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CXXIII. USBEK AU MÊME.

La douceur du gouvernement contribue merveilleusement à la propagation de l'espèce. Toutes les républiques en sont une preuve constante, et, plus que toutes, la Suisse et la Hollande, qui sont les deux plus mauvais pays de l'Europe, si l'on considère la nature du terrain, et qui cependant sont les plus peuplés.

Rien n'attire plus les étrangers que la liberté, et l'opulence qui la suit toujours l'une se fait rechercher par ellemême, et les besoins attirent dans les pays où l'on trouve l'autre.

L'espèce se multiplie dans un pays où l'abondance fournit aux enfants, sans rien diminuer de la subsistance des pères. L'égalité même des citoyens, qui produit ordinairement l'égalité dans les fortunes, porte l'abondance et la vie dans toutes les parties du corps politique, et la répand partout.

Il n'en est pas de même des pays soumis au pouvoir arbitraire le prince, les courtisans, et quelques particuliers, possèdent toutes les richesses, pendant que tous les autres gémissent dans une pauvreté extrême.

Si un homme est mal à son aise, et qu'il sente qu'il fera des enfants plus pauvres que lui, il ne se mariera pas: ou s'il se marie, il craindra d'avoir un trop grand nombre d'enfants, qui pourraient achever de déranger sa fortune, et qui descendraient de la condition de leur père.

J'avoue que le rustique ou paysan, étant une fois marié, peuplera indifféremment, soit qu'il soit riche, soit qu'il soit pauvre; cette considération ne le touche pas; il a toujours un héritage sûr à laisser à ses enfants, qui est son hoyau; et rien ne l'empêche de suivre aveuglément l'instinct de la nature.

Mais à quoi sert dans un État ce nombre d'enfants qui languissent dans la misère? Ils périssent presque tous à mesure qu'ils naissent; ils ne prospèrent jamais faibles et débiles, ils meurent en détail de mille manières, tandis qu'ils sont

emportés en gros par les fréquentes maladies populaires que la misère et la mauvaise nourriture produisent toujours; ceux qui en échappent atteignent l'âge viril sans en avoir la force, et languissent tout le reste de leur vie.

Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement si elles ne sont bien cultivées ; chez les peuples misérables l'espèce perd, et même quelquefois dégénère.

La France peut fournir un grand exemple de tout ceci. Dans les guerres passées, la crainte où étaient tous les enfants de famille qu'on ne les enrôlât dans la milice les obligeait de se marier, et cela dans un âge trop tendre, et dans le sein de la pauvreté. De tant de mariages il naissait bien des enfants que l'on cherche encore en France, et que la misère, la famine et les maladies en ont fait disparaître.

Que si sous un ciel aussi heureux, dans un royaume aussi policé que la France, on fait de pareilles remarques, que sera-ce dans les autres États?

A Paris, le 23 de la lune de Rhamazan, 1718.

CXXIV. USBEK AU MOLLAH MÉHÉMET ALI,

GARDIEN DES TROIS TOMBEAUX.

A Com.

Que nous servent les jeûnes des immaums et les cilices des mollahs? La main de Dieu s'est deux fois appesantie sur les enfants de la loi. Le soleil s'obscurcit, et semble n'éclairer plus que leurs défaites leurs armées s'assemblent, et elles sont dissipées comme la poussière.

L'empire des Osmanlins est ébranlé par les deux plus grands échecs qu'il ait jamais reçus. Un moufti chrétien ne le soutient qu'avec peine : le grand vizir d'Allemagne est le fléau de Dieu, envoyé pour châtier les sectateurs d'Omar; il porte

Le prince Eugène, qui battit les Turcs à Peterwaradin. (P.)

partout la colère du ciel, irrité contre leur rébellion et leur perfidie.

Esprit sacré des immaums, tu pleures nuit et jour sur les enfants du prophète que le détestable Omar a dévoyés; tes entrailles s'émeuvent à la vue de leurs malheurs; tu désires leur conversion, et non pas leur perte; tu voudrais les voir réunis sous l'étendard d'Hali par les larmes des saints, et non pas dispersés dans les montagnes et dans les déserts par la terreur des infidèles.

A Paris, le Ier de la lune de Chalval, 1718.

CXXV. USBEK A RHÉDI.

A Venise.

Quel peut être le motif de ces libéralités immenses que les princes versent sur leurs courtisans? Veulent-ils se les attacher? ils leur sont déjà acquis autant qu'ils peuvent l'être. Et d'ailleurs, s'ils acquièrent quelques-uns de leurs sujets en les achetant, il faut bien, par la même raison, qu'ils en perdent une infinité d'autres en les appauvrissant.

Quand je pense à la situation des princes, toujours entourés d'hommes avides et insatiables, je ne puis que les plaindre; et je les plains encore davantage lorsqu'ils n'ont pas la force de résister à des demandes toujours onéreuses à ceux qui ne demandent rien.

Je n'entends jamais parler de leurs libéralités, des grâces et des pensions qu'ils accordent, que je ne me livre à mille réflexions: une foule d'idées se présente à mon esprit : il me semble que j'entends publier cette ordonnance :

« Le courage infatigable de quelques-uns de nos sujets à nous « demander des pensions ayant exercé sans relâche notre magnificence royale, nous avons enfin cédé à la multitude « des requêtes qu'ils nous ont présentées, lesquelles ont fait jusqu'ici la plus grande sollicitude du trône. Ils nous ont

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« représenté qu'ils n'ont point manqué, depuis notre avéne<< nient à la couronne, de se trouver à notre lever; que nous << les avons toujours vus sur notre passage, immobiles comme << des bornes, et qu'ils se sont extrêmement élevés pour regarder, sur les épaules les plus hautes, notre sérénité. Nous << avons même reçu plusieurs requêtes de la part de quelques « personnes du beau sexe, qui nous ont supplié de faire at<«< tention qu'il était notoire qu'elles sont d'un entretien très« difficile; quelques-unes même très-surannées nous ont prié, << branlant la tête, de faire attention qu'elles ont fait l'orne<< ment de la cour des rois nos prédécesseurs; et que, si les généraux de leurs armées ont rendu l'État redoutable par << leurs faits militaires, elles n'ont point rendu la cour moins «< célèbre par leurs intrigues. Ainsi, désirant traiter les suppliants avec bonté, et leur accorder toutes leurs prières, << nous avons ordonné ce qui suit :

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Que tout laboureur ayant cinq enfants retranchera jour<< nellement la cinquième partie du pain qu'il leur donne. En«< joignons aux pères de famille de faire la diminution sur «< chacun d'eux aussi juste que faire se pourra.

« Défendons expressément à tous ceux qui s'appliquent à << la culture de leurs héritages, ou qui les ont donnés à titre « de ferme, d'y faire aucune réparation, de quelque espèce « qu'elle soit.

« Ordonnons que toutes personnes qui s'exercent à des <«< travaux vils et mécaniques, lesquelles n'ont jamais été «< au lever de notre majesté, n'achètent désormais d'habits, « à eux, à leurs femmes et à leurs enfants, que de quatre « ans en quatre ans; leur interdisons en outre très-étroite<< ment ces petites réjouissances qu'ils avaient coutume de faire, dans leurs familles, les principales fêtes de l'année.

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Et, d'autant que nous demeurons averti que la plupart << des bourgeois de nos bonnes villes sont entièrement occupés << à pourvoir à l'établissement de leurs filles, lesquelles ne se << sont rendues recommandables dans notre État que par

<< une triste et ennuyeuse modestie, nous ordonnons qu'ils << attendront à les marier jusqu'à ce qu'ayant atteint l'âge « limité par les ordonnances, elles viennent à les y contrain« dre. Défendons à nos magistrats de pourvoir à l'éducation « de leurs enfants. >>

A Paris, le 1er de la lune de Chalval, 1718.

CXXVI. RICA A ***.

On est bien embarrassé dans toutes les religions, quand il s'agit de donner une idée des plaisirs qui sont destinés à ceux qui ont bien vécu. On épouvante facilement les méchants par une longue suite de peines dont on les menace; mais, pour les gens vertueux, on ne sait que leur promettre. Il semble que la nature des plaisirs soit d'être d'une courte durée : l'imagination a peine à en représenter d'autres.

J'ai vu des descriptions du paradis capables d'y faire renoncer tous les gens de bon sens : les uns font jouer sans cesse de la flûte ces ombres heureuses; d'autres les condamnent au supplice de se promener éternellement; d'autres enfin, qui les font rêver là-haut aux maîtresses d'ici-bas, n'ont pas cru que cent millions d'années fussent un terme assez long pour leur ôter le goût de ces inquiétudes amoureuses.

Je me souviens à ce propos d'une histoire que j'ai ouï raconter à un homme qui avait été dans le pays du Mogol; elle fait voir que les prêtres indiens ne sont pas moins stériles que les autres dans les idées qu'ils ont des plaisirs du paradis.

Une femme qui venait de perdre son mari vint en cérémonie chez le gouverneur de la ville lui demander la perinission de se brûler; mais, comme dans les pays soumis aux mahométans on abolit tant qu'on peut cette cruelle coutume, il la refusa absolument.

Lorsqu'elle vit ses prières impuissantes, elle se jeta dans un furieux emportement. Voyez, disait-elle, comme on est gêné! Il ne sera seulement pas permis à une pauvre femme de se

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