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tiplie les probabilités; parce qu'une infinité de conjectures sont mises en principe, et qu'on en tire comme conséquences d'autres conjectures. Le lecteur oublie qu'il a douté, pour commencer à croire. Et, comme une érudition sans fin est placée, non pas dans le système, mais à côté du système, l'esprit est distrait par des accessoires, et ne s'occupe plus du principal. D'ailleurs, tant de recherches ne permettent pas d'imaginer qu'on n'ait rien trouvé : la longueur du voyage fait croire qu'on est enfin arrivé.

Mais, quand on examine bien, on trouve un colosse immense qui a des pieds d'argile; et c'est parce que les pieds sont d'argile que le colosse est immense. Si le système de M. l'abbé Dubos avait eu de bons fondements, il n'aurait pas été obligé de faire trois mortels volumes pour le prouver : il aurait tout trouvé dans son sujet; et, sans aller chercher de toutes parts ce qui en était très-loin, la raison elle-même se serait chargée de placer cette vérité dans la chaîne des autres vérités. L'histoire et nos lois lui auraient dit. « Ne prenez point tant de peine nous rendrons témoignage de

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M. l'abbé Dubos veut ôter toute espèce d'idée que les Francs soient entrés dans les Gaules en conquérants selon lui, nos rois, appelés par les peuples, n'ont fait que se mettre à la place et succéder aux droits des empereurs romains.

Cette prétention ne peut pas s'appliquer au temps où Clovis, entrant dans les Gaules, saccagea et prit les villes; elle ne peut pas s'appliquer non plus au temps où il défit Syagrius, officier romain, et conquit le pays qu'il tenait : elle ne peut donc se rapporter qu'à celui où Clovis, devenu maître d'une grande partie des Gaules par la violence, aurait été appelé par le choix et l'amour des peuples à la domination du reste du pays. Et il ne suffit pas que Clovis ait été reçu, il faut qu'il ait été appelé; il faut que M. l'abbé Dubos prouve que les peuples ont mieux aimé vivre sous la do⚫mination de Clovis que de vivre sous la domination des Romains, ou sous leurs propres lois. Or, les Romains de cette partie des Gaules qui n'avait point encore été envahie par les barbares étaient, selon M. l'abbé Dubos de deux sortes les uns

étaient de la confédération armorique, et avaient chassé les officiers de l'empereur pour se défendre eux-mêmes contre les barbares, et se gouverner par leurs propres lois; les autres obéissaient aux officiers romains. Or, M. l'abbé Dubos prouve-t-il que les Romains, qui étaient encore soumis à l'empire, aient appelé Clovis? point du tout. Prouvet-il que la république des Armoriques ait appelé Clovis, et fait même quelque traité avec lui? point du tout encore. Bien loin qu'il puisse nous dire quelle fut la destinée de cette république, il n'en saurait pas même montrer l'existence; et, quoiqu'il la suive depuis le temps d'Honorius jusqu'à la conquête de Clovis, quoiqu'il y rapporte avec un art admirable tous les événements de ces tempslà, elle est restée invisible dans les auteurs. Car il y a bien de la différence entre prouver par un passage de Zosime 1 que, sous l'empire d'Honorius, la contrée armorique et les autres provinces des Gaules se révoltèrent, et formèrent une espèce de république, et faire voir que, malgré les diverses pacifications des Gaules, les Armoriques formèrent toujours une république particulière qui subsista jusqu'à la conquête de Clovis. Cependant il aurait besoin, pour établir son système, de preuves bien fortes et bien précises: car quand on voit un conquérant entrer dans un État et en soumettre une grande partie par la force et par la violence, et qu'on voit quelque temps après l'État entier soumis sans que l'histoire dise comment il l'a été, on a un très-juste sujet de croire que l'affaire a fini comme elle a commencé.

Ce point une fois manqué, il est aisé de voir que tout le système de M. l'abbé Dubos croule de fond en comble; et toutes les fois qu'il tirera quelque conséquence de ce principe, que les Gaules n'ont pas été conquises par les Francs, mais que les Francs ont été appelés par les Romains, on pourra toujours la lui nier.

M. l'abbé Dubos prouve son principe par les dignités romaines dont Clovis fut revêtu : il veut que Clovis ait succédé à Childéric son père dans l'emploi de maître de la milice. Mais ces deux charges sont purement de sa création. La lettre de saint Remi à Clovis, sur laquelle il se fonde3, n'est qu'une félicitation sur son avénement à la couronne. Quand l'objet d'un écrit est connu, pourquoi lui en donner un qui ne l'est pas?

Clovis, sur la fin de son règne, fut fait consul,

1 Histoire, liv. VI.

Totusque tractus armoricus, aliæque Galliarum provinciæ. Zosime, Hist. liv. VI.

3 Tome II, liv. III. chap. XVIII, page 270.

par l'empereur Anastase1; mais quel droit pou- | vait lui donner une autorité simplement annale? Il y apparence, dit M. l'abbé Dubos, que, dans le même diplôme, l'empereur Anastase fit Clovis proconsul. Et moi, je dirai qu'il y a apparence qu'il ne le fit pas. Sur un fait qui n'est fondé.sur rien, l'autorité de celui qui le nie est égale à l'autorité de celui qui l'allègue. J'ai même une raison pour cela. Grégoire de Tours, qui parle du consulat, ne dit rien du proconsulat. Ce proconsulat n'aurait été même que d'environ six mois. Clovis mourut un an et demi après avoir été fait consul; il n'est pas possible de faire du proconsulat une charge héréditaire. Enfin, quand le consulat, et, si l'on veut, le proconsulat, lui furent donnés, il était déjà le maître de la monarchie, et tous ses droits étaient établis.

La seconde preuve que M. l'abbé Dubos allègue, c'est la cession faite par l'empereur Justinien, aux enfants et aux petits-enfants de Clovis, de tous les droits de l'empire sur les Gaules. J'aurais bien des choses à dire sur cette cession. On peut juger de l'importance que les rois des Francs y mirent, par la manière dont ils en exécutèrent les conditions. D'ailleurs, les rois des Francs étaient maîtres des Gaules; ils étaient souverains paisibles; Justinien n'y possédait pas un pouce de terre; l'empire d'Occident était détruit depuis longtemps, et l'empereur d'Orient n'avait de droit sur les Gaules que comme représentant l'empereur d'Occident: c'étaient des droits sur des droits. La monarchie des Francs était déjà fondée; le règlement de leur établissement était fait : les droits réciproques des personnes, et des diverses nations qui vivaient dans la monarchie, étaient convenus; les lois de chaque nation étaient données, et même rédigées par écrit. Que faisait cette cession étrangère à un établissement déjà formé?

Que veut dire M. l'abbé Dubos avec les déclamations de tous ces évêques qui, dans le désordre, la confusion, la chute totale de l'État, les ravages de la conquête, cherchent à flatter le vainqueur? Que suppose la flatterie, que la faiblesse de celui qui est obligé de flatter? Que prouvent

La saine politique exige qu'un vainqueur s'efforce de légitimer ses conquêtes par des traités et par des conventions. Ce fut par cette raison que Clovis dut rechercher et accepter les ornements et la dignité consulaire qui lui furent envoyés par Anastase, empereur d'Orient. Il suivait l'exemple et la politique des rois barbares établis dans les Gaules, qui avaient sollicité et obtenu des dignités romaines pour se rendre plus respectables à leurs nouveaux sujets : c'est par cette raison que les enfants de Clovis regardèrent comme un des événements les plus capables d'affermir l'empire français, la cession qui leur fut faite par Justinien des droits de l'empire romain sur les Gaules (D.)

la rhétorique et la poésie, que l'emploi même de ces arts? Qui ne serait étonné de voir Grégoire de Tours, qui, après avoir parlé des assassinats de Clovis, dit que cependant Dieu prosternait tous les jours ses ennemis, parce qu'il marchait dans ses voies? Qui peut douter que le clergé n'ait été bien aise de la conversion de Clovis, et qu'il n'en ait même tiré de grands avantages? Mais qui peut douter en même temps que les peuples n'aient essuyé tous les malheurs de la conquête, et que le gouvernement romain n'ait cédé au gouvernement germanique? Les Francs n'ont point voulu, et n'ont pas même pu tout changer; et même peu de vainqueurs ont eu cette manie. Mais, pour que toutes les conséquences de M. Dubos fussent vraies, il aurait fallu que, non-seulement ils n'eussent rien changé chez les Romains, mais encore qu'ils se fussent changés eux-mêmes.

Je m'engagerais bien, en suivant la méthode de M. l'abbé Dubos, à prouver de même que les Grecs ne conquirent pas la Perse: d'abord je parlerais des traités que quelques-unes de leurs villes firent avec les Perses; je parlerais des Grecs qui furent à la solde des Perses comme les Francs furent à la solde des Romains. Que si Alexandre entra dans le pays des Perses, assiégea, prit et détruisit la ville de Tyr, c'était une affaire particulière, comme celle de Syagrius. Mais voyez comment le pontife des Juifs vient au-devant de lui; écoutez l'oracle de Jupiter Ammon; ressouvenez-vous comment il avait été prédit à Gordium; voyez comment toutes les villes courent, pour ainsi dire, au-devant de iui; comment les satrapes et les grands arrivent en foule. Il s'habille à la manière des Perses; c'est la robe consulaire de Clovis. Darius ne lui offrit-il pas la moitié de son royaume ? Darius n'est-il pas assassiné comme un tyran? La mère et la femme de Darius ne pleurent-elles pas la mort d'Alexandre? Quinte-Curce, Arrien, Plutarque, étaient-ils contemporains d'Alexandre? L'imprimerie ne nous a-t-elle pas donné des lumières qui manquaient à ces auteurs? Voilà l'histoire de l'Établissement de la monarchie française dans les Gaules.

CHAPITRE XXV.

De la noblesse française.

M. l'abbé Dubos soutient que, dans les premiers temps de notre monarchie, il n'y avait qu'un seul

I Voyez le discours préliminaire de M. l'abbé Dubos.

ordre de citoyens parmi les Francs. Cette prétention | roi, n'était que de trois cents. On y trouve que injurieuse au sang de nos premières familles, ne la composition pour la mort d'un simple Franc était le serait pas moins aux trois grandes maisons qui de deux cents sous 3, et que celle pour la mort d'un ont successivement régné sur nous. L'origine de Romain d'une condition ordinaire n'était que de leur grandeur n'irait donc point se perdre dans cent 4. On payait encore pour la mort d'un Romain l'oubli, la nuit et le temps: l'histoire éclairerait tributaire, espèce de serf ou d'affranchi, une comdes siècles où elles auraient été des familles com- position de quarante-cinq sous 5; mais je n'en parmunes; et, pour que Childéric, Pepin et Hugues- lerai point, non plus que de celle pour la mort du Capet fussent gentilshommes, il faudrait aller cher- serf franc, ou de l'affranchi franc il n'est point cher leur origine parmi les Romains ou les Saxons, ici question de ce troisième ordre de personnes. c'est-à-dire parmi les nations subjuguées.

M. l'abbé Dubos fonde son opinion sur la loi salique 1. Il est clair, dit-il, par cette loi, qu'il n'y avait point deux ordres de citoyens chez les Francs. Elle donnait deux cents sous de composition pour la mort de quelque Franc que ce fût ; mais elle distinguait, chez les Romains, le convive du roi, pour la mort duquel elle donnait trois cents sous de composition, du Romain possesseur, à qui elle en donnait cent, et du Romain tributaire, à qui elle n'en donnait que quarante-cinq. Et, comme la différence des compositions faisait la distinction principale, il conclut que, chez les Francs, il n'y avait qu'un ordre de citoyens, et qu'il y en avait trois chez les Romains.

Il est surprenant que son erreur même ne lui ait pas fait découvrir son erreur. En effet, il eût été bien extraordinaire que les nobles romains qui vivaient sous la domination des Francs y eussent eu une composition plus grande, et y eussent été des personnages plus importants que les plus illustres des Francs, et leurs plus grands capitaines. Quelle apparence que le peuple vainqueur eût eu si peu de respect pour lui-même, et qu'il en eût eu tant pour le peuple vaincu? De plus, M. l'abbé Dubos cite les lois des autres nations barbares, qui prouvent qu'il y avait parmi eux divers ordres de citoyens. Il serait bien extraordinaire que cette règle générale eût précisément manqué chez les Francs. Cela aurait dû lui faire penser qu'il entendait mal, ou qu'il appliquait mal les textes de la loi salique : ce qui lui est effectivement arrivé.

On trouve, en ouvrant cette loi, que la composition pour la mort d'un antrustion, c'est-à-dire d'un fidèle ou vassal du roi, était de six cents sous 3; et que celle pour la mort d'un Romain, convive du

Voyez l'Établissement de la monarchie française, tom. III, liv. VI, chap. IV, pag. 304.

Il cite le titre XLIV de cette loi, et la loi des Ripuaires, titres vi et XXXVI.

3 Qui in truste dominica est, tit. XLIV, § 4; et cela se rapporte à la formule xii de Marculfe, de regis antrustione

Que fait M. l'abbé Dubos? Il passe sous silence le premier ordre de personnes chez les Francs, c'est-à-dire l'article qui concerne les antrustions; et ensuite, comparant le Franc ordinaire, pour la mort duquel on payait deux cents sous de composition, avec ceux qu'il appelle des trois ordres chez les Romains, et pour la mort desquels on payait des compositions différentes, il trouve qu'il n'y avait qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs, et qu'il y en avait trois chez les Romains.

Comme, selon lui, il n'y avait qu'un seul ordre de personnes chez les Francs, il eût été bon qu'il n'y en eût eu qu'un aussi chez les Bourguignons, parce que leur royaume forma une des principales pièces de notre monarchie. Mais il y a dans leurs codes trois sortes de compositions; l'une pour le noble bourguignon ou romain, l'autre pour le Bourguignon ou Romain d'une condition médiocre, la troisième pour ceux qui étaient d'une condition inférieure dans les deux nations 6. M. l'abbé Dubos n'a point cité cette loi.

Il est singulier de voir comment il échappe aux passages qui le pressent de toutes parts. Lui parlet-on des grands, des seigneurs, des nobles : ce sont, dit-il, de simples distinctions, et non pas des distinctions d'ordre; ce sont des choses de courtoisie, et non pas des prérogatives de la loi. Ou bien, dit-il, les gens dont on parle étaient du conseil du roi ils pouvaient même être des Romains; mais il n'y avait toujours qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs. D'un autre côté, s'il est parlé de quelque Franc d'un rang inférieur,

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ce sont des serfs ; et c'est de cette manière qu'il interprète le décret de Childebert. Il est nécessaire que je m'arrête sur ce décret. M. l'abbé Dubos l'a rendu fameux, parce qu'il s'en est servi pour prouver deux choses: l'une, que toutes les compositions que l'on trouve dans les lois des barbares n'étaient que des intérêts civils ajoutés aux peines corporelles, ce qui renverse de fond en comble tous les anciens monuments; l'autre, que tous les hommes libres étaient jugés directement et immédiatement par le roi 3, ce qui est contredit par une infinité de passages et d'autorités qui nous font connaître l'ordre judiciaire de ces tempslà 4.

Il est dit dans ce décret, fait dans une assemblée de la nation, que si le juge trouve un voleur fameux, il le fera lier pour être envoyé devant le roi, si c'est un Franc ( Francus); mais si c'est une personne plus faible (debilior persona), il sera pendu sur le lieu 5. Selon M. l'abbé Dubos, Francus est un homme libre, debilior persona est un serf. J'ignorerai, pour un moment, ce que peut signifier ici le mot Francus; et je commencerai par examiner ce qu'on peut entendre par ces mots, une personne plus faible. Je dis que, dans quelque langue que ce soit, tout comparatif suppose nécessairement trois termes : le plus grand, le moindre, et le plus petit. S'il n'était ici question que des hommes libres et des serfs, on aurait dit un serf, et non pas un homme d'une moindre puissance. Ainsi, debilior persona ne signifie point là un serf, mais une personne au-dessous de laquelle doit être le serf. Cela supposé, Francus ne signifiera pas un homme libre, mais un homme puissant; et Francus est pris ici dans cette acception, parce que parmi les Francs étaient toujours ceux qui avaient dans l'État une plus grande puissance, et qu'il était plus difficile au juge ou au comte de corriger. Cette explication s'accorde avec un grand nombre de capitulaires qui donnent les cas dans lesquels les criminels pou

solidis componatur; de inferioribus personis, quinque solidis. Art. 1, 2 et 3 du tit. xxvi de la loi des Bourguignons.

1 Établissement de la monarchie française, chap. V, pages 319 et 320.

2 Ibid. liv. VI, chap. IV, pages 307 et 308.

3 Ibid. tome III, liv. VI, chap. IV, pag. 309; et au chapitre suivant, pages 319 et 320.

4 Voyez le livre XXVIII de cet ouvrage, chap. xxvIII; et livre XXXI, chap. VIII.

5 Itaque colonia convenit et ita bannivimus, ut unusquisque judex criminosum latronem ut audierit, ad casam suam ambulet, et ipsum ligare faciat: ita ut, si Francus fuerit, ad nostram præsentiam dirigatur; et, si debilior persona fuerit, in loco pendatur. (Capitulaire de l'édition de Baluze, tome I, pag 19.)

| vaient être renvoyés devant le roi, et ceux où ils ne le pouvaient pas.

On trouve dans la vie de Louis le Débonnaire, écrite par Tégan2, que les évêques furent les principaux auteurs de l'humiliation de cet empereur, surtout ceux qui avaient été serfs, et ceux qui étaient nés parmi les barbares. Tégan apostrophe ainsi Hébon, que ce prince avait tiré de la servitude, et avait fait archevêque de Reims : « Quelle « récompense l'empereur a-t-il reçue de tant de «< bienfaits 3? 11 t'a fait libre, et non pas noble; << il ne pouvait pas te faire noble, après t'avoir « donné la liberté. »

«

:

Ce discours, qui prouve si formellement deux ordres de citoyens, n'embarrasse point M. l'abbé Dubos. Il répond ainsi 4 : « Ce passage ne veut point dire que Louis le Débonnaire n'eût pas pu « faire entrer Hébon dans l'ordre des nobles. Hé<< bon, comme archevêque de Reims, eût été du << premier ordre, supérieur à celui de la noblesse.» Je laisse au lecteur à décider si ce passage ne le veut point dire; je lui laisse à juger s'il est ici question d'une préséance du clergé sur la noblesse. « Ce passage prouve seulement, continue « M. l'abbé Dubos 5, que les citoyens nés libres << étaient qualifiés de nobles-hommes dans l'usage << du monde, noble-homme, et homme né libre, « ont signifié longtemps la même chose. » Quoi! sur ce que, dans nos temps modernes, quelques bourgeois ont pris la qualité de nobles-hommes, un passage de la vie de Louis le Débonnaire s'appliquera à ces sortes de gens! « Peut-être aussi, « ajoute-t-il encore 6, qu'Hébon n'avait point été « esclave dans la nation des Francs, mais dans la << nation saxonne, ou dans une autre nation ger« manique, où les citoyens étaient divisés en plu<< sieurs ordres. » Donc, à cause du peut-être de M. l'abbé Dubos, il n'y aura point eu de noblesse dans la nation des Francs. Mais il n'a jamais plus mal appliqué de peut-être. On vient de voir que Tégan 7 distingue les évêques qui avaient été oppo

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sés à Louis le Débonnaire, dont les uns avaient été serfs, et les autres étaient d'une nation barbare. Hébon était des premiers, et non pas des seconds. D'ailleurs je ne sais comment on peut dire qu'un serf tel qu'Hébon aurait été Saxon ou Germain : un serf n'a point de famille, ni par conséquent de nation. Louis le Débonnaire affranchit Hébon; et, comme les serfs affranchis prenaient la loi de leur maître, Hébon devint Franc, et non pas Saxon ou Germain.

Je viens d'attaquer; il faut que je me défende. On me dira que le corps des antrustions formait bien dans l'État un ordre distingué de celui des hommes libres; mais que, comme les fiefs furent d'abord amovibles, et ensuite à vie, cela ne pouvait pas former une noblesse d'origine, puisque les prérogatives n'étaient point attachées à un fief héréditaire. C'est cette objection qui a sans doute fait penser à M. de Valois qu'il n'y avait qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs sentiment que M. l'abbé Dubos a pris de lui, et qu'il a absolument gâté à force de mauvaises preuves. Quoi qu'il en soit, ce n'est point M. l'abbé Dubos qui aurait pu faire cette objection: car, ayant donné trois ordres de noblesse romaine, et la qualité de convive du roi pour le premier, il n'aurait pas pu dire que ce titre marquât plus une noblesse d'origine que celui d'antrustion. Mais il faut une réponse directe. Les antrustions ou fidèles n'étaient pas tels, parce qu'ils avaient un fief; mais on leur donnais un fief, parce qu'ils étaient antrustions ou fidèles. On se ressouvient de ce que j'ai dit dans les premiers chapitres de ce livre ils n'avaient pas pour lors, comme ils eurent dans la suite, le même fief; mais s'ils n'avaient pas celui-là, ils en avaient un autre, et parce que les fiefs se donnaient à la naissance, et parce qu'ils se donnaient souvent dans les assemblées de la nation, et enfin parce que, comme il était de l'intérêt des nobles d'en avoir, il était aussi de l'intérêt du roi de leur en donner. Ces familles étaient

pas incapables de posséder des fiefs, il paraît par le passage de Tégan rapporté ci-dessus, que les serfs affranchis en étaient absolument exclus. M. l'abbé Dubos', qui va en Turquie pour nous donner une idée de ce qu'était l'ancienne noblesse française, nous dira-t-il qu'on se soit jamais plaint en Turquie de ce qu'on y élevait aux honneurs et aux dignités des gens de basse naissance, comme on s'en plaignait sous les règnes de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve? On ne s'en plaignait pas du temps de Charlemagne, parce que ce prince distingua toujours les anciennes familles d'avec les nouvelles : ce que Louis le Débonnaire et Charles le Chauve ne firent pas.

Le public ne doit pas oublier qu'il est redevable à M. l'abbé Dubos de plusieurs compositions excellentes. C'est sur ces beaux ouvrages qu'il doit le juger, et non pas sur celui-ci. M. l'abbé Dubos y est tombé dans de grandes fautes, parce qu'il a plus eu devant les yeux M. le comte de Boulainvilliers que son sujet. Je ne tirerai de toutes mes critiques que cette réflexion : Si ce grand homme a erré, que ne dois-je pas craindre!

LIVRE TRENTE-UNIÈME.

THÉORIE

DES LOIS FÉODALES CHEZ LES FRANCS,

DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC LES RÉVOLUTIONS DE LEUR MONARCHIE.

CHAPITRE I.

Changements dans les offices et les fiefs.

D'abord les comtes n'étaient envoyés dans leurs districts que pour un an; bientôt ils achetèrent la continuation de leurs offices. On en trouve un exem

distinguées par leur dignité de fidèles, et par la pré-ple dès le règne des petits-enfants de Clovis. Un

rogative de pouvoir se recommander pour un fief. Je ferai voir dans le livre suivant1 comment, par les circonstances des temps, il y eut des hommes libres qui furent admis à jouir de cette grande prérogative, et par conséquent à entrer dans l'ordre de la noblesse. Cela n'était point ainsi du temps de Gontran et de Childebert, son neveu; et cela était ainsi du temps de Charlemagne. Mais quoique, dès le temps de ce prince, les hommes libres ne fussent

* Chapitre XXIII.

certain Peonius était comte dans la ville d'Auxerre', il envoya son fils Mummolus porter de l'argent à Gontran, pour être continué dans son emploi : le fils donna de l'argent pour lui-même, et obtint la place du père. Les rois avaient déjà commencé à corrompre leurs propres grâces.

Quoique, par la loi du royaume, les fiefs fussent amovibles, ils ne se donnaient pourtant ni ne s'ô

Histoire de l'Établissement de la monarchie française, t. III, liv. VI, chap. IV, page 302.

2 Grégoire de Tours, liv. IV, chap. XLII.

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