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« de l'or et de l'argent : votre erreur me fait pitié. Croyez

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moi, quittez le pays des vils métaux ; venez dans l'empire de l'imagination, et je vous promets des richesses qui vous «< étonneront vous-mêmes. Aussitôt il ouvrit une grande par« tie des outres qu'il avait apportées, et il distribua de sa « marchandise à qui en voulut.

« Le lendemain il revint dans les mêmes carrefours, et il « s'écria: Peuples de Bétique, voulez-vous être riches? Imaginez-vous que je le suis beaucoup, et que vous l'êtes beau« coup aussi ; mettez-vous tous les matins dans l'esprit que « votre fortune a doublé pendant la nuit ; levez-vous ensuite; « et, si vous avez des créanciers, allez les payer de ce que << vous aurez imaginé, et dites-leur d'imaginer à leur tour.

« Il reparut quelques jours après, et il parla ainsi : Peuples de Bétique, je vois bien que votre imagination n'est « pas si vive que les premiers jours; laissez-vous conduire à « la mienne; je mettrai tous les matins devant vos yeux un « écriteau qui sera pour vous la source des richesses : vous « n'y verrez que quatre paroles; mais elles seront bien signi« ficatives, car elles régleront la dot de vos femmes, la légi« time de vos enfants, le nombre de vos domestiques. Et quant à vous, dit-il à ceux de la troupe qui étaient le plus près de lui; quant à vous, mes chers enfants (je puis vous appeler de ce nom, car vous avez reçu de moi une seconde « naissance), mon écriteau décidera de la magnificence de « vos équipages, de la somptuosité de vos festins, du nombre « et de la pension de vos maîtresses.

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« A quelques jours de là il arriva dans le carrefour, tout essoufflé; et, transporté de colère, il s'écria: Peuples de Bétique, je vous avais conseillé d'imaginer, et je vois que « vous ne le faites pas : eh bien ! à présent je vous l'ordonne. Là-dessus, il les quitta brusquement; mais la réflexion le rappela sur ses pas. J'apprends que quelques-uns de vous << sont assez détestables pour conserver leur or et leur argent. « Encore passe pour l'argent; mais pour de l'or... pour de

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« l'or... Ah! cela me met dans une indignation Je... jure par << mes outres sacrées que, s'ils ne viennent me l'apporter, je « les punirai sévèrement. Puis il ajouta d'un air tout à fait persuasif: Croyez-vous que ce soit pour garder ces miséra«bles métaux que je vous les demande ? Une marque de ma candeur, c'est que, lorsque vous me les apportâtes il y a « quelques jours, je vous en rendis sur-le-champ la moitié. << Le lendemain, on l'aperçut de loin, et on le vit s'insinuer << avec une voix douce et flatteuse : Peuples de Bétique, j'apprends que vous avez une partie de vos trésors dans les pays étrangers; je vous prie, faites-les-moi venir; vous me ferez plaisir, et je vous en aurai une reconnaissance éternelle.

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« Le fils d'Éole parlait à des gens qui n'avaient pas grande <«< envie de rire; ils ne purent pourtant s'en empêcher : ce qui fit qu'il s'en retourna bien confus. Mais, reprenant « courage, il hasarda encore une petite prière. Je sais que << vous avez des pierres précieuses; au nom de Jupiter, défai« tes-vous-en : rien ne vous appauvrit comme ces sortes de « choses; défaites-vous-en, vous dis-je. Si vous ne le pouvez << pas par vous-mêmes, je vous donnerai des hommes d'affai« res excellents. Que de richesses vont couler chez vous, si << vous faites ce que je vous conseille! Oui, je vous promets « tout ce qu'il y a de plus pur dans mes outres.

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<< Enfin il monta sur un tréteau, et prenant, une voix plus ⚫ assurée, il dit : Peuples de Bétique, j'ai comparé l'heureux « état dans lequel vous êtes avec celui où je me trouvai lors• que j'arrivai ici je vous vois le plus riche peuple de la << terre; mais, pour achever votre fortune, souffrez que je « vous ôte la moitié de vos biens. A ces mots, d'une aile légère le fils d'Éole disparut, et laissa ses auditeurs dans une «< consternation inexprimable; ce qui fit qu'il revint le lende« main, et parla ainsi : Je m'aperçus hier que mon discours « vous déplut extrêmement ; eh bien! prenez que je ne vous « aie rien dit. Il est vrai, la moitié, c'est trop. Il n'y a qu'à prendre d'autres expédients pour arriver au but que je me

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« suis proposé. Assemblons nos richesses dans un même endroit; nous le pouvons facilement, car elles ne tiennent « pas un gros volume. Aussitôt il en disparut les trois

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CXLIII. RICA A NATHANAEL LÉVI, MÉDECIN JUIF.

A Livourne.

Tu me demandes ce que je pense de la vertu des amulettes et de la puissance des talismans. Pourquoi t'adresses-tu à moi? tu es Juif, et je suis mahométan : c'est-à-dire que nous sommes tous deux bien crédules.

Je porte toujours sur moi plus de deux mille passages du saint Alcoran; j'attache à mes bras un petit paquet où sont écrits les noms de plus de deux cents dervis : ceux d'Hali, de Fatmé, et de tous les purs, sont cachés en plus de vingt endroits de mes habits.

Cependant je ne désapprouve point ceux qui rejettent cette vertu que l'on attribue à de certaines paroles. Il nous est bien plus difficile de répondre à leurs raisonnements qu'à eux de répondre à nos expériences.

Je porte tous ces chiffons sacrés par une longue habitude, pour me conformer à une pratique universelle; je crois que, s'ils n'ont pas plus de vertu que les bagues et les autres ornements dont on se pare, ils n'en ont pas moins. Mais toi, tu mets toute ta confiance sur quelques lettres mystérieuses; et, sans cette sauvegarde, tu serais dans un effroi continuel.

Les hommes sont bien malheureux! ils flottent sans cesse entre de fausses espérances et des craintes ridicules; et, au lieu de s'appuyer sur la raison, ils se font des monstres qui les intimident, ou des fantômes qui les séduisent.

Quel effet veux-tu que produise l'arrangement de certaines lettres? quel effet veux-tu que leur dérangement puisse trou

bler? quelle relation ont-elles avec les vents pour apaiser les tempêtes, avec la poudre à canon pour en vaincre l'effort, avec ce que les médecins appellent l'humeur peccante et la cause morbifique des maladies pour les guérir?

Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que ceux qui fatiguent leur raison pour lui faire rapporter de certains événements à des vertus occultes n'ont pas un moindre effort à faire pour s'empêcher d'en voir la véritable cause.

Tu me diras que de certains prestiges ont fait gagner une bataille; et moi je te dirai qu'il faut que tu t'aveugles, pour ne pas trouver dans la situation du terrain, dans le nombre ou dans le courage des soldats, dans l'expérience des capitai. nes, des causes suffisantes pour produire cet effet dont tu veux ignorer la cause.

Je te passe pour un moment qu'il y ait des prestiges: passe moi à mon tour, pour un moment, qu'il n'y en ait point; car cela n'est pas impossible. Cette concession que tu me fais n'empêche pas que deux armées ne puissent se battre : veuxtu que dans ce cas-là, aucune des deux ne puisse remporter la victoire ?

Crois-tu que leur sort restera incertain jusqu'à ce qu'une puissance invisible vienne le déterminer? que tous les coups seront perdus, toute la prudence vaine, et tout le courage inutile ?

Penses-tu que la mort, dans ces occasions, rendue présente de mille manières, ne puisse pas produire dans les esprits ces terreurs paniques que tu as tant de peine à expliquer? Veux-tu que, dans une armée de cent mille hommes, il ne puisse pas y avoir un seul homme timide? Crois-tu que le découragement de celui-ci ne puisse pas produire le découragement d'un autre? que le second, qui quitte un troisième, ne lui fasse pas bientôt abandonner un quatrième? Il n'en aut pas davantage pour que le désespoir de vaincre saisisse soudain toute une armée, et la saisisse d'autant plus facilement qu'elle se trouve plus nombreuse.

Tout le monde sait et tout le monde sent que les hommes, comme toutes les créatures qui tendent à conserver leur être, aiment passionnément la vie : on sait cela en général, et on cherche pourquoi, dans une certaine occasion particulière, ils ont craint de la perdre.

Quoique les livres sacrés de toutes les nations soient remplis de ces terreurs paniques ou surnaturelles, je n'imagine rien de si frivole, parce que, pour s'assurer qu'un effet qui peut être produit par cent mille causes naturelles est surnaturel, il faut avoir auparavant examiné si aucune de ces causes n'a agi; ce qui est impossible.

Je ne t'en dirai pas davantage, Nathanaël; il me semble que la matière ne mérite pas d'être si sérieusement traitée.

De Paris, le 20 de la lune de Chahban, 1720.

P. S. Comme je finissais, j'ai entendu crier dans la rue une lettre d'un médecin de province à un médecin de Paris (car ici toutes les bagatelles s'impriment, se publient, et s'achètent). J'ai cru que je ferais bien de te l'envoyer, parce qu'elle a du rapport à notre sujet. Il y a bien des choses que je n'entends pas; mais toi, qui es médecin, tu dois entendre le langage de tes confrères.

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LETTRE D'UN MÉDECIN DE PROVINCE

A UN MÉDECIN DE PARIS.

Il y avait dans notre ville un malade qui ne dormait point depuis trente-cinq jours. Son médecin lui ordonna l'opium: « mais il ne pouvait se résoudre à le prendre; et il avait la « coupe à la main, qu'il était plus indéterminé que jamais. <«< Enfin il dit à son médecin : Monsieur, je vous demande quartier seulement jusqu'à demain; je connais un homme qui n'exerce pas la médecine, mais qui a chez lui un nombre in<< nombrable de remèdes contre l'insomnie: souffrez que je l'en« voie querir; et, si je ne dors pas cette nuit, je vous pro<«< mets que je reviendrai à vous. Le médecin congédié, le ma

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