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Ne pouvant apaiser les haines des partis, L'Hôpital s'occupa d'améliorer au moins l'administration par de bonnes lois. Grâce à lui, plusieurs des ordonnances les plus sages de l'ancienne monarchie se trouvent datées d'un de ses règnes les plus funestes.

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L'ordonnance d'Orléans (1561) promulguait, au nom du roi, la plupart des réformes réclamées pendant la session des états généraux, par les représentants du tiers état; celle de Moulins (1566), qui comprend quatre-vingt-six chapitres, et a pour objet la refonte du système judiciaire, est demeurée une des bases de la législation française jusqu'à la Révolution. L'Hôpital voulait au moins fermer aux passions religieuses le sanctuaire de la justice. « Vous êtes juges du pré ou du champ, disait-il aux magistrats du parlement de Rouen, dans la séance où l'on proclama la majorité de Charles IX, non de la vie, non des mœurs, non de la religion. Vous pensez bien faire d'adjuger la cause à celui que vous estimez plus homme de bien ou meilleur chrétien, comme s'il était question entre les parties lequel est meilleur poëte, orateur, peintre, artisan, et non de la chose qui est amenée en jugement. Si vous ne vous sentez pas assez forts et justes pour commander vos passions et aimer vos ennemis, selon que Dieu le commande, abstenez-vous de l'office de juges.»

Quand on est réduit à donner de pareils avis, on peut pres sentir qu'ils seront inutiles. Aussi le chancelier disait-il avec une triste prévoyance : « Je sais bien que j'aurai beau dire, je ne désarmerai pas la haine de ceux que ma vieillesse ennuie. Je leur pardonnerais d'être si impatients, s'ils devaient gagner au change; mais quand je regarde tout autour de moi, je serais bien tenté de leur répondre, comme un bon vieil homme d'évêque, qui portait, comme moi, une longue barbe blanche, et qui, la montrant, disait : « Quand cette neige sera fondue, il n'y aura que de la boue. »

Il n'y eut plus, en effet, que de la boue et du sang. Les derniers souvenirs que l'histoire ait conservés du chancelier de L'Hôpital se rattachent aux jours néfastes de la SaintBarthélemy. Le duc d'Anjou avait chargé ses gardes de parcourir les environs de Paris pour surprendre et tuer les

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huguenots dans leurs maisons aux champs. » Le chancelier, honoré depuis longtemps d'une disgrâce, et retiré à Vignay, près d'Étampes, fut menacé par une de ces bandes d'assassins. Sa famille et ses amis le conjuraient de se cacher. Il refusa « Ce sera, dit-il, quand il plaira à Dieu, quand mon heure sera venue. » Bientôt on vint lui dire « qu'on voyait force chevaux sur le chemin, qui tiraient vers lui, et s'il ne voulait pas qu'on leur fermât la porte. « Non, non, dit-il, mais si la petite porte n'est pas bastante (suffisante) pour les faire entrer, ouvrez la grande.... » On trouva qu'on lui donnait avis que sa mort n'était pas conjurée, mais pardonnée; il répondit « qu'il ne pensait avoir mérité ni mort ni don1. Nous surprenons ici à sa source même l'éloquence de cet homme illustre. Elle n'était que l'effusion naturelle de ses nobles sentiments, et, selon l'expression d'un ancien rhéteur, le son que rend une grande âme2.

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Nous allons voir l'éloquence couler maintenant d'une source moins pure; la fureur des partis, l'enthousiasme des passions religieuses et démagogiques vont changer l'Église en forum et faire des prédicateurs de la Ligue autant de fougueux tribuns.

Les prédicateurs de la Ligue.

La Ligue est la seconde phase du mouvement religieux au seizième siècle. Après l'action réformatrice, ce fut la réaction catholique. Les partis ne devaient, comme toujours, arriver à la période de transaction qu'après s'être fatigués et épuisés de leurs excès. C'est à l'histoire politique à montrer comment le fanatisme religieux trouva, dans l'ambition de deux maisons rivales et dans les vagues mais violentes aspirations d'une démocratie prématurée, de terribles auxiliaires. Il nous suffit de montrer la physionomie de ces étranges démago-gues, de ces tribuns en capuchon, de faire entendre quel

1. Brantôme, Vie du connétable de Bourbon. Nous devons indiquer, ou plutôt rappeler à nos lecteurs la Vie de L'Hopital, écrite par M. Villemain comme tout ce qu'écrit M. Villemain.

2. Τ+ ύψος μεγαλοψυχίας ἀπήχημα. Longin, du Sublime,

ques-unes de leurs invectives, et de constater ici surtout le caractère de la parole au temps qui nous occupe, la puissance sans la forme, l'éloquence isolée des convenances de l'art.

Le quinzième siècle avait légué à la chaire chrétienne une éloquence populaire, hardie contre les grands, puissante sur la foule, bizarre mélange de plaisanteries et de mouvements impétueux, vraie pâture d'un peuple spirituel et grossier, vrai langage des moines mendiants, cette démocratie de l'Église. Le seizième siècle enflamma cette parole de toute l'ardeur des passions politiques, quand les vices de Henri III et l'hérésie de son héritier présomptif semblèrent confondre un moment les intérêts religieux avec les rivalités des factions.

Les premiers symptômes sérieux de la Ligue s'étaient manifestés en 1576. Elle n'était qu'une imitation des serments et formulaires calvinistes pour la défense de la cause, imitation que les jésuites se hâtèrent de propager. En 1587, il se forma à Paris une réunion d'hommes plus décidés, qui voulurent une prompte solution. Ils s'assemblaient et tenaient leurs conseils dans la chambre de Jean Boucher, curé de Saint-Benoît. A leur tête se trouvaient, avec Boucher, Launay, ancien ministre protestant, devenu chanoine; et Prévôt, curé de Saint-Séverin. Ils s'adjoignirent Rose, évêque de Senlis, Pelletier, Guincestre, Hamilton, Cueilly, célèbres prédicateurs. Ce n'étaient donc pas tout à fait, suivant l'expression trop dédaigneuse de l'Étoile, « quelques marmitons et souppiers de Sorbonne, braves conseillers d'État qui, toute leur vie, ont été enfermés dans un collége à pédantiser et à manger les pauvres novices de la théologie. En général, amis et ennemis leur rendirent plus de justice. Mayenne prit langue avec eux; l'une des héroïnes de l'union, Mme de Montpensier, disait « J'ai fait plus par la bouche de mes prédicateurs qu'ils ne font tous ensemble avec toutes leurs pratiques, armes et armées. » Et Henri IV écrivait : « Tout mon mal vient de la chaire. Cette crainte qu'ils inspiraient à un grand roi est du moins un point de ressemblance entre nos orateurs et le prince de l'éloquence grecque.

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Les prédicateurs étaient en effet l'âme de la Ligue. Ce

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sont eux qui communiquaient au peuple l'enthousiasme de la résistance, qui lui faisaient braver la mort et souffrir la faim sans murmure. Il n'y avait pas à Paris d'église ni de chapelle où l'on ne prêchât au moins deux fois par jour. Les orateurs sacrés annonçaient, commentaient les nouvelles politiques, attaquaient les personnes, discutaient les intérêts de l'État. Ils déclaraient ne pouvoir point prêcher l'Évangile, • parce qu'il était trop commun et que chacun le savait; »>< ils aimaient mieux raconter la vie, gestes et faits abominables de ce perfide tyran Henri de Valois. » Le sermon était à la fois le club et le journal. Il avait toute la violence démagogique des époques les plus sanguinaires. Boucher, prêchant le carême à Saint-Germain l'Auxerrois, prétendait qu'il fallait tout tuer, qu'il était grandement temps de mettre la main à la serpe et d'exterminer ceux du parlement et autres. Il fut si au long question de sang et de boucherie, qu'un conseiller de la cour, voyant ces gestes et paroles atroces, désirait se sauver du milieu de cette foule qui écoutait, de peur que Boucher « ne descendît de sa chaire pour

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saisir quelque politique au collet et le manger à belles dents. >> Rose, de son côté, s'écriait « qu'une saignée de Saint-Barthélemy étoit nécessaire, et qu'il falloit par là couper la gorge à la maladie. » Commolet disait que la mort des politiques étoit la vie des catholiques; Aubry, « qu'il marcheroit le premier pour les égorger; Cueilly, « qu'il vouloit qu'on se saisist de tous ceux qu'on verroit rire; » et Guincestre, qu'on eust à jeter à l'eau tous les demandeurs de nouvelles. » Le ton de ces orateurs était digne de leur politique. L'Étoile n'exagère pas en comparant l'un d'eux à une harengère en colère. On pressent toutefois que, si l'éloquence est le don d'agir sur les âmes, les discours des chefs de la Ligue durent être souvent éloquents. Après que Henri eut fait assassiner à Blois les princes lorrains, ce fut sans doute un moment terrible et sublime que celui où Guincestre, dans la chaire de l'église Saint-Barthélemy, exigea de tous ses auditeurs le serment d'employer jusqu'au dernier denier de leur bourse et jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour venger les nouveaux martyrs. Levez la main, disait-il au président de Harlay,

assis en face de lui au banc d'œuvre, levez-la bien haut, s'il vous plaît, monsieur le président, afin que tout le monde vous voie. Et le président était contraint d'obéir, car le peuple, exalté par la harangue démagogique, l'eût infailliblement mis en pièces.

L'éloquence des prédicateurs parlait quelquefois aux yeux du peuple par d'imposants spectacles. Telle fut cette procession où plus de cent mille personnes portant des cierges les éteignaient tout d'un coup en s'écriant: Dieu, éteignez ainsi la race des Valois!» Un témoin oculaire, qui ne peut être suspect, le protestant d'Aubigné, nous atteste en ces termes la puissance que la chaire exerçait alors sur les esprits : « La France, comme étant venue au période de son éloquence, déployant plusieurs discours dans les chaires et par les écrits, étoit agitée de raisons contraires. Les ligués étoient plus avantagés que ceux de la Réforme par les sermons des prêcheurs comme possédant les suggestes des grandes villes, et puis ayant l'acte de Blois (le meurtre des Guises) sur lequel les prêcheurs paratragédioient à plein fond; ils avoient encore la grande secte des jésuites tout entière pour eux, comme servant au grand dessein. Ces esprits choisis, comme l'on sait, se servirent de l'horreur de l'acte que nous avons dit, et élevèrent pour un temps la plupart des courages de la France à un haut degré de vengeances qui sentoient le juste et le glorieux1. >

C'est dans les revers, c'est quand il fallait contre-balancer la souffrance par l'enthousiasme qu'éclatait la puissance des prédicateurs. Le moine Christin, chargé d'annoncer au peuple la défaite d'Ivry, que les Seize venaient seuls d'apprendre par un prisonnier relâché sur parole, prit pour texte de son sermon ces mots de l'Écriture: « Je châtie ceux que j'aime.» Dans son premier point, il prépara les Parisiens, le peuple aimé de Dieu, à recevoir quelque marque sévère de cette prédilection divine. Il allait commencer le second point quand un courrier entra dans l'église et lui remit une lettre. Alors l'orateur se haussant dans la chaire, cette missive à la main,

4. D'Aubigné, Histoire universelle, t. III, p. 288

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