nuit sans m'éveiller; et le soir, quand je vais au lit,

une espèce d'engourdissement m'empêche de faire des réflexions.

Je suis presque aussi content avec des sots qu'avec des gens d'esprit car il y a peu d'hommes si ennuyeux qui ne m'aient amusé; très-souvent il n'y a rien de si amusant qu'un homme ridicule.

Je ne hais pas de me divertir en moi-même des hommes que je vois, sauf à eux à me prendre à leur tour pour ce qu'ils veulent.

J'ai eu d'abord pour la plupart des grands une crainte puérile; dès que j'ai eu fait connaissance, j'ai passé presque sans milieu jusqu'au mépris.

J'ai assez aimé à dire aux femmes des fadeurs, et à leur rendre des services qui coûtent si peu.

J'ai eu naturellement de l'amour pour le bien et l'honneur de ma patrie, et peu pour ce qu'on appelle la gloire; j'ai toujours senti une joie secrète lorsqu'on a fait quelque règlement qui allait au bien commun.

Quand j'ai voyagé dans les pays étrangers, je m'y suis attaché comme au mien propre ; j'ai pris part à leur fortune, et j'aurais souhaité qu'ils fussent dans un état floris

sant.

J'ai cru trouver de l'esprit à des gens qui passaient pour n'en point avoir.

Je n'ai pas été fâché de passer pour distrait; cela m'a fait hasarder bien des négligences qui m'auraient embarrassé.

J'aime les maisons où je puis me tirer d'affaire avec mon esprit de tous les jours.

Dans les conversations et à table, j'ai toujours été ravi detrouver un homme qui voulût prendre la peine de briller :

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