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Voilà donc Voltaire qui paraît ne savoir où reposer sa tête : Ut eadem tellus, quæ modo victori defuerat, deesset ad sepulturam. Le bon esprit vaut mieux que le bel esprit.

dans la négociation pour votre chapitre. Il est heu- | Rome; nous parlerions de la belle Italie et de la reux de vous avoir, et fait bien de vous députer à forte Allemagne. la cour pour ses affaires, plutôt que de vous retenir pour chanter et pour boire; car je suis sûr que vous négociez aussi bien que vous chantez mal et que vous buvez peu. Je suis fâché que l'affaire qui vous regardait personnellement ait manqué. Vous n'êtes pas le seul qui y perdiez; et il vous reste votre liberté, qui n'est pas une petite chose mais l'étiquette ne dédommagera pas de l'avantage dont on s'est privé; quoique je soupçonne qu'il pourrait bien y avoir d'autres raisons que l'étiquette, que l'exemple des autres cours aurait pu faire abandonner. Quand certaines gens ont pris racine, savent bien trouver des moyens pour écarter les hommes éclairés d'ailleurs, vous n'êtes point un bel-esprit du pays de Liége ou de Luxembourg. Je me réserve là-dessus mes pensées.

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Votre lettre m'a été rendue à la Brède, où je suis. Je me promène du matin au soir en véritable campagnard, et je fais ici de fort belles choses en dehors.

A l'égard de M. le duc de Nivernois, ayez la bonté de lui faire ma cour quand vous le verrez à Rome, et je ne crois pas que vous ayez besoin d'une lettre particulière pour lui. Vous êtes son confrère à l'académie, et il vous connaît; cependant, si vous croyez que cela soit nécessaire, man

dez-le-moi. Adieu.

75.

De la Brède, ce 28 septembre 1753.

AU CHEVALIER D'AYDIES.

Je bus hier, mon cher chevalier, trois verres de vin à la confusion du P. de Palène : c'est une santé anglaise. Le pauvre homme aurait bien mieux aimé que vous lui eussiez donné une douzaine de coups de bâton que de signer une transaction qui met le couvent si fort à l'étroit; mais vous n'avez pas suivi son goût. Le P. de Palène est le diable de l'abbé de Grécourt, à qui l'on donne une flaquée d'eau bénite. Mon cher chevalier, je vous aime, je vous honore et vous embrasse.

La Brède, ce 8 novembre 1753.

76. A D'ALEMBERT.

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Vous prenez le bon parti; en fait d'huître, on ne peut faire mieux. Dites, je vous prie, à madame du Deffand que si je continue à écrire sur la philosophie, elle sera ma marquise. Vous avez beau vous défendre de l'académie, nous avons des matérialistes aussi : témoin l'abbé d'Olivet, qui pèse au centre et à la circonférence; au lieu que vous, vous ne pesez point du tout. Vous m'avez donné de grands plaisirs. J'ai lu et relu votre discours préliminaire : c'est une chose forte, c'est une chose charmante, c'est une chose précise; plus de pensées que de mots, du sentiment comme des pensées, et je ne finirais point.

Vous voilà donc parti pour la belle Italie. Je suppose que la galerie de Florence vous arrêtera longtemps. Indépendamment de cela, de mon temps. cette ville était un séjour charmant; et ce qui fut pour moi un objet des plus agréables fut de voir le premier ministre du grand-duc sur une petite chaise de bois, en casaquin et chapeau de paille, devant sa porte. Heureux pays, m'écriai-je, où le premier ministre vit dans une si grande simplicité et dans un pareil désœuvrement ! Vous verrez madame la marquise Ferroni et l'abbé Niccolini : parlez-leur de moi. Embrassez bien de ma part monseigneur Cerati, à Pise; et pour Turin, vous connaissez mon cœur, notre grand prieur, MM. les marquis de Breil et de SaintGermain. Si l'occasion se présente, vous ferez ma cour à son altesse sérénissime. Si vous écrivez à M. le comte de Cobentzel, à Bruxelles, je vous prie de le remercier pour moi, et marquez-lui combien je me sens honoré par le jugement qu'il porte sur ce qui me regarde. Quand il y aura des ministres comme lui, on pourra espérer que le goût des lettres se ranimera dans les États autrichiens; et alors vous n'entendrez plus de ces propositions erronées et malsonnantes qui vous ont scandalisé. Je crois bien que je serai à Paris dans le temps que vous y viendrez. J'écrirai à madame la duchesse d'Aiguillon combien vous êtes sensible à son oubli; mais, mon cher abbé, les dames ne se souviennent pas de tous les chevaliers : il faut qu'ils soient paladins. Au reste, je voudrais bien vous tenir huit jours à la Brède, à votre retour de i aventure de Francfort.

Quant à mon introduction dans l'Encyclopédie, c'est un beau palais où je serais bien glorieux de mettre les pieds; mais pour les deux articles Démocratie et Despotisme, je ne voudrais pas prendre ceux-là; j'ai tiré, sur ces articles, de mon cerveau tout ce qui y était. L'esprit que j'ai est un moule, on n'en tire jamais que les mêmes portraits: ainsi je ne vous dirais que ce que j'ai dit, et peut-être 1 Ceci est relatif à son départ de Berlin, et à sa fácheuse

plus mal que je ne l'ai dit. Ainsi, si vous voulez de moi, laissez à mon esprit le choix de quelques articles; et si vous voulez ce choix, ce sera chez madame du Deffand avec du marasquin. Le P. Castel dit qu'il ne peut pas se corriger, parce qu'en corrigeant son ouvrage, il en fait un autre; et moi je ne puis pas me corriger, parce que je chante toujours la même chose. Il me vient dans l'esprit que je pourrais prendre peut-être l'article Goût, et je prouverai bien que difficile est proprie communia dicere.

Adieu. monsieur; agréez, je vous prie, les sentiments de la plus tendre amitié.

De Bordeaux, le 16 novembre 1753. 77. A MME LA DUCHESSE D'AIGUILLON.

J'ai, madame, reçu l'obligeante lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire dans le temps que je quittais la Brède pour partir pour Paris. Je resterai pourtant sept ou huit jours à Bordeaux pour mettre en ordre un vieux procès que j'ai. Je pars donc, et vous pouvez être sûre que ce n'est pas pour la Sorbonne que je pars, mais pour vous. Je quitte la Brède avec regret, d'autant mieux que tout le monde me mande que Paris est fort triste. Je reçus, il y a deux ou trois jours, une lettre assez originale : elle est d'un bourgeois de Paris qui me doit de l'argent, et qui me prie de l'attendre jusqu'au retour du parlement; et je lui mande qu'il ferait bien de prendre un terme un peu plus fixe. C'est un grand fléau que cette petite vérole: c'est une nouvelle mort à ajouter à celle à laquelle nous sommes tous destinés. Les peintures riantes qu'Homère fait de ceux qui meurent, de cette fleur qui tombe sous la faux du moissonneur, ne peuvent pas s'appliquer à cette mort-là.

Je

J'aurais eu l'honneur de vous envoyer les chapitres que vous voulez bien me demander, si vous ne m'aviez appris que vous n'étiez plus dans le lieu où vous voulez les faire voir. Mais je vous les apporterai; vous les corrigerez, et vous me direz n'aime pas cela. Et vous ajouterez Il fallait dire ainsi. Je vous prie, madame, d'avoir la bonté d'agréer les sentiments du monde les plus respecDe la Brède, le 3 décembre 1753.

tueux.

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écrire que de voir qui que ce soit. Je verrai Huart', et s'il n'a pas rempli vos ordres, je les lui ferai exé cuter vous avez pourtant plus de crédit que ma auprès de lui; je ne lui donne que des phrases, et vous lui donnez de l'argent.

Je suis bien glorieux de ce que M. l'auditeur Bertolini a trouvé mon livre assez bon pour le redre meilleur, et a goûté mes principes. Je vous prierai dans le temps de me procurer un exemplaire de l'ouvrage de M. Bertolini : j'ai trouvé sa préface extrêmement bien; tout ce qu'il dit est juste, ercepté les louanges. Mille choses bien tendres pour moi à M. l'abbé Niccolini. J'espère, mon cher abbé, que vous viendrez nous voir à Paris cet hiver, et que vous viendrez joindre les titres d'Allemagne et d'Italie à ceux de France. Si vous passez par Tr rin, vous savez les illustres amis que j'y ai. Je vous embrasse de tout mon cœur.

De Paris, le 25 décembre 1753.

79. AU CHEVALIER D'AYDIES. Mon cher chevalier, madame du Deffand m'a fait part d'une lettre de vous qui m'a comblé de beaucoup, et que vous m'estimez un peu. Or, joie, parce qu'elle me fait voir que vous m'aimez l'amitié et l'estime de mon cher chevalier, c'est mon trésor. Je voudrais bien que vous fussiez ici, et vous nous manquez tous les jours; à présent que je vieillis à vue d'œil, je me retire, pour ainsi dire, dans mes amis.

Bulkelay est au comble de ses vœux : son fils, pour lequel il est aussi sot que tous les pères, vient d'avoir le régiment; j'en suis en vérité bien Jaise : voilà sa fortune faite. M. Pelham, qui était à peu près le premier ministre d'Angleterre, est mort. C'est un ministre honnête homme, de l'aveu de tout le monde ; il était désintéressé et pacifique ; il voulait payer les dettes de la nation; mais il n'avait qu'une vie, et il en faut plusieurs pour ces entreprises-là.

Je suis allé voir hier une tragédie nouvelle, intitulée les Troyennes 3: la pièce est assez mal faite; le sujet en est beau, comme vous savez : c'est à peu près celui qu'avait traité Sénèque. Il y a d'excellents morceaux, un quatrième acte très-beau, et le commencement d'un cinquième aussi. Ulysse dit d'un ami de Priam, qui avait sauvé Astyanax :

Les rois seraient des dieux sur le trône affermis,
S'ils ne donnaient leurs cœurs qu'à de pareils amis 3.

1 Imprimeur de ses ouvrages à Paris.

2 L'Esprit des Lois.

3 Chateaubrun, qui en était l'auteur, l'avait gardée, dit-on, trente ans en portefeuille.

Acte IV, sc. x.

M. d'Argenson se porte mieux, mais on craint qu'il ne lui reste une plus grande faiblesse aux jambes. Je ne vous dirai point quand finira l'affaire du parlement, ou plutôt l'affaire des parlements; tout cela s'embrouille, et ne se dénoue pas. Mon cher chevalier, pourquoi n'êtes-vous point ici? pourquoi ne voulez-vous pas faire les délices de vos amis? pourquoi vous cachez-vous lorsque tout le monde vous demande? Revenez, nos mercredis languissent. Madame de Mirepoix, madame du Châtel, madame du Deffand.... Entendez-vous ces noms, et tant d'autres? J'arrive avec madame d'Aiguillon, de Pontchartrain, où j'ai passé huit jours très-agréables. Le maître de la maison a une gaieté, une fécondité qui n'a point de pareille. Il voit tout, il lit tout, il rit de tout, il est content de tout, il s'occupe de tout c'est l'homme du monde que j'envie davantage; c'est un caractère unique. Adieu, mon cher chevalier; je vous écrirai quelquefois, et je serai votre Julien, qui est plus en état de vous Benvoyer de bons almanachs que de bonnes nouvelles. Permettez-moi de vous embrasser mille fois.

80.

Le 12 mars 1754.

A L'ABBÉ DE GUASCO.

A Naples.

quoi vous avez très-mal fait de me dire de si belles choses. Je ne me souviens point d'avoir connu à Rome le P. Contucci 1. Le seul jésuite que je voyais était le P. Vitry, qui venait souvent dîner chez le cardinal de Polignac : c'était un homme fort important, qui faisait des médailles antiques et des articles de foi.

J'ai droit de m'attendre, mon cher ami, que vous m'écriviez bientôt une lettre datée d'Herculée, où je vous vois parcourant déjà tous les souterrains. On nous en dit beaucoup de choses; celles que vous m'en direz, je les regarderai comme les relations d'un auteur grave. Ne craignez point de me rebuter par les détails.

Je suis de votre avis sur les querelles de Malte 3, que l'on traite de Turc à More: c'est cependant l'ordre peut-être le plus respectable qu'il y ait dans l'univers, et celui qui contribue le plus à entretenir l'honneur et la bravoure dans toutes les nations où il est répandu. Vous êtes bien hardi de m'adresser votre révérend capucin ne craignez-vous pas que je ne lui fasse lire la lettre persane sur les capucins?

Je serai au mois d'août à la Brède: 0 rus, quando te aspiciam 4? Je ne suis plus fait pour ce pays-ci, ou bien il faut renoncer à être citoyen. Vous devriez bien revenir par la France méridionale vous trouverez votre ancien laboratoire, et Je suis à Paris depuis quelque temps, mon cher vous me donnerez des nouvelles idées sur mes bois comte. Je commence par vous dire que notre liet mes prairies. La grande étendue de mes landes 5 braire Huart sort de chez moi, et il m'a dit de très-vous offre de quoi exercer votre zèle pour l'agribonnes raisons qu'il a eues pour vous faire enrager; mais vous recevrez au premier jour votre compte et votre mémoire.

Vous avez une boîte pleine de fleurs d'érudition, que vous répandez à pleines mains dans tous les pays que vous parcourez. Il est heureux pour vous d'avoir paru avec honneur devant le pape; c'est le pape des savants: or, les savants ne peuvent rien

faire de mieux que d'avoir pour leur chef celui qui l'est de l'Église, Les offres qu'il vous a faites seraient tentantes pour tout autre que pour vous, qui ne vous laissez pas tenter, même par les apparences de la fortune, et qui avez les sentiments d'un homme qui l'aurait déjà faite. Les belles choses que vous me dites de M. le comte de Firmian ne

culture; d'ailleurs j'espère que vous n'oubliez point que vous êtes propriétaire de cent arpents de ces landes, où vous pourrez remuer la terre, planter et semer tant que vous voudrez. Adieu; je vous embrasse de toute mon cœur.

De Paris, le 9 avril 1774.

Bibliothécaire du collège romain, et garde du cabinet des

antiquités que le P. Kircher laissa à ce collége.

2 Ce jésuite avait à Rome beaucoup de part dans les affaires de la constitution Unigenitus, et brocantait des médailles. On connaissait son projet d'un nouveau saint Augustin, pour l'opposer à l'Augustin de Jansenius.

Il s'était alors élevé une dispate entre la cour de Naples et l'ordre de Malte au sujet des droits de la monarchie de Sicile

qu'on prétendait s'étendre sur cette ile. AHORAT. Serm. II, sat. vi, v. 60.

5 Montesquieu gagna un procès contre la ville de Bordeaux,

sont point entièrement nouvelles pour moi. Il est qui lui rendit onze cents arpents de landes incultes, où il se mit

de votre devoir de me procurer l'honneur de sa connaissance, et c'est à vous à y travailler, sans

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à faire des plantations de bois et des métairies, l'agriculture faisant sa principale occupation dans les moments de relâche. Il avait fait présent de cent arpents de ses terres incultes à son ami, pour qu'il put exécuter librement ses projets d'agriculture; mais son départ et ses engagements ailleurs ont fait rester ce terrain en friche.

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J'ai reçu, monsieur, avec une reconnaissance trèsgrande, les deux magnifiques ouvrages que vous avez eu la bonté de m'envoyer, et la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sur les OEuvres

posthumes de mylord Bolingbroke; et comme cette lettre me paraît être plus à moi que les deux ouvrages qui l'accompagnent, auxquels tous ceux qui ont de la raison ont part, il me semble que cette lettre m'a fait un plaisir particulier. J'ai lu quelques ouvrages de mylord Bolingbroke; et, s'il m'est permis de dire comment j'en ai été affecté, certainement il a beaucoup de chaleur; mais il me semble qu'il l'emploie ordinairement contre les choses: et il ne faudrait l'employer qu'à peindre les choses. Or, monsieur, dans cet ouvrage posthume dont vous me donnez une idée, il me semble qu'il vous prépare une manière continuelle de triomphes. Celui qui attaque la religion révélée n'attaque que la religion révélée; mais celui qui attaque la religion naturelle attaque toutes les religions du monde. Si l'on enseigne aux hommes qu'ils n'ont pas ce freinci, ils peuvent penser qu'ils en ont un autre; mais il est bien plus pernicieux de leur enseigner qu'ils n'en ont pas du tout.

Il n'est pas impossible d'attaquer une religion révélée, parce qu'elle existe par des faits particuliers, et que les faits, par leur nature, peuvent être matière de dispute : mais il n'en est pas de même de la religion naturelle ; elle est tirée de la nature de l'homme, dont on ne peut pas disputer, et du sentiment intérieur de l'homme, dont on ne peut pas disputer encore. J'ajoute à ceci : Quel peut être le motif d'attaquer la religion révélée en Angleterre? on l'y a tellement purgée de tout préjugé destructeur, qu'elle n'y peut faire de mal, et qu'elle y peut faire au contraire une infinité de biens. Je sais qu'un homme, en Espagne ou en Portugal, que l'on va brúler, ou qui craint d'être brûlé parce qu'il ne croit point de certains articles dépendants ou non de la religion révélée, a un juste sujet de l'attaquer, parce qu'il peut avoir quelque espérance de pourvoir à sa défense naturelle; mais il n'en est pas de même en Angleterre, où tout homme qui attaque la religion révélée l'attaque sans intérêt, et où cet homme, quand il réussirait, quand même il aurait raison dans le fond, ne ferait que détruire une infinité de

* Auteur du Coup d'œil sur la Philosophie du lord Boling broke. Cette lettre fut insérée dans une gazette anglaise du 16 août 1754.

biens pratiques pour établir une vérité purement spéculative.

J'ai été ravi, etc.

De Paris, le 16 mai 17641.

82.— AU PRÉSIDENT HÉNAULT.

Je voudrais bien, monsieur mon illustre confrère, donner trois ou quatre livres de l'Esprit des Lo pour savoir écrire une lettre comme la vôtre; & pour vos sentiments d'estime, je vous en rends bien d'admiration. Vous donnez la vie à mon âme, qui est languissante et morte, et qui ne sait plus que se reposer. Avoir pu vous amuser à Compie.ne, c'est pour moi la vraie gloire. Mon cher president, permettez-moi de vous aimer, permettez-moi de me souvenir des charmes de votre société, comme on se souvient des lieux que l'on a vus dans sa jeunesse, et dont on dit : J'étais heureux alors! Vous faites des lectures sérieuses à la cour, et la cour ne perd rien de vos agréments ; et moi qui n'ai rien à faire, je ne puis me résoudre à faire quelque chose. J'ai toujours senti cela moins on travaille, moins on 1 de force pour travailler. Vous êtes dans le pays des changements; ici, autour de nous, tout est imme bile. La marine, les affaires étrangères, les finances, tout nous semble la même chose : il est vrai que nous n'avons point une grande finesse dans le tact. J'apprends que nous avons eu à Bordeaux plusieurs conseillers au parlement de Paris, qui, depuis le rappel, sont venus admirer les beautés de

notre ville; outre qu'une ville où l'on n'est point exilé est plus belle qu'une autre. Mon cher president, je vous aimerai toute ma vie.

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vous honore et vous estime plus que personne dans

De Bordeaux, le 1er décembre 1754.

85. A L'ABBÉ NICCOLINI.

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Permettez, mon cher abbé, que je me rappelle à votre amitié; je vous recommande M. de la Condamine: je ne vous dirai rien, sinon qu'il est de mes amis sa grande célébrité vous dira d'autres choses, et sa présence dira le reste. Mon cher abbé, je vous aimerai jusqu'à la mort.

gent, c'est une chose dont je ne suis jamais pressé,
Dieu merci. Vous ne me dites point si milord le monde.
Pembrock, qui vous parle de mon vin, se souvient
de ma personne : je l'ai quitté il y a deux ans plein
d'estime et d'admiration pour ses belles qualités.
Vous ne me parlez point de M. de Cloire, qui était
avec lui, et qui est un homme d'un très-grand mé-
rite, très-éclairé, et que je voudrais fort revoir. Je
voudrais bien que vos affaires vous permissent de
passer de Turin à Bordeaux. Vous qui voyez tout,
pourquoi ne voudriez-vous point voir vos amis, et
la Brède, toute prête à vous recevoir avec des lo?
Mais peut-être vous verrai-je à Paris, où vous ne
devez point chercher d'autre logement que chez
moi, d'autant plus que la dame Boyer, votre an-
cienne hôtesse, n'est plus dès que je vous sau-
rai arrivé, je hâterai mon départ.

Ce que vous a dit le pape de la lettre de Louis XIV à Clément XI est une anecdote assez curieuse. Le confesseur n'eut pas sans doute plus de difficulté d'engager le roi à promettre qu'il ferait rétracter les quatre propositions du clergé, qu'il en eut à faire promettre que sa bulle serait reçue sans contradiction; mais les rois ne peuvent pas tenir tout ce qu'ils promettent, parce qu'ils promettent quelquefois sur la foi de ceux qui les conseillent suivant leurs intérêts. Adieu, mon cher comte; je vous salue et embrasse mille fois.

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Sa Sa inteté lui avait dit avoir entre ses mains une lettre par laquelle ce monarque promettait à Clément XI de faire rétracter son clergé de la délibération touchant les quatre propositions du clergé de France, de 1682; que cette lettre lui avait tenu si fort à cœur, que, pour la tirer des mains du cardinal Annibal Albani, camerlingue, qui faisait difficulté de la livrer, il avait été obligé de lui accorder, non sans quelque scrupule, disait-il, certaines dispenses que ce cardinal exigeait.

Le cardinal de Polignac a conté à quelqu'un une anecdote qui a rapport à ceci, et qui est digne d'ètre rapportée. Le P. le Tellier alla un jour le trouver, et lui dit que, le roi étant déterminé à faire soutenir dans toute la France l'infaillibilité, il priait Son Eminence d'y donner la main. A quoi le cardinal répondit : « Mon père, si vous entreprenez une pareille chose, « vous ferez mourir le roi bientôt. » Ce qui fit suspendre les démarches et les intrigues du confesseur à ce sujet.

MONTESQUIEU.

De Bordeaux', le 1er décembre 1754. 86.- A L'ABBÉ DE GUASCO. Soyez le bienvenu, mon cher comte : je ne doute pas que ma concierge n'ait fait bien échauffer votre lit. Fatigué comme vous deviez l'être d'avoir couru la poste jour et nuit, et des courses faites à Fontainebleau, vous aviez besoin de ces petits soins pour vous remettre. Vous ne devez point partir de ma chambre ni de Paris que je n'arrive, à moins que vous ne vouliez venir à Paris pour me dire que je ne vous verrai pas. Je vois que vous allez en Flandre. Je voudrais bien que vous eussiez d'assez bonnes raisons de rester avec nous, outre celle de l'amitié; mais je vois qu'il ne faudra bientôt plus à nos prélats pour coopérateurs que des Doyenart. Eussiez-vous cru que ce laquais, métamorphosé en prêtre fanatique, conservant les sentiments de son premier état, parvînt à obtenir une dignité dans un chapitre? J'aurai bien des choses à vous dire, si je vous trouve à Paris, comme je l'espère; car vous ne brûlerez pas un ami qui abandonne ses foyers pour vous courir, dès qu'il sait où vous prendre.

Je suis fort aise que S. A. R. monseigneur le duc de Savoie agrée la dédicace de votre traduction italienne, et très-flatté que mon ouvrage paraisse en

Pierre Doyenart fut laquais du fils de Montesquieu pendant qu'il était au collège de Louis le Grand. Ayant appris un peu de latin, il se sentit appelé à l'état ecclésiastique, et, par l'intercession d'une dame, il obtint de l'évêque de Bayonne, dont il était diocésain, la permission d'en prendre l'habit. Devenu prêtre et bénéficier dans l'église, il vint à Paris demander à Montesquieu sa protection auprès du comte de Maurepas, pour avoir un meilleur bénéfice qui vaquait, le priant à cet effet de se charger d'une requête pour le ministre. Elle débutait par ces mots : « Pierre Doyenart, prètre du diocèse de Bayonne, ci-devant employé par feu monsieur l'évèque à « découvrir les complots des jansenistes, ces perfides qui ne « connaissaient ni pape, ni roi, etc. » Montesquieu, ayant lu ce début, plia la requête, la rendit au suppliant, et lui dit : « Allez, monsieur, la présenter vous-même; elle vous fera « honneur, et aura plus d'effet: mais auparavant passez dans «ma cuisine, pour déjeuner avec mes valets. » Ce que M. Doyenart n'oubliait jamais dans les visites fréquentes qu'il faisait à son ancien maître. Il parvint, quelque temps après, à la dignité de trésorier dans un chapitre d'une cathédrale en Bretagne.

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