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ceux qui sont dans un climat très-chaud, c'est-à- | les Mogols, les Turcs, les Tartares, les Persans et

dire la Turquie, la Perse, le Mogol, la Chine, la Corée et le Japon.

En Europe, au contraire, la zone tempérée est très-étendue, quoiqu'elle soit située dans des climats très-différents entre eux, n'y ayant point de rapport entre les climats d'Espagne et d'Italie, et ceux de Norwége et de Suède. Mais, comme le climat y devient insensiblement froid en allant du midi au nord, à peu près à proportion de la latitude | de chaque pays, il y arrive que chaque pays est à peu près semblable à celui qui en est voisin; qu'il n'y a pas une notable différence ; et que, comme je viens de le dire, la zone tempérée y est trèsétendue.

les Aguans. Je ne parle que de la haute Asie, et je ne dis rien des invasions faites dans le reste du midi de cette partie du monde, qui a continuellement souffert de très-grandes révolutions.

En Europe, au contraire, nous ne connaissons, depuis l'établissement des colonies grecques et phéniciennes, que quatre grands changements : le premier, causé par les conquêtes des Romains; le second, par les inondations des barbares qui détruisirent ces mêmes Romains ; le troisième, par les victoires de Charlemagne; et le dernier, par les invasions des Normands. Et si l'on examine bien ceci, on trouvera, dans ces changements mêmes, une force générale répandue dans toutes les parties de l'Europe. On sait la difficulté que les Romains trouvèrent à conquérir en Europe, et la fa

De là il suit qu'en Asie les nations sont opposées aux nations du fort au faible; les peuples guerriers, braves et actifs, touchent immédiatement des peu-cilité qu'il eurent à envahir l'Asie. On connaît les ples efféminés, paresseux, timides : il faut donc que peines que les peuples du Nord eurent à renverser l'un soit conquis, et l'autre conquérant. En Europe, l'empire romain, les guerres et les travaux de Charau contraire, les nations sont opposées du fort aulemagne, les divers entreprises des Normands. Les fort; celles qui se touchent ont à peu près le même destructeurs étaient sans cesse détruits. courage. C'est la grande raison de la faiblesse de l'Asie et de la force de l'Europe, de la liberté de l'Europe et de la servitude de l'Asie; cause que je ne sache pas que l'on ait encore remarquée1. C'est ce qui fait qu'en Asie il n'arrive jamais que la liberté augmente; au lieu qu'en Europe elle augmente ou diminue, selon les circonstances.

Que la noblesse moscovite ait été réduite en servitude par un de ses princes, on y verra toujours des traits d'impatience que les climats du midi ne donnent point. N'y avons-nous pas vu le gouvernement aristocratique établi pendant quelques jours? Qu'un autre royaume du nord ait perdu ses lois, on peut s'en fier au climat ; il ne les a pas perdues d'une manière irrévocable.

CHAPITRE IV.

Conséquence de ceci.

Ce que nous venons de dire s'accorde avec les événements de l'histoire. L'Asie a été subjuguée treize fois; onze fois par les peuples du nord, deux fois par ceux du midi. Dans les temps reculés, les Scythes la conquirent trois fois; ensuite les Mèdes et les Perses chacun une; les Grecs, les Arabes,

Les Asiatiques, dit Aristote, sont adroits et ingénieux, mais ils n'ont point de cœur: de là vient qu'ils obéissent et servent toujours. (Politiq. liv. VII, chap. vii.) (P.

CHAPITRE V.

Que, quand les peuples du nord de l'Asie et ceux du nord de l'Europe ont conquis, les effets de la conquête n'étaient pas les mêmes.

Les peuples du nord de l'Europe l'ont conquise l'ont conquise en esclaves, et n'ont vaincu que pour en hommes libres; les peuples du nord de l'Asie

un maître.

La raison en est que le peuple tartare, conquérant naturel de l'Asie, est devenu esclave lui-même. Il conquiert sans cesse dans le midi de l'Asie; il forme des empires, mais la partie de la nation qui reste dans le pays se trouve soumise à un grand maître, qui, despotique dans le midi, veut encore l'être dans le nord, et, avec un pouvoir arbitraire sur les sujets conquis, le prétend encore sur les sujets conquérants. Cela se voit bien aujourd'hui dans ce vaste pays qu'on appelle la Tartarie chinoise, que l'empereur gouverne presque aussi despotiquement que la Chine même, et qu'il étend tous les jours par ses conquêtes.

1

On peut voir encore dans l'histoire de la Chine que les empereurs ont envoyé des colonies chinoises dans la Tartarie. Ces Chinois sont devenus Tar tares et mortels ennemis de la Chine; mais cela

Comme Ven-ty, cinquième empereur de la cinquième dy. nastie.

n'empêche pas qu'ils n'aient porté dans la Tartarie | plus au midi, les sources y sont plus aisément tal'esprit du gouvernement chinois.

Souvent une partie de la nation tartare qui a conquis est chassée elle-même; et elle rapporte dans ses déserts un esprit de servitude qu'elle a acquis dans le climat de l'esclavage. L'histoire de la Chine nous en fournit de grands exemples, et notre histoire ancienne aussi 1.

C'est ce qui a fait que le génie de la nation tartare ou gétique a toujours été semblable à celui des empires de l'Asie. Les peuples, dans ceux-ci, sont gouvernés par le bâton; les peuples tartares, par les longs fouets. L'esprit de l'Europe a toujours été contraire à ces mœurs; et, dans tous les temps, ce que les peuples d'Asie ont appelé punition, les peuples d'Europe l'ont appelé outrage.

Les Tartares, détruisant l'empire grec, établirent dans les pays conquis la servitude et le despotisme; les Goths, conquérant l'empire romain, fonderent partout la monarchie et la liberté.

Je ne sais si le fameux Rudbeck, qui, dans son Atlantique, a tant loué la Scandinavie, a parlé de cette grande prérogative qui doit mettre les nations qui l'habitent au-dessus de tous les peuples du monde : c'est qu'elles ont été la source de la liberté de l'Europe, c'est-à-dire de presque toute celle qui est aujourd'hui parmi les hommes.

Le Goth Jornandès a appelé le nord de l'Europe la fabrique du genre humain 3 je l'appellerai plutôt la fabrique des instruments qui brisent les fers forgés au midi. C'est là que se forment ces nations vaillantes qui sortent de leur pays pour détruire les tyrans et les esclaves, et apprendre aux hommes que, la nature les ayant faits égaux, la raison n'a pu les rendre dépendants que pour leur bonheur.

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ries, les montagnes y sont moins couvertes de neiges, et les fleuves moins grossis y forment de moindres barrières.

La puissance doit donc être toujours despotique en Asie; car, si la servitude n'y était pas extrême, il se ferait d'abord un partage que la nature du pays ne peut pas souffrir.

En Europe, le partage naturel forme plusieurs États d'une étendue médiocre, dans lesquels le gouvernement des lois n'est pas incompatible avec le maintien de l'État : au contraire, il y est si favorable, que, sans elles, cet État tombe dans la décadence, et devient inférieur à tous les autres. C'est ce qui a formé un génie de liberté qui rend chaque partie très-difficile à être subjuguée et soumise à une force étrangère, autrement que par les lois et l'utilité de son commerce.

Au contraire, il règne en Asie un esprit de servitude qui ne l'a jamais quittée ; et, dans toutes les histoires de ce pays, il n'est pas possible de trouver un seul trait qui marque une âme libre: on n'y verra jamais que l'héroïsme de la servitude.

CHAPITRE VII.

De l'Afrique et de l'Amérique.

Voilà ce que je puis dire sur l'Asie et sur l'Europe. L'Afrique est dans un climat pareil à celui du midi de l'Asie, et elle est dans une même servitude. L'Amérique, détruite et nouvellement repeuplée par les nations de l'Europe et de l'Afrique, ne peut guère aujourd'hui montrer son propre génie; mais ce que nous savons de son ancienne histoire est très-conforme à nos principes.

CHAPITRE VIII.

De la capitale de l'empire.

Une des conséquences de ce que nous venons de dire, c'est qu'il est important à un très-grand prince de bien choisir le siége de son empire. Celui qui le placera au midi courra risque de perdre le nord; et celui qui le placera au nord conservera aisément le midi. Je ne parle pas des cas particuliers; la mécanique a bien ses frottements, qui souvent changent ou arrêtent les effets de la théorie : la politique a aussi les siens.

1 Les eaux se perdent ou s'évaporent avant de se ramasser, ou après s'être ramassées.

2 Les petits peuples barbares de l'Amérique sont appelés Indios bravos par les Espagnols: bien plus difficiles à sou mettre que les grands empires du Mexique et du Pérou,

LIVRE DIX-HUITIÈME.

DES LOIS

DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC LA NATURE

DU TERRAIN.

CHAPITRE I.

Comment la nature du terrain influe sur les lois.

La bonté des terres d'un pays y établit naturellement la dépendance. Les gens de la campagne, qui y font la principale partie du peuple, ne sont pas si jaloux de leur liberté : ils sont trop occupés, et trop pleins de leurs affaires particulières. Une campagne qui regorge de biens craint le pillage, elle craint une armée. « Qui est-ce qui forme « le bon parti? disait Cicéron à Atticus 2. Seront«ce les gens de commerce et de la campagne? à « moins que nous n'imaginions qu'ils sont opposés « à la monarchie, eux à qui tous les gouverne<<ments sont égaux, dès lors qu'ils sont tran« quilles.

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Ainsi le gouvernement d'un seul se trouve plus souvent dans les pays fertiles, et le gouvernement de plusieurs dans les pays qui ne le sont pas ce qui est quelquefois un dédommagement.

La stérilité du terrain de l'Attique 3 y établit le gouvernement populaire, et la fertilité de celui de Lacédémone, le gouvernement aristocratique. Car, dans ces temps-là, on ne voulait point dans la Grèce du gouvernement d'un seul : or, le gouvernement aristocratique a plus de rapport avec le gouvernement d'un seul.

Plutarque 4 nous dit « que la sédition Cilonienne

I « L'humble fortunede l'homme des champs ne lui permet pas de rester oisif, et ne lui laisse guère le temps d'assister fréquemment à des assemblées. Forcé de se procurer le nécessaire, il est tout à sa chose, et ne veut point de distractions étrangères. Il préfère ses travaux champêtres au plaisir de commander et de gouverner; et si les emplois ne sont pas trèslucratifs, il aime mieux le profit que l'honneur. » (ARISTOTE, Politiq. liv. VI, chap. IV.)

a Liv. VII.

3 Nous tirons encore aujourd'hui d'Athènes esclave du coton, de la soie, du riz, du blé, de l'huile, des cuirs; et du pays de Lacédémone, rien. Athènes était vingt fois plus riche que Lacédémone. A l'égard de la bonté du sol, il faut y avoir été pour l'apprécier. Mais jamais on n'attribua la forme d'un gouvernement au plus ou moins de fertilité d'un terrain. Venise avait très-peu de blé quand les nobles gouvernèrent. Gênes n'a pas assurément un sol fertile, et c'est une aristocratie. Genève tient plus de l'état populaire, et n'a pas de son crù de quoi se nourrir quinze jours. La Suède pauvre a été longtemps sous le joug de la monarchie, tandis que la Pologne fertile fut une aristocratie. Je ne conçois pas comment on peut ainsi établir de prétendues règles continuellement démenties par l'expérience. (VOLT.)

4 Vie de Solon.

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Ces pays fertiles sont des plaines où l'on ne peut rien disputer au plus fort on se soumet donc à lui; et, quand on lui est soumis, l'esprit de liberté n'y saurait revenir; les biens de la campagne sont un gage de la fidélité. Mais, dans les pays de montagnes, on peut conserver ce que l'on a, et l'on a peu à conserver. La liberté, c'està-dire le gouvernement dont on jouit, est le seul bien qui mérite qu'on le défende. Elle règne donc plus dans les pays montagneux et difficiles que dans ceux que la nature semblait avoir plus favorisés.

Les montagnards conservent un gouvernement plus modéré, parce qu'ils ne sont pas si fort exposés à la conquête. Ils se défendent aisément, ils sont attaqués difficilement; les munitions de guerre et de bouche sont assemblées et portées contre eux avec beaucoup de dépense; le pays n'en fournit point. Il est donc plus difficile de leur faire la guerre, plus dangereux de l'entreprendre; et toutes les lois que l'on fait pour la sûreté du peuple y ont moins de lieu '.

CHAPITRE III.

Quels sont les pays les plus cultivés.

Les pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté; et, si l'on divise la terre par la pensée, on sera étonné de voir la plupart du temps des déserts dans ses par

1 On pourrait alléguer une autre raison de ce que les gouvernements modérés paraissent plus affectés aux pays stériles, et les despotiques aux pays fertiles. Lorsque le terroir fournit une subsistance aisée, on peut en quelque sorte sévir impunément contre les habitants, parce qu'il n'y a pas lieu de craindre qu'ils déserteront le pays pour aller dans un autre: la bonté du terroir balance, en ce cas, la dureté du gouvernement; et c'est avec raison que Montesquieu a dit, au chap. VI: « Les pays que l'industrie des hommes a rendus habitables, et qui ont besoin pour exister de la même industrie, appellent à eux le gouvernement modéré. » (Edit. anon, de 1764.)

ties les plus fertiles, et de grands peuples dans celles où le terrain semble refuser tout.

Il est naturel qu'un peuple quitte un mauvais pays pour en chercher un meilleur, et non pas qu'il quitte un bon pays pour en chercher un pire. La plupart des invasions se font donc dans les pays que la nature avait faits pour être heureux; et, comme rien n'est plus près de la dévastation que l'invasion, les meilleurs pays sont le plus souvent dépeuplés, tandis que l'affreux pays du nord reste toujours habité, par la raison qu'il est presque inhabitable.

On voit, par ce que les historiens nous disent du passage des peuples de la Scandinavie sur les bords du Danube, que ce n'était point une conquête, mais seulement une transmigration dans des terres désertes.

Ces climats heureux avaient donc été dépeuplés par d'autres transmigrations, et nous ne savons pas les choses tragiques qui s'y sont passées.

« Il paraît par plusieurs monuments, dit Aris« tote ', que la Sardaigne est une colonie grecque. « Elle était autrefois très-riche; et Aristée, dont

« on a tant vanté l'amour pour l'agriculture, lui « donna des lois. Mais elle a bien déchu depuis, car les Carthaginois s'en étant rendus les maî« tres, ils y détruisirent tout ce qui pouvait la « rendre propre à la nourriture des hommes, et « défendirent sous peine de la vie, d'y cultiver la « terre. » La Sardaigne n'était point rétablie du temps d'Aristote; elle ne l'est point encore aujour

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Nouveaux effets de la fertilité et de la stérilité du pays. La stérilité des terres rend les hommes industrieux, sobres, endurcis au travail, courageux, propres à la guerre; il faut bien qu'ils se procurent ce que le terrain leur refuse. La fertilité d'un pays donne, avec l'aisance, la mollesse, et un certain amour pour la conservation de la vie.

On a remarqué que les troupes d'Allemagne, levées dans des lieux où les paysans sont riches, comme en Saxe, ne sont pas si bonnes que les autres. Les lois militaires pourront pourvoir à cet inconvénient par une plus sévère discipline.

'Ou celui qui a écrit le livre de Mirabilibus.

CHAPITRE V.

Des peuples des îles.

Les peuples des îles sont plus portés à la liberté

que les peuples du continent. Les îles sont ordinai

rement d'une petite étendue ; une partie du peuple ne peut pas être si bien employée à opprimer l'autre ; la mer les sépare des grands empires, et la tyrannie ne peut pas s'y prêter la main; les conquérants sont arrêtés par la mer; les insulaires ne sont pas enveloppés dans la conquête, et ils conservent plus

aisément leurs lois.

CHAPITRE VI.

Des pays formés par l'industrie des hommes.

Les pays que l'industrie des hommes a rendus habitables, et qui ont besoin, pour exister, de la même industrie, appellent à eux le gouvernement modéré. Il y en a principalement trois de cette espèce : les deux belles provinces de Kiang-nan et Tche-kiang à la Chine, l'Égypte et la Hollande.

Les anciens empereurs de la Chine n'étaient point conquérants. La première chose qu'ils firent pour s'agrandir fut celle qui prouva le plus leur sagesse. On vit sortir de dessous les eaux les deux plus belles provinces de l'empire; elles furent faites par les hommes. C'est la fertilité inexprimable de ces deux provinces qui a donné à l'Europe les idées de la félicité de cette vaste contrée. Mais un soin continuel et nécessaire pour garantir de la destruction une partie si considérable de l'empire demandait plutôt les mœurs d'un peuple sage que celles d'un peuple voluptueux, plutôt le pouvoir légitime d'un monarque que la puissance tyrannique d'un despote. Il fallait que le pouvoir y fût modéré, comme il l'était autrefois en Égypte. Il fallait que le pouvoir

y fût modéré, comme il l'est en Hollande, que la nature a faite pour avoir attention sur elle-même, et non pas pour être abandonnée à la nonchalance ou au caprice.

Ainsi, malgré le climat de la Chine, où l'on est naturellement porté à l'obéissance servile, malgré les horreurs qui suivent la trop grande étendue d'un empire, les premiers législateurs de la Chine furent obligés de faire de très-bonnes lois; et le gouvernement fut souvent obligé de les suivre.

1 Le Japon déroge à ceci par sa grandeur et par sa servitude.

CHAPITRE VII.

Des ouvrages des hommes.

Les hommes, par leurs soins et par de bonnes lois, ont rendu la terre plus propre à être leur demeure. Nous voyons couler les rivières là où étaient des lacs et des marais : c'est un bien que la nature n'a point fait, mais qui est entretenu par la nature. Lorsque les Perses étaient les maîtres de l'Asie, ils permettaient à ceux qui amèneraient de l'eau de fontaine en quelque lieu qui n'aurait point été encore arrosé, d'en jouir pendant cinq générations; et, comme il sort quantité de ruisseaux du mont Taurus, ils n'épargnèrent aucune dépense pour en faire venir de l'eau. Aujourd'hui, sans savoir d'où elle peut venir, on la trouve dans ses champs et dans ses jardins.

Ainsi, comme les nations destructrices font des maux qui durent plus qu'elles, il y a des nations industrieuses qui font des biens qui ne finissent pas même avec elles.

CHAPITRE VIII.

Rapport général des lois.

Les lois ont un très-grand rapport avec la façon dont les divers peuples se procurent la subsistance. Il faut un code de lois plus étendu pour un peuple qui s'attache au commerce et à la mer, que pour peuple qui se contente de cultiver ses terres. Il en faut un plus grand pour celui-ci que pour un peuple qui vit de ses troupeaux. Il en faut un plus grand pour ce dernier, que pour un peuple qui vit de sa chasse.

CHAPITRE IX.

Du terrain de l'Amérique.

Ce qui fait qu'il y a tant de nations sauvages en Amérique, c'est que la terre y produit d'elle-même beaucoup de fruits dont on peut se nourrir. Si les femmes y cultivent autour de la cabane un morceau de terre, le maïs y vient d'abord. La chasse et la pêche achèvent de mettre les hommes dans l'abondance. De plus, les animaux qui paissent, comme les bœufs, les buffles, etc. y réussissent mieux que les bêtes carnassières. Celles-ci ont eu de tout temps l'empire de l'Afrique. Je crois qu'on n'aurait point tous ces avantages

POLYDE, liv. X.

en Europe, si l'on y laissait la terre inculte; il n'y viendrait guère que des forêts, des chênes, et autres arbres stériles.

CHAPITRE X.

Du nombre des hommes, dans le rapport avec la manière dont ils se procurent la subsistance.

Quand les nations ne cultivent pas les terres, voici dans quelle proportion le nombre des hommes s'y trouve. Comme le produit d'un terrain inculte est au produit d'un terrain cultivé, de même le nombre des sauvages, dans un pays, est au nombre des laboureurs dans un autre; et, quand le peuple qui cultive les terres cultive aussi les arts, cela suit des proportions qui demanderaient bien des détails.

Ils ne peuvent guère former une grande nation. S'ils sont pasteurs, ils ont besoin d'un grand pays pour qu'ils puissent subsister en certain nombre; s'ils sont chasseurs, ils sont encore en plus petit nombre, et forment pour vivre une plus petite nation.

Leur pays est ordinairement plein de forêts; et comme les hommes n'y ont point donné de cours aux eaux, il est rempli de marécages, où chaque troupe se cantonne et forme une petite nation.

CHAPITRE XI.

Des peuples sauvages et des peuples barbares.

Il y a cette différence, entre les peuples sauvages et les peuples barbares, que les premiers sont de petites nations dispersées qui, par quelques raisons particulières, ne peuvent pas se réunir; au lieu que les barbares sont ordinairement de petites nations qui peuvent se réunir. Les premiers sont ordinairement des peuples chasseurs; les seconds, des peuples pasteurs. Cela se voit bien dans le nord de l'Asie. Les peuples de la Sibérie ne sauraient vivre en corps, parce qu'ils ne pourraient se nourrir; les Tartares peuvent vivre en corps pendant quelque temps, parce que leurs troupeaux peuvent être rassemblés pendant quelque temps. Toutes les hordes peuvent donc se réunir; et cela se fait lorsqu'un chef en a soumis beaucoup d'autres: après quoi il faut qu'elles fassent de deux choses l'une, qu'elles se séparent, ou qu'elles aillent faire quelque grande conquête dans quelque empire du

midi.

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