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« cis. » Il ajoute qu'il « sera plus facile d'en apprécier la « valeur en adoptant une nouvelle division des gouverne«ments en nationaux et spéciaux. » Enfin, il est forcé d'avouer quelque part qu'il ne s'éloigne des idées de Montesquieu que pour mieux les réfuter. On ne sera donc pas étonné de ne voir au bas des pages aucun fragment d'un ouvrage qui n'a d'autre point de contact avec l'Esprit des Lois que l'ordre des matières, et qui n'aurait jamais dû trouver place à la suite de Montesquieu.

En résumé, notre édition présente : 1o plus de correction dans le texte qu'aucune des précédentes; 2° un commentaire variorum tiré de Dupin, Crevier, Voltaire, Mably, Servan, la Harpe, etc.; 3° une notice sur la vie de Montesquieu par M. C. A. Walckenaër; 4° une table générale et analytique des matières.

PARELLE.

NOTICE

SUR

LA VIE DE MONTESQUIEU,

PAR M. C. A. WALCKENAER.

CHARLES DE SECONDAT, baron de la Brède et DE MONTESQUIEU, naquit près de Bordeaux, le 18 janvier 1689, dans le château de la Brède 1, où il passa son enfance, et composa des ouvrages qui lui ont acquis une gloire qui ne périra jamais. La terre de Montesquieu était depuis longtemps dans sa famille: elle avait été achetée, en 1561, par son trisaïeul, Jean de Secondat, sieur de Roques, maître d'hôtel de Henri II, roi de Navarre. Cette terre fut érigée en baronie par Henri III, roi de Navarre (depuis roi de France sous le nom de Henri IV), en faveur de Jacob de Secondat, fils de Jean, « pour ⚫ reconnaître, disait le roi, les bons, fidèles et si⚫gnalés services qui nous ont été faits par lui et les siens. » Jean Gaston de Secondat, second fils de Jacob, ayant épousé la fille du premier président du parlement de Bordeaux, acquit, dans cette compagnie, une charge de président à mortier. Il eut plusieurs enfants, dont un entra dans le service, s'y distingua, et le quitta de bonne heure; ce fut le pere de Charles de Secondat, auteur de l'Esprit des Lois.

Ces détails de généalogie et de famille, qu'on s'épargne ordinairement quand on écrit la vie des grands hommes, ne pouvaient être passés sous silence dans celle de Montesquieu, dont les ouvrages et la conduite ont fait voir souvent qu'il n'était pas indifferent aux prérogatives de sa naissance, et aux privileges attachés à ses possessions seigneuriales. Les plus grands génies, les hommes que la nature a distingués des autres par les plus fortes empreintes d'originalité, subissent cependant l'influence des circonstances qui ont précédé leur naissance, et accompagné leur première éducation.

*Cette seigneurie de la Brède avait été acquise depuis peu par la maison de Secondat, et était encore, en juin 1682, une

propriete de la maison de Lisle. Voyez Variétés bordelaises, Tom. IV, pag. 243.

MONTESQUIEU.

Dès son enfance, Montesquieu annonça une vivacité d'esprit qui aurait pu faire présager ce qu'il devait être un jour. Son père mit tous ses soins à cultiver les heureuses dispositions d'un fils, objet de son espérance et de sa tendresse. Il le destina à la magistrature; et, dès sa plus tendre jeunesse, Montesquieu employa l'activité de son esprit à étudier l'immense recueil des différents codes, à saisir les motifs, et à démêler les rapports compliqués de tant de lois obscures ou contradictoires. Son goût pour l'étude était insatiable, et s'il fut la source de sa gloire, il fut aussi celle de son bonheur. Il a avoué qu'il n'avait jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'eût dissipé. Il se délassait, avec les livres d'histoire et de voyages, de ses travaux les plus arides sur la jurisprudence; mais surtout, il savourait avec délices les productions des siècles classiques de la Grèce et de Rome : « Cette antiquité m'enchante, dit-il; et je << suis toujours prêt à dire avec Pline C'est à

« Athènes que vous allez, respectez les dieux. »

Ce fut en quelque sorte la reconnaissance qu'il avait pour les anciens qui le porta, dès l'âge de vingt ans, à entreprendre son premier ouvrage : il l'avait composé en forme de lettres; il cherchait à prouver que l'idolâtrie de la plupart des païens ne semblait pas mériter une damnation éternelle. Montesquieu ne fit point paraître cet écrit. Déjà le jugement dominait en lui le talent, et lui apprenait que ce qu'il produisait alors n'était pas digne de se placer à côté de ce qu'il pourrait produire un jour.

Il fut reçu conseiller au parlement de Bordeaux le 24 février 1714. Un oncle paternel, président à mortier dans ce parlement, ayant perdu un fils unique, et voulant conserver dans son corps l'esprit de dignité qu'il avait tâché d'y répandre, laissa ses biens et sa charge à Montesquieu, qui fut nommé président à mortier, le 13 juillet 1716. Quelques années après, en 1722, il fut chargé de présenter des

remontrances que le parlement de Bordeaux crut devoir faire relativement à un impôt sur les vins : il exposa avec force la misère du peuple, et obtint la justice qu'il demandait; mais cette concession fut de courte durée, et l'impôt supprimé reparut sous une autre forme.

Il n'était pas moins zélé pour la gloire de ses compatriotes que pour leurs intérêts. Une société d'hommes, unis par leur goût pour la musique et les ouvrages de pur agrément, fonda une académie à Bordeaux, en 1716. Montesquieu, qu'elle admit dans son sein, entreprit de faire, de cette coterie de beaux esprits, une société savante. Le duc de la Force, protecteur de cette académie, le seconda dans ses vues. On jugea, dit d'Alembert, qu'une expérience bien faite serait préférable à un discours faible ou à un mauvais poëme; et Bordeaux eut une académie des sciences. Montesquieu paya son tribut, comme membre de cette nouvelle compagnie, en y lisant quelques écrits sur l'histoire naturelle. Il avait un goût particulier pour ce genre d'étude, mais sa constitution physique lui refusait les moyens d'observation qui en sont la base. Non-seulement sa vue était courte, mais il l'avait faible; et cette infirmité augmenta tellement en lui avec les années, que vers la fin de sa vie il devint presque aveugle. Remarquons aussi qu'à l'époque où Montesquieu s'appliqua à l'histoire naturelle, les principes fondamentaux de cette science n'étaient pas encore posés. Il y fit peu de progrès, et peut-être eût-il mieux valu qu'il n'eût pas tenté de la connaître; car il en a fait une fois, dans son immortel ouvrage, une application fausse et presque puérile. Cependant son génie lui faisait pressentir les rapports de cette science avec la richesse des nations, les révolutions des empires, les besoins et les jouissances de l'homme en société. Il aurait voulu remplir une lacune dans les connaissances humaines, dont il appréciait toute l'étendue. C'est ce que prouve le projet d'une Histoire physique de la terre ancienne et moderne, qu'il fit imprimer en 1719, et qu'il répandit par la voie des journaux, en invitant tous les savants de l'Europe à lui communiquer leurs mémoires et leurs observations sur ce sujet.

Mais bientôt il sentit que, si l'esprit de l'homme ne connaît ni obstacles, ni limites, sa vie est bornée à un petit nombre d'années, et qu'il est contraint de se renfermer dans le cercle que le temps trace autour de lui. Montesquieu, abandonnant ses recherches en histoire naturelle, s'adonna donc exclusivement aux sciences morales et historiques, vers lesquelles l'entraînaient la pente de son génie, ses

| premières études, et ses fonctions comme magistrat. Il lut successivement, à son académie de Bordeaux, une dissertation sur la Politique des Romains dan s la religion, prélude de l'ouvrage qu'il devait publier un jour sur le peuple le plus étonnant de l'histoire; un Éloge du duc de la Force, et une vie du maréchal de Berwick : ce dernier morceau rappelle la manière de Tacite; mais nous dirons, à la fin de cet article, tout ce qui lui manque pour pouvoir être comparé à un chef-d'œuvre du même genre de ce grand historien.

Ces divers essais de Montesquieu', historiques, moraux ou scientifiques, n'annonçaient nullement l'ouvrage par lequel, à l'âge de trente-deux ans, il signala son entrée dans la carrière littéraire, les Lettres persanes; elles parurent en 1721. Il est bien certain que le cadre ou l'idée première de ce livre est emprunté du Siamois des Amusements sérieux et comiques de Dufresny; mais, dans les ouvrages d'esprit, l'idée première est peu de chose en comparaison de l'exécution. Pour expliquer le prodigieux succès qu'eurent les Lettres persanes, et l'influence qu'elles exercèrent, il ne suffit pas de remarquer qu'on y trouvait, sous une forme plus appropriée à tous les lecteurs, les divers genres de talent que l'auteur a développés dans des ouvrages plus utiles et plus sérieux; il faut encore se rappeler à quelle époque ce livre parut. Des guerres désastreuses, des persécutions cruelles, des hivers rigoureux, la famine et la misère des peuples, qui est la suite de tous ces fléaux, avaient attristé la fin du règne de Louis XIV. Durant les brillantes années de ce règne, le peuple français, soumis et reconnaissant envers un roi qui l'avait élevé au premier rang parmi les nations, enivré de ses succès et de sa gloire, était resté comme en contemplation devant sa propre grandeur. Lorsqu'ensuite les malheurs publics eurent excité les mécontentements, l'habitude de l'obéissance et la crainte qu'inspirait un monarque dont l'âge ni les revers ne faisaient point fléchir la volonté, maintinrent tout autour de lui dans un respectueux silence; mais quand il fut descendu dans la tombe, la nation sembla se dédommager de la contrainte qu'on avait exercée sur elle, et ne fut que trop puissamment secondée par le régent qui avait pris les rênes du gouvernement : le libertinage succéda à la dévotion, l'effronterie à l'hypocrisie, la familiarité au respect, l'audace à la soumission. La liberté de tout dire et de tout écrire avec impunité portait à examiner ou à combattre tout ce qui avait été consenti sans opposition ou approuvé avec enthousiasme. C'est au milieu de cette effervescence des esprits que

parut le livre des Lettres persanes; il avait, par sa | bord, la forte préoccupation sous l'influence de laforme, tout l'attrait d'un roman on y trouvait des quelle Montesquieu était presque toujours pour la détails voluptueux et des sarcasmes irréligieux, qui composition de ses ouvrages; son extrême vivacité, flattaient le goût du siècle pour les plaisirs et son qui ne lui permettait pas de s'étendre dans une letpenchant à l'incrédulité; on y lisait des jugements tre au-delà de ce qui était nécessaire; la faiblesse de pleins de hauteur et de dédain sur Louis XIV et sur se vue, qui le condamnait à écrire peu de mots à la son règne, qu'on cherchait dès lors à déprécier: fóis, ou à se servir d'une main étrangère; enfin, mais on ne pouvait méconnaître non plus dans ce son peu de facilité dans la rédaction, que démontre livre un ardent amour pour le bonheur de l'huma- l'aspect de ses manuscrits chargés de ratures : toutes nité, un zèle courageux pour le triomphe de la rai- ces causes réunies le rendaient peu propre à un son et de la vertu ; des aperçus lumineux sur le com- genre qui exige surtout de la facilité, de l'abandon merce, les droits publics, les lois criminelles, et sur et de la souplesse, le talent d'improviser ses penles plus chers intérêts des nations; un coup d'œil sées, et l'habitude de s'abandonner aux inspirations pénétrant sur les vices des sociétés et sur ceux des du moment. gouvernements i annonçait enfin un penseur profond, qui surprenait d'autant plus que, loin de se complaire dans sa force, il ne semblait occupé qu'à la déguiser sans cesse, en se couvrant du masque de la frivolité. Ce qui surtout, dans ce livre, se trouvait à la portée de tout le monde, et enlevait tous les suffrages, c'était cette satire si animée, si fine, si gaie, si spirituelle de nos mœurs et de nos travers; c'était ce style toujours vif, brillant, plein d'heureuses réticences, de contrastes inattendus, et dont la piquante ironie s'élevait quelquefois jusqu'à la plus énergique éloquence. Le voile de l'anonyme dont l'auteur de cette production sut pendant quelque temps se couvrir, contribua encore à irriter la curiosité publique. Quand on sut que c'était l'un des présidents d'une des principales cours souveraines du royaume, l'opposition qui existait entre cet écrit et la profession grave de l'écrivain, dans ce siècle avide de scandale, contribua encore à son succès : il fut prodigieux, et Montesquieu lui-même se vante malignement qu'à cette époque les libraires allaient tirer par la manche tous ceux qu'ils rencontraient, en leur disant : « Monsieur, faites-nous ⚫ des Lettres persanes; » comme si rien n'avait été plus facile que de faire des Lettres persanes!

Il est curieux, et peut-être utile, de remarquer que l'auteur de ces lettres a cependant manqué du talent épistolaire proprement dit; il ne faut pas croire qu'il le dédaignât : dans sa correspondance avec le président Hénault, il témoigne, au contraire, le regret de ne pas le posséder. Le recueil des lettres de Montesquieu, que l'abbé de Guasco publia en 1767, n'en offre aucune qui soit remarquable: presque toutes sont fort courtes; la plupart ne sont que de simples billets. Elles n'intéressent que parce qu'on y trouve quelques détails qui nous font davantage connaître l'homme illustre qui les a écrites. On peut donner plusieurs raisons de cette singularité : d'a

Quatre ans après avoir publié les Lettres persanes, Montesquieu fit, en 1725, imprimer séparément le Temple de Gnide, bagatelle ingénieuse, mais froide et sans intérêt, où l'esprit est prodigué, la grâce étudiée, et que madame du Deffant avait surnommée l'Apocalypse de la galanterie. Au reste, nous voyons, par une lettre écrite à Moncrif, en 1738, que Montesquieu, longtemps après la publication du Temple de Gnide, ne voulait point consentir à avouer cette légère production, qu'il composa pour l'amusement de la société de mademoiselle de Clermont. Il dit, dans cette lettre, que le libraireéditeur le désobligerait beaucoup s'il allait mettre quelque chose dans son avertissement qui, directement ou indirectement, pût faire penser qu'il en fût l'auteur. « Je suis, ajoutait-il, à l'égard des ouvra«ges qu'on m'attribue, comme madame Fontaine« Martel était pour les ridicules; on me les donne, « mais je ne les prends pas. » Cependant, même dans ce médiocre ouvrage, on remarque quelques traits qui décèlent Montesquieu; et, à ce sujet, la Harpe le compare à un aigle qui voltige dans des bocages, et resserre avec peine un vol fait pour les hauteurs des montagnes et l'immensité des cieux.

Cette même année, Montesquieu, à l'ouverture du parlement de Bordeaux, prononça un discours sur les devoirs des magistrats, des avocats, des procureurs et de tous ceux qui suivent la carrière du barreau. Ce discours, qui a été trop peu remarqué, est écrit d'un style abondant, plein d'onction, et s'éloigne de la manière ordinaire de Montesquieu; il

est de ce genre d'éloquence qui s'adresse encore plus à l'âme qu'à la raison. Cependant celui qui retraçait si bien les devoirs du magistrat, et en semblait si pénétré, se retira presque aussitôt, et peut

La première édition du Temple de Gnide est in-12, de 29 janvier 1725: la petite piece de Cephise et l'Amour se trouve 82 pages, chez Simart, libraire; l'approbation est datée du à la suite.

ს.

être par cette raison même, de la magistrature. Montesquieu vendit sa charge en 1726. Le désir d'acquérir sa liberté et de se livrer entièrement à la philosophie et aux lettres, fut sans doute un de ses motifs; mais la principale cause de cette détermination fut qu'il se trouvait, et qu'il était inférieur à ce qu'il devait être dans son emploi. Cette continuelle présence d'esprit, ce jugement prompt et facile, cette patience attentive qui suit dans tous ses détails les détours de l'intérêt privé; cette facilité d'élocution qui fait ressortir aux yeux des autres la vérité et la justice, qu'on n'a qu'un instant pour discerner, qu'un instant pour faire triompher; toutes ces qualités, indispensables dans un juge, manquaient entièrement à Montesquieu. Pour s'en convaincrè, il suffit de ses propres aveux : il nous dit que tout son mérite, dans son métier de président, se réduisait à avoir le cœur droit, et à entendre assez bien les questions en elles-mêmes; mais qu'il n'avait jamais rien compris à la procédure, quoiqu'il s'y fût appliqué. Son accent gascon, dont il paraît avoir dédaigné de se corriger, sa voix claire et même un peu criarde, auraient nui aux meilleurs discours, s'il avait pu en prononcer sans préparation; mais il ne le pouvait pas. «Ma machine, dit-il, est tellement composée, « que j'ai besoin de me recueillir dans toutes les ma« tières un peu abstraites. Sans cela mes idées se « confondent, et si je sens que je suis écouté, il me « semble que toute la question s'évanouit devant moi. « Plusieurs traces se réveillent à la fois; et il résulte « de là qu'aucune trace n'est réveillée. La timidité, « dit-il encore, a été le fléau de toute ma vie; elle « semblait obscurcir jusqu'à mes organes, lier ma << langue, mettre un nuage sur mes pensées, déran« ger mes expressions. » Avec de telles défectuosités on peut aspirer, du fond de sa retraite, à remuer le monde en composant des livres ; mais il faut renoncer à ces fonctions publiques qui exigent qu'on exerce, par la parole, une influence journalière sur les hommes.

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Montesquieu, libre désormais de s'adonner tout entier à la philosophie et aux lettres, se présenta comme candidat pour la place vacante à l'Académie française, par la mort de M. de Sacy; mais le cardinal de Fleury écrivit à l'Académie que le roi avait déclaré qu'il ne donnerait point son approbation à la nomination de l'auteur d'un ouvrage dans lequel se trouvaient des sarcasmes impies. « Alors, dit Vol« taire, Montesquieu prit un tour fort adroit pour "mettre le ministre dans ses intérêts : il fit faire, en « peu de jours, une nouvelle édition de son livre, « dans lequel on retrancha ou on adoucit tout ce qui

« pouvait être condamné par un cardinal ou par un « ministre. M. de Montesquieu porta lui-même l'ou<< vrage au cardinal, qui ne lisait guère, et qui en lut << une partie : cet air de confiance, soutenu par l'em« pressement de quelques personnes en crédit, ra<< mena le cardinal, et Montesquieu entra à l'Acadé« mie. » Cette anecdote, insérée dans un ouvrage sérieux, le Siècle de Louis XIV, et attestée par le plus célèbre des contemporains de Montesquieu, à une époque où la plupart des amis de cet homme illustre vivaient encore, et qu'aucun d'eux n'a contredite, a été rejetée par les biographes modernes, comme tout à fait invraisemblable. Ils assurent, au contraire, que Montesquieu n'usa point d'un détour, selon eux, peu digne de lui; qu'il ne voulut rien désavouer dans ses Lettres persanes, et qu'il fut redevable de son admission aux instances du maréchal d'Estrées, son ami. Ceci n'est point exact. Montesquieu tenait au moins autant à la considération due à sa naissance, à son rang dans le monde, qu'à sa renommée littéraire; il fut à la fois consterné et offensé du refus du roi et de son ministre, et surtout des motifs de ce refus qui était une sorte de réprobation de l'autorité royale, relativement à lui et sa famille. << Il « déclara au gouvernement, dit d'Alembert, qu'aaprès l'espèce d'outrage qu'on allait lui faire, il irait « chercher chez les étrangers, qui lui tendaient les bras, la sûreté, le repos, et peut-être les récom<< penses qu'il aurait dû espérer dans son pays. » Mais en ressentant d'une manière noble et ferme l'affront dont il était menacé, Montesquieu n'en reconnaissait pas moins ses torts; et il est certain qu'il désavoua, d'une manière quelconque, les lettres de son ouvrage qui fournissaient un motif légitime pour l'écarter d'une compagnie dont, par son institution, le roi était protecteur. Montesquieu ne fit rien en cela, quoi qu'on en ait dit, qui fût indigne de la franchise de son caractère. Jamais il ne s'était formellement déclaré l'auteur des Lettres persanes. Quand il fut pressé de les désavouer, il put, en se refusant à cette démarche, désavouer cependant celles de ces lettres qui n'étaient plus conformes à ce qu'il aurait pensé et écrit, lorsqu'on l'interpella sur ce sujet. La preuve que tel était son sentiment se trouve dans les ouvrages qu'il a publiés depuis, qui contiennent des éloges sincères de la religion chrétienne; et dans les démarches qu'il fit auprès des libraires qui réimprimaient ses Lettres persanes, pour qu'ils en fissent disparaître ce qu'il appelait ses Juvenilia. D'Alembert, dans l'éloge de Montesquieu, qu'il a mis en tête d'un des volumes de l'Encylopédie, dit formellement que, dans la première édition des Lettres

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