ページの画像
PDF
ePub

tandis que les autres n'en peuvent avoir. Que l'on ne prépare point ce crime, qu'on le proscrive par une police exacte, comme toutes les violations des mœurs; et l'on verra soudain la nature, ou défendre ses droits, ou les reprendre. Douce, aimable, charmante, elle a répandu les plaisirs d'une main libérale, et, en nous comblant de délices, elle nous prépare, par des enfants qui nous font pour ainsi dire renaître, à des satisfactions plus grandes que ses délices mêmes.

CHAPITRE VII.

Du crime de lèse-majesté.

Les lois de la Chine décident que quiconque manque de respect à l'empereur doit être puni de mort. Comme elles ne définissent pas ce que c'est que ce manquement de respect, tout peut fournir un prétexte pour ôter la vie à qui l'on veut, et exterminer la famille que l'on veut.

Deux personnes chargées de faire la gazette de la cour ayant mis dans quelque fait des circonstances qui ne se trouvèrent pas vraies, on dit que mentir dans une gazette de la cour, c'était manquer de respect à la cour; et on les fit mourir 1. Un prince du sang ayant mis quelque note par mégarde sur un mémorial signé du pinceau rouge par l'empereur, on décida qu'il avait manqué de respect à l'empereur; ce qui causa contre cette famille une des plus terribles persécutions dont l'histoire ait jamais parlé 2.

C'est assez que le crime de lèse-majesté soit vague pour que le gouvernement dégénère en despotisme. Je m'étendrai davantage là-dessus dans le livre de la composition des lois.

CHAPITRE VIII.

[ocr errors]

pas. Une loi des empereurs poursuivait comme sacriléges ceux qui mettaient en question le jugement du prince, et doutaient du mérite de ceux qu'il avait choisis pour quelque emploi 2. Ce furent bien le cabinet et les favoris qui établirent ce crime. Une autre loi avait déclaré que ceux qui attentent contre les ministres et les officiers du prince sont criminels de lèse-majesté, comme s'ils attentaient contre le prince même 3. Nous devons cette loi à deux princes 4 dont la faiblesse est célèbre dans l'histoire; deux princes qui furent menés par leurs ministres, comme les troupeaux sont conduits par les pasteurs; deux princes, esclaves dans le palais, enfants dans le conseil, étrangers aux armées, qui nèrent tous les jours. Quelques-uns de ces favoris ne conservèrent l'empire que parce qu'ils le donplus : ils conspirèrent contre l'empire, ils y appeconspirèrent contre leurs empereurs. Ils firent lèrent les barbares; et, quand on voulut les arrêter, l'État était si faible qu'il fallut violer leur loi, et s'exposer au crime de lèse-majesté pour les punir.

[ocr errors]

C'est pourtant sur cette loi que se fondait le rapporteur de M. de Cinq-Mars 5, lorsque, voulant jesté, pour avoir voulu chasser le cardinal de Riprouver qu'il était coupable du crime de lèse-machelieu des affaires, il dit : « Le crime qui touche la personne des ministres des princes est réputé, <«< par les constitutions des empereurs, de pareil poids que celui qui touche leur personne. Un << ministre sert bien son prince et son État; on « l'ôte à tous les deux : c'est comme si l'on privait << le premier d'un bras 6, et le second d'une partie viendrait sur la terre, elle ne parlerait pas autre<< de sa puissance. » Quand la servitude elle-même

[ocr errors]

ment.

Une autre loi de Valentinien, Théodose et Arcadius 7, déclare les faux monnayeurs coupables du crime de lèse-majesté. Mais n'était-ce pas confon

De la mauvaise application du nom de crime de sacrilége dre les idées des choses? Porter sur un autre crime

et de lèse-majesté.

C'est encore un violent abus de donner le nom de crime de lèse-majesté à une action qui ne l'est

Le P. Duhalde, tome 1, pag. 43. A la Chine, c'est un crime de lèse-majesté, pour ceux qui sont chargés de faire la Gazette de la cour, que d'y rien ajouter ou diminuer, et surtout d'y insérer des choses fausses, parce qu'on n'imprime rien dans cette gazette qui n'ait été présenté et approuvé par l'empereur, ou qui ne vienne de lui directement. Cette sévérité est excusable: comme tout le monde sait que l'empereur est l'auteur ou le censeur de cette gazette, c'est blesser sa réputation et l'attaquer dans son honneur, que de le présenter comme capable d'en imposer à ses sujets par le mensonge et la fausseté. (D.)

2 Lettres du P. Parennin, dans les Lettres édifiantes.

Gratien, Valentinien et Théodose. C'est la troisième au code de Crimin. sacril.

2 Sacrilegii instar est dubitare an is dignus sit quem elegerit imperator. (Ibid.) Cette loi a servi de modèle à celle de Roger, dans les constitutions de Naples, tit. IV.

3 La loi cinquième, au code ad Leg. jul. maj.

4 Arcadius et Honorius.

5 Mémoires de Montrésor, tom. I".

6 Nam ipsi pars corporis nostri sunt. (Même loi, au code ad Leg. jul. maj.)

7 C'est la neuvième au code Théod. de Falsa moneta.

Page 238, édition de Cologne, 1723. Cinq-Mars et de Thou, son complice, furent condamnés et exécutés à Lyon l'an 1642. Voyez dans les Mémoires de Montrésor, tome II, page 265, des détails touchants sur leur procès et leurs derniers instants. (P.)

le nom de lèse-majesté, n'est-ce pas diminuer l'horreur du crime de lèse-majesté?

a

CHAPITRE IX.

Continuation du même sujet.

Paulin ayant mandé à l'empereur Alexandre * qu'il se préparait à poursuivre comme criminel ⚫ de lèse-majesté un juge qui avait prononcé contre « ses ordonnances, l'empereur lui répondit que, a dans un siècle comme le sien, les crimes de lèsemajesté indirects n'avaient point de lieu 1. >> Faustinien ayant écrit au même empereur que, ayant juré, par la vie du prince, qu'on ne pardonnerait jamais à son esclave, il se voyait obligé de perpétuer sa colère, pour ne pas se rendre coupable du crime de lèse-majesté : « Vous avez pris << de vaines terreurs 2, lui répondit l'empereur; et • vous ne connaissez pas mes maximes. »>

Un sénatus-consulte 3 ordonna que celui qui avait fondu des statues de l'empereur, qui auraient été réprouvées, ne serait point coupable de lèsemajesté. Les empereurs Sévère et Antonin écrivirent à Pontius 4 que celui qui vendrait des statues de l'empereur non consacrées ne tomberait point dans le crime de lèse-majesté. Les mêmes empereurs écrivirent à Julius Cassianus que celui qui jetterait par hasard une pierre contre une statue de l'empereur ne devait point être poursuivi comme criminel de lèse-majesté 5. La loi Julie demandait ces sortes de modifications; car elle avait rendu coupables de lèse-majesté, non-seulement ceux qui fondaient les statues des empereurs, mais ceux qui commettaient quelque action semblable ce qui rendait ce crime arbitraire. Quand on eut établi bien des crimes de lèse-majesté, il fallut nécessairement distinguer ces crimes. Aussi le jurisconsulte Ulpien, après avoir dit que l'accusation du crime de lèse-majesté ne s'éteignait point par la mort du coupable, ajoute-t-il que cela ne regarde pas tous 7 les crimes de lèse-majesté établis par la loi Julie, mais seulement celui qui contient un attentat contre l'empire ou contre la vie de l'empereur.

Etiam ex aliis causis majestatis crimina cessant meo culo. (Leg. I, cod. ad Leg. jul. maj.)

> Alienam sectæ meæ sollicitudinem concepisti. (Leg. 2, cod. ad Leg. jul maj.)

3 Voyez la loi 4, § 1, ff. ad Leg. jul. maj.

4 Voyez la loi 5, § 2, ibid.

5 Voyez la loi 5, § I.

6 Aliudre quid simile admiserint. (Leg. 6, ff. ibid.) 7 Dans la loi dernière, ff. ad Leg. jul. de aduiteriis.

CHAPITRE X.

Continuation du même sujet.

Une loi d'Angleterre, passée sous Henri VIII, déclarait coupables de haute trahison tous ceux qui prédiraient la mort du roi. Cette loi était bien vague. Le despotisme est si terrible, qu'il se tourne même contre ceux qui l'exercent. Dans la dernière maladie de ce roi, les médecins n'osèrent jamais dire qu'il fût en danger; et ils agirent sans doute en conséquence 1.

CHAPITRE XI.

Des pensées.

Un Marsyas songea qu'il coupait la gorge à Denys 2. Celui-ci le fit mourir, disant qu'il n'y aurait pas songé la nuit s'il n'y eût pensé le jour. C'était une grande tyrannie: car, quand même il y aurait pensé, il n'avait pas attenté 3. Les lois ne se chargent de punir que les actions extérieures.

CHAPITRE XII.

Des paroles indiscrètes.

Rien ne rend encore le crime de lèse-majesté plus arbitraire que quand des paroles indiscrètes en deviennent la matière. Les discours sont si sujets à interprétation, il y a tant de différence entre l'indiscrétion et la malice, et il y en a si peu dans les expressions qu'elles emploient, que la loi ne peut guère soumettre les paroles à une peine capitale, à moins qu'elle ne déclare expressément celles qu'elle y soumet 4.

Les paroles ne forment point un corps de délit, elles ne restent que dans l'idée. La plupart du temps elles ne signifient point par elles-mêmes, mais par le ton dont on les dit. Souvent, en redisant les mêmes paroles, on ne rend pas le même sens ce sens dépend de la liaison qu'elles ont avec d'autres choses. Quelquefois le silence exprime plus que tous les discours. Il n'y a rien de si équivoque que tout cela. Comment donc en faire un crime de lèse-majesté? Partout où cette loi est établie, non-seulement la liberté n'est plus, mais son ombre même.

1 Voyez l'Histoire de la Réformation, par M. Burnet. 2 PLUTARQUE, Vie de Denys.

3 Il faut que la pensée soit jointe à quelque sorte d'action 4 Si non tale sit delictum, in quod vel scriptura legis des cendit, vel ad exemplum legis vindicandum est, dit Mollestinus dans la loi VII, § 3, in fin. ff. ad Leg. jul. maj.

Dans le manifeste de la feue czarine, donné contre la famille d'Olgourouki 1, un de ces princes est condamné à mort, pour avoir proféré des paroles indécentes qui avaient du rapport à sa personne; un autre, pour avoir malignement interprété ses sages dispositions pour l'empire, et offensé sa personne sacrée par des paroles peu respectueuses. Je ne prétends point diminuer l'indignation que l'on doit avoir contre ceux qui veulent flétrir la gloire de leur prince; mais je dirai bien que, si l'on veut modérer le despotisme, une simple punition correctionnelle conviendra mieux, dans ces occasions, qu'une accusation de lèse-majesté, toujours terrible à l'innocence même 2.

Les actions ne sont pas de tous les jours, bien des gens peuvent les remarquer; une fausse accusation sur des faits peut être aisément éclaircie. Les paroles qui sont jointes à une action prennent la nature de cette action. Ainsi un homme qui va dans la place publique exhorter les sujets à la révolte, devient coupable de lèse-majesté, parce que les paroles sont jointes à l'action, et y participent. Ce ne sont point les paroles que l'on punit, mais une action commise, dans laquelle on emploie les paroles. Elles ne deviennent des crimes que lorsqu'elles préparent, qu'elles accompagnent ou qu'elles suivent une action criminelle. On ren

verse tout, si l'on fait des paroles un crime capital, au lieu de les regarder comme le signe d'un crime capital.

«

Les empereurs Théodose, Arcadius et Honorius, écrivent à Ruffin, préfet du prétoire : « Si quelqu'un parle mal de notre personne ou de « notre gouvernement, nous ne voulons point le punir 3: s'il a parlé par légèreté, il faut le mé« priser; si c'est par folie, il faut le plaindre; si « c'est une injure, il faut lui pardonner. Ainsi, « laissant les choses dans leur entier, vous nous en « donnerez connaissance, afin que nous jugions << des paroles par les personnes, et que nous pe«sions bien si nous devons les soumettre au juge<< ment, ou les négliger. »

I En 1740.

2 Nee lubricum linguæ ad pœnam facile trahendum est. (MODESTIN, dans la loi VII, § 3, ff. ad Leg. jul. maj.

3 Si id ex levitate processerit, contemnendum est: si ex insania, miseratione dignissimum; si ab injuria, remittendum. (Leg. unica, cod. Si quis imperat. maled.)

CHAPITRE XIII.

Des écrits.

Les écrits contiennent quelque chose de plus permanent que les paroles; mais, lorsqu'ils ne préparent pas au crime de lèse-majesté, ils ne sont point une matière du crime de lèse-majesté.

Auguste et Tibère y attachèrent pourtant la peine de ce crime: Auguste, à l'occasion de cer

tains écrits faits contre des hommes et des femmes illustres; Tibère, à cause de ceux qu'il crut faits contre lui. Rien ne fut plus fatal à la liberté romaine. Crémutius Cordus fut accusé, parce que dans ses annales il avait appelé Cassius le dernier

des Romains 2.

Les écrits satiriques ne sont guère connus dans les États despotiques, où l'abattement d'un côté, et l'ignorance de l'autre, ne donnent ni le talent ni la volonté d'en faire. Dans la démocratie on ne les empêche pas, par la raison même qui, dans le gouvernement d'un seul, les fait défendre. Comme ils sont ordinairement composés contre des gens puissants, ils flattent, dans la démocratie, la malignité du peuple qui gouverne. Dans la monarchie on les défend; mais on en fait plutôt un sujet de police que de crime. Ils peuvent amuser la malignité générale, consoler les mécontents, diminuer l'envie contre les places, donner au peuple la patience de souffrir, et le faire rire de ses souffrances.

L'aristocratie est le gouvernement qui proscrit le plus les ouvrages satiriques. Les magistrats y sont de petits souverains qui ne sont pas assez grands pour mépriser les injures. Si, dans la monarchie, quelque trait va contre le monarque, il est si haut que le trait n'arrive point jusqu'à lui. Un seigneur aristocratique en est percé de part en part. Aussi les décemvirs, qui formaient une aristocratie, punirent-ils de mort les écrits sati riques 3.

CHAPITRE XIV.

Violation de la pudeur dans la punition des crimes.

Il y a des règles de pudeur observées chez presque toutes les nations du monde : il serait absurde de les violer dans la punition des crimes, qui doit toujours avoir pour objet le rétablissement de l'ordre.

I TACITE, Annales, liv. I. Cela continua sous les règnes suivants. Voyez la loi première, au code de famosis libellis, 2 Idem, liv. IV.

3 La loi des Douze Tables. (M.)

[merged small][ocr errors]

Lorsque la magistrature japonaise a fait exposer dans les places publiques les femmes nues, et les a obligées de marcher à la manière des bêtes, elle a fait frémir la pudeur 2; mais, lorsqu'elle a voulu

* SUETONIUS, in Tiberio. — Le mot virgo, dont se sert ici Suétone, désignait toute fille qui n'avait point été mariée, ou qui n'était point connue pour courtisane. (D.) Ce passage demande, ce me semble, une grande attention. Tibère, homme méchant, se plaignit au sénat de Séjan, homme plus méchant que lui, par une lettre artificieuse et obscure. Cette lettre n'était point d'un souverain qui ordonnait aux magistrats de faire, selon les lois, le procès à un coupable; elle semblait ecrite par un ami qui déposait ses douleurs dans le sein de ses amis. A peine détaillait-il la perfidie et les crimes de Séjan. Plus il paraissait affligé, plus il rendait Séjan odieux. C'était livrer à la vengeance publique le second personnage de l'empire, et le plus détesté. Dès qu'on sut dans Rome que cet homme si puissant déplaisait au maître, le consul, le préteur, le senat, le peuple, se jetèrent sur lui comme sur une victime qu'on leur abandonnait. Il n'y eut nulle forme de jugement; on le traina en prison; on l'exécuta; il fut déchiré par mille mains, lui, ses amis et ses parents. Tibère n'ordonna point qu'on fit mourir la fille de ce malheureux, âgée de sept ans, malgré la loi qui défendait cette barbarie : il était trop habile et trop reserve pour ordonner un tel supplice, et surtout pour autoriser le viol par un bourreau. Tacite et Suétone rapportent l'un et l'autre, au bout de cent ans, cette action exécrable; mais ils ne disent point qu'elle ait été commise ou par la permission de l'empereur, ou par celle du sénat *. De même que ce ne fut point avec la permission du roi que la populace de Paris mangea le cœur du maréchal d'Ancre. Il est bien étrange qu'on dise que Tibère détruisit les mœurs pour conserver les coutumes. Il semblerait qu'un empereur eût introduit la coutume nouvelle de violer les enfants, par respect pour la coutume ancienne de ne les pas faire pendre avant l'âge de puberté.

Cette aventure du bourreau et de la fille de Séjan m'a touJours paru bien suspecte: toutes les anecdotes le sont; et j'ai meme douté de quelques imputations qu'on fait encore tous les jours a Tibere, comme de ces spinthrie, dont on parle tant; de ces débauches honteuses et dégoûtantes, qui ne sont jamais que les excès d'une jeunesse emportée, et qu'un empereur de soixante et dix ans cacherait à tous les yeux, avec le même soin qu'une vestale cachait ses parties naturelles dans une procession. Je n'ai jamais cru qu'un homme aussi adroit que Tibere, aussi dissimulé, et d'un esprit aussi profond, eut voulu s'avilir a ce point devant tous ses domestiques, ses soldats, ses esclaves, et surtout devant ses autres esclaves, les courtisans. Пy a des choses de bienséance jusque dans les plus indignes voluptés. Et de plus, je pense que pour un tyran, successeur dn discret tyran de Rome, c'eût été le moyen infaillible de se faire assassiner. (VOLT.)

Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome V, partie II. — Un seul voyageur, Tradunt temporis hujus auctores. C'est un bruit vague qui se repandit dans le temps. Quiconque a vécu a entendu des faussetés plus odieuses répétées vingt ans entiers par le public. (VOLT.)

contraindre une mère... lorsqu'elle a voulu contraindre un fils... je ne puis achever, elle a fait frémir la nature même 1.

CHAPITRE XV.

De l'affranchissement de l'esclave pour accuser le maître.

Auguste établit que les esclaves de ceux qui auraient conspiré contre lui seraient vendus au public, afin qu'ils pussent déposer contre leur maître 2. On ne doit rien négliger de ce qui mène à la découverte d'un grand crime. Ainsi, dans un État où il y a des esclaves, il est naturel qu'ils puissent être indicateurs; mais ils ne sauraient être témoins. presque inconnu, nommé Reyergisbert, rapporte cette abomination qu'on lui raconta d'un magistrat du Japon; et il prétend que ce magistrat se divertissait à tourmenter ainsi les chrétiens, auxquels il ne faisait point d'autre mal. Montesquieu se plait à ces contes; il ajoute que chez les Orientaux on soumet les filles à des éléphants. Il ne dit point chez quels Orientaux on donne ce rendez-vous. Mais, en vérité, ce n'est là ni le Temple de Gnide, ni le Congrès de Cythère, ni l'Esprit des Lois.

C'est avec douleur, et en contrariant mon propre goût, que je combats ainsi quelques idées d'un philosophe citoyen, et que je relève quelques-unes de ses méprises. Je ne me serais pas livré, dans ce petit commentaire, à un travail si rebutant, si je n'avais été enflammé de l'amour de la vérité, autant que l'auteur l'était de l'amour de la gloire. Je suis en général si pénétré des maximes qu'il annonce plutôt qu'il ne les développe; je suis si plein de tout ce qu'il a dit sur la liberté politique, sur les tributs, sur le despotisme, sur l'esclavage, que je n'ai pas le courage de me joindre aux savants qui ont employé trois volumes à reprendre des fautes de détail *.

Je n'entrerai point non plus dans la discussion de l'ancien gouvernement des Francs vainqueurs des Gaulois; dans ce chaos de coutumes, toutes bizarres, toutes contradictoires, dans l'examen de cette barbarie, de cette anarchie qui a duré si longtemps, et sur lesquelles il y a autant de sentiments différents que nous en avons en théologie. On n'a perdu que trop de temps à descendre dans ces abimes de ruines, et l'auteur de l'Esprit des Lois a dú s'y égarer comme les autres.

Toutes les origines des nations sont l'obscurité même, comme tous les systèmes sur les premiers principes sont un chaos de fables. Lorsqu'un aussi beau génie que Montesquieu se trompe, je m'enfonce dans d'autres erreurs en découvrant les siennes. C'est le sort de tous ceux qui courent après la vérité : ils se heurtent dans leur course, et tous sont jetés par terre. Je respecte Montesquieu jusque dans ses chutes, parce qu'il se relève pour monter au ciel. Je vais continuer ce petit commentaire pour m'instruire en l'étudiant sur quelques points, non pour le critiquer je le prends pour mon guide, non pour mon adversaire. (VOLT.)

Ibid. pag. 496.

2 Dion, dans Xiphilin. (M.)-Nous avons le règne d'Auguste tout entier dans l'histoire de Dion. Ce ne peut donc pas être Xiphilin qui rapporte ce fait, à moins que ce ne soit en passant et par occasion. Remarquez que Tacite (Ann. liv. II, ch. xxx; et liv. III, ch. LXVII) attribue cette loi non pas à Auguste, mais à Tibère. (P.)

Il s'agit ici des Observations attribuées au fermier général Dupin, qui n'a point employé, comme le dit Voltaire, trois volumes à reprendre des fautes de détail, mais qui s'est principalement attaché à réfuter les différentes parties du système de Montesquieu : ce qu'il fait souvent avec une fatigante prolixité. Nous avons extrait de cet ouvrage tout ce que nous y avons trouvé de juste et de raisonnable. (P.)

Vindex indiqua la conspiration faite en faveur de Tarquin; mais il ne fut pas témoin contre les enfants de Brutus. Il était juste de donner la liberté à celui qui avait rendu un si grand service à sa patrie; mais on ne la lui donna pas afin qu'il rendit ce service à sa patrie.

Aussi l'empereur Tacite ordonna-t-il que les esclaves ne seraient pas témoins contre leur maître, dans le crime même de lèse-majesté : loi qui n'a pas été mise dans la compilation de Justinien.

I

CHAPITRE XVI.'

Calomnie dans le crime de lèse-majesté.

Il faut rendre justice aux Césars : ils n'imaginèrent pas les premiers les tristes lois qu'ils firent. C'est Sylla qui leur apprit qu'il ne fallait point punir les calomniateurs; bientôt on alla jusqu'à les récompenser3.

[ocr errors]

«

CHAPITRE XVII.

De la révélation des conspirations.

Quand ton frère, ou ton fils, ou ta fille, ou ta femme bien-aimée, ou ton ami, qui est comme << ton âme, te diront en secret: Allons à d'autres dieux, tu les lapideras d'abord ta main sera << sur lui, ensuite celle de tout le peuple. » Cette loi du Deuteronome 4 ne peut être une loi civile chez la plupart des peuples que nous connaissons, parce qu'elle y ouvrirait la porte à tous les crimes.

La loi qui ordonne dans plusieurs États, sous peine de la vie, de révéler les conspirations auxquelles même on n'a pas trempé, n'est guère moins dure. Lorsqu'on la porte dans le gouvernement monarchique, il est très-convenable de la restreindre.

Elle n'y doit être appliquée, dans toute sa sévérité, qu'au crime de lèse-majesté au premier chef. Dans ces États il est très-important de ne point confondre les différents chefs de ce crime.

Au Japon, où les lois renversent toutes les idées de la raison humaine, le crime de non-révélation s'applique aux cas les plus ordinaires.

1 Flavius Vopiscus, dans sa vie.

2 Sylla fit une loi de majesté, dont il est parlé dans les oraisons de Cicéron, pro Cluentio, article 3; in Pisonem, art. 21; deuxième contre Verrès, art. 5; épîtres familières, liv. III, lettre 11. César et Auguste les insérèrent dans les lois Julies; d'autres y ajoutèrent

3 Et quo quis distinctior accusator, eo magis honores assequebatur, ac veluti sacrosanctus erat. (TACITE.) 4 Chap. XIII, versets 6, 7, 8 et 9.

Une relation nous parle de deux demoiselles qui furent renfermées jusqu'à la mort dans un coffre hérissé de pointes : l'une, pour avoir eu quelque intrigue de galanterie; l'autre, pour ne l'avoir pas révélée.

CHAPITRE XVIII.

Combien il est dangereux, dans les républiques, de trop punir le crime de lèse-majesté.

Quand une république est parvenue à détruire. ceux qui voulaient la renverser, il faut se hâter de mettre fin aux vengeances, aux peines, et aux récompenses même.

On ne peut faire de grandes punitions, et par conséquent de grands changements, sans mettre dans les mains de quelques citoyens un grand pouvoir. Il vaut donc mieux, dans ce cas, pardonner beaucoup que punir beaucoup, exiler peu qu'exiler beaucoup, laisser les biens que multiplier les confiscations. Sous prétexte de la vengeance de la république, on établirait la tyrannie des vengeurs. Il n'est pas question de détruire celui qui domine, mais la domination. Il faut rentrer le plus tôt que l'on peut dans ce train ordinaire du gouvernement, où les lois protégent tout, et ne s'arment contre personne.

Les Grecs ne mirent point de bornes aux vengeances qu'ils prirent des tyrans ou de ceux qu'ils soupçonnèrent de l'être. Ils firent mourir les enfants, quelquefois cinq des plus proches parents 3. Ils chassèrent une infinité de familles. Leurs républiques en furent ébranlées; l'exil ou le retour des exilés furent toujours des époques qui marquèrent le changement de la constitution.

Les Romains furent plus sages. Lorsque Cassius fut condamné pour avoir aspiré à la tyrannie, on mit en question si l'on ferait mourir ses enfants : ils ne furent condamnés à aucune peine. a Ceux << qui ont voulu, dit Denys d'Halicarnasse 4, chan« ger cette loi à la fin de la guerre des Marses et « de la guerre civile, et exclure des charges les << enfants des proscrits par Sylla, sont bien cri« minels. >>

On voit dans les guerres de Marius et de Sylla jusqu'à quel point les âmes, chez les Romains, s'étaient peu à peu dépravées. Des choses si funestes

Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, pag. 423, liv. V, part. 1.

2 DENYS D'HALICARNASSE, Antiquités romaines, liv. VIII. 3 Tyranno occiso, quinque ejus proximos cognatione ma gistratus necato. (CICERON, de Inventione, lib. II.) 4 Liv. VIII, page 547.

« 前へ次へ »