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guerre contre les Romains; mais il ne se conduisit pas même avec la sagesse que l'on emploie dans les affaires ordinaires. Annibal voulait qu'on renouvelât la guerre en Italie, et qu'on gagnât Philippe, ou qu'on le rendît neutre. Antiochus ne fit rien de cela il se montra dans la Grèce avec une petite partie de ses forces; et, comme s'il avait voulu y voir la guerre et non pas la faire, il ne fut occupé que de ses plaisirs. Il fut battu, et s'enfuit en Asie, plus effrayé que vaincu.

Philippe, dans cette guerre, entraîné par les Romains comme par un torrent, les servit de tout son pouvoir, et devint l'instrument de leurs victoires. Le plaisir de se venger et de ravager l'Etolie, la promesse qu'on lui diminuerait le tribut et qu'on lui laisserait quelques villes, des jalousies qu'il eut d'Antiochus, enfin de petits motifs, le déterminèrent; et, n'osant concevoir la pensée de secouer le joug, il ne songea qu'à l'adoucir.

Antiochus jugea si mal des affaires, qu'il s'imagina que les Romains le laisseraient tranquille en Asie. Mais ils l'y suivirent: il fut vaincu encore; et, dans sa consternation, il consentit au traité le plus infâme qu'un grand prince ait jamais fait.

Je ne sache rien de si magnanime que la résolution que prit un monarque qui a régné de nos jours, de s'ensevelir plutôt sous les débris du trône que d'accepter des propositious qu'un roi ne doit pas entendre: il avait l'âme trop fière pour descendre plus bas que ses malheurs ne l'avaient mis; et il savait bien que le courage peut raffermir une couronne, et que l'infamie ne le fait jamais.

C'est une chose commune de voir des princes qui savent donner une bataille. Il y en a bien peu qui sachent faire

Louis XIV.

une guerre, qui soient également capables de se servir de la fortune et de l'attendre, et qui, avec cette disposition d'esprit qui donne de la méfiance avant que d'entreprendre, aient celle de ne craindre plus rien après avoir entrepris.

Après l'abaissement d'Antiochus, il ne restait plus que de petites puissances, si l'on en excepte l'Égypte, qui, par sa situation, sa fécondité, son commerce, le nombre de ses habitants, ses forces de mer et de terre, aurait pu être formidable; mais la cruauté de ses rois, leur lâcheté, leur avarice, leur imbécillité, leurs affreuses voluptés, les rendirent si odieux à leurs sujets, qu'ils ne se soutinrent, la plupart du temps, que par la protection des Romains.

C'était en quelque façon une loi fondamentale de la couronne d'Égypte, que les sœurs succédaient avec les frères; et, afin de maintenir l'unité dans le gouvernement, on mariait le frère avec la sœur. Or il est difficile de rien imaginer de plus pernicieux dans la politique qu'un pareil ordre de succession: car tous les petits démêlés domestiques devenant des désordres dans l'Etat, celui des deux qui avait le moindre chagrin soulevait d'abord contre l'autre le peuple d'Alexandrie, populace immense toujours prête à se joindre au premier de ses rois qui voulait l'agiter. De plus, les royaumes de Cyrène et de Chypre étant ordinairement entre les mains d'autres princes de cette maison, avec des droits réciproques sur le tout, il arrivait qu'il y avait presque toujours des princes régnants et des prétendants à la couronne; que ces rois étaient sur un trône chancelant, et que, mal établis au dedans, ils étaient sans pouvoir au dehors.

Les forces des rois d'Egypte, comme celles des autres rois d'Asie, consistaient dans leurs auxiliaires grecs.

Outre l'esprit de liberté, d'honneur et de gloire, qui animait les Grecs, ils s'occupaient sans cesse à toutes sortes d'exercices du corps; ils avaient dans leurs principales villes des jeux établis, où les vainqueurs obtenaient des couronnes aux yeux de toute la Grèce : ce qui donnait une émulation générale. Or, dans un temps où l'on combattait avec des armes dont le succès dépendait de la force et de l'adresse de celui qui s'en servait, on ne peut douter que des gens ainsi exercés n'eussent de grands avantages sur cette foule de barbares pris indifféremment, et menés sans choix à la guerre, comme les armées de Darius le firent bien voir.

Les Romains, pour priver les rois d'une telle milice, et leur ôter sans bruit leurs principales forces, firent deux choses premièrement, ils établirent peu à peu comme une maxime, chez les villes grecques, qu'ils ne pourraient avoir aucune alliance, accorder du secours, ou faire la guerre à qui que ce fût, sans leur consentement; de plus, dans leurs traités avec les rois, ils leur défendirent de faire aucune levée chez les alliés des Romains; ce qui lesréduisit à leurs troupes nationales '.

CHAPITRE VI.

De la conduite que les Romains tinrent pour soumettre tous les

peuples.

Dans le cours de tant de prospérités, où l'on se néglige pour l'ordinaire, le sénat agissait toujours avec la même profondeur; et, pendant que les armées consternaient tout, il tenait à terre ceux qu'il trouvait abattus.

I Ils avaient déjà eu cette politique avec les Carthaginois, qu'ils obligèrent par le traité à ne plus se servir de troupes auxiliaires, comme on le voit dans un fragment de Dion.

Il s'érigea en tribunal qui jugea tous les peuples : à la fin de chaque guerre, il décidait des peines et des récompenses que chacun avait méritées. Il ôtait une partie du domaine du peuple vaincu pour la donner aux alliés; en quoi il faisait deux choses : il attachait à Rome des rois dont elle avait peu à craindre et beaucoup à espérer; et il en affaiblissait d'autres dont elle n'avait rien à espérer et tout à craindre.

On se servait des alliés pour faire la guerre à un ennemi; mais, d'abord, on détruisit les destructeurs. Philippe fut vaincu par le moyen des Étoliens, qui furent anéantis d'abord après, pour s'être joints à Antiochus. Antiochus fut vaincu par le secours des Rhodiens; mais, après qu'on leur eut donné des récompenses éclatantes, on les humilia pour jamais, sous prétexte qu'ils avaient demandé qu'on fit la paix avec Persée.

Quand ils avaient plusieurs ennemis sur les bras, ils accordaient une trêve au plus faible, qui se croyait heureux de l'obtenir, comptant pour beaucoup d'avoir différé sa ruine.

Lorsque l'on était occupé à une grande guerre, le sénat dissimulait toutes sortes d'injures, et attendait, dans le silence, que le temps de la punition fût venu; que si quelque peuple lui envoyait les coupables, il refusait de les punir, aimant mieux tenir toute la nation pour criminelle, et se réserver une vengeance utile.

Comme ils faisaient à leurs ennemis des maux inconcevables, il ne se formait guère de ligues contre eux; car celui qui était le plus éloigné du péril ne voulait pas en approcher.

Par là ils recevaient rarement la guerre, mais la faisaient toujours dans le temps, de la manière et avec ceux

qu'il leur convenait; et de tant de peuples qu'ils attaquérent, il y en a bien peu qui n'eussent souffert toutes sortes d'injures si l'on avait voulu les laisser en paix.

Leur couture étant de parler toujours en maîtres, les ambassadeurs qu'ils envoyaient chez les peuples qui n'avaient point encore senti leur puissance étaient sûrement maltraités; ce qui était un prétexte sûr pour faire une nouvelle guerre 1.

Comme ils ne faisaient jamais la paix de bonne foi, et que, dans le dessein d'envahir tout, leurs traités n'étaient proprement que des suspensions de guerre, ils y mettaient des conditions qui commençaient toujours la ruine de l'État qui les acceptait. Ils faisaient sortir les garnisons des places fortes, ou bornaient le nombre des troupes de terre, ou se faisaient livrer les chevaux ou les éléphants; et si ce peuple était puissant sur la mer, ils l'obligeaient de brûler ses vaisseaux, et quelquefois d'aller habiter plus avant dans les terres.

Après avoir détruit les armées d'un prince, ils ruinaient ses finances par des taxes excessives, ou un tribut, sous prétexte de lui faire payer les frais de la guerre : nouveau genre de tyrannie qui le forçait d'opprimer ses sujets, et de perdre leur amour.

Lorsqu'ils accordaient la paix à quelque prince, ils prenaient quelqu'un de ses frères ou de ses enfants en otage; ce qui leur donnait le moyen de troubler son royaume à leur fantaisie. Quand ils avaient le plus proche héritier, ils intimidaient le possesseur; s'ils n'avaient qu'un prince d'un degré éloigné, ils s'en servaient pour animer les rés voltes des peuples.

Un des exemples de cela, c'est leur guerre contre les Dalmates. Voyez Polybe.

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