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J'AI souvent dit que si l'on m'eût donné d'un autre homme les idées qu'on a données de moi à mes contemporains, je ne me serois pas conduit avec lui comme ils font avec moi. Cette assertion a laissé tout le monde fort indifférent sur ce point; je n'ai vu chez personne la moindre curiosité de savoir en quoi ma conduite eût différé de celle des autres, et quelles eussent été mes raisons. J'ai conclu de là que le public, parfaitement sûr de l'impossibilité d'en user plus justement ni plus honnêtement qu'il ne fait à mon égard, l'étoit par conséquent que, dans ma supposition, j'aurois eu tort de ne pas l'imiter. J'ai cru même apercevoir dans sa confiance une hauteur dédaigneuse, qui ne pouvoit venir que d'une grande opinion de la vertu de ses guides et de la sienne dans cette affaire. Tout cela, couvert pour moi d'un mystère impénétrable, ne pouvant s'accorder avec mes raisons, m'a engagé à les dire, pour les soumettre aux réponses de quiconque auroit la charité de me détromper; car mon erreur, si elle existe, n'est pas ici sans conséquence : elle me force à mal penser de tous ceux qui m'entourent, et, comme rien n'est plus éloigné de ma volonté que d'être injuste et ingrat envers eux, ceux qui me désabuseroient, en me ramenant à de meilleurs jugements, substitueroient dans mon cœur la gratitude à l'indignation, et me rendroient sensible et reconnoissant en me montrant mon devoir à l'être. Ce n'est pas là cependant le seul motif qui m'ait mis la plume à la main : un autre encore, plus fort et non moins légitime, se fera sentir dans cet écrit. Mais je proteste qu'il n'entre plus dans ces motifs l'espoir ni presque le desir d'obtenir enfin de ceux qui m'ont jugé la justice qu'ils me refusent, et qu'ils sont bien déterminés à me refuser toujours.

En voulant exécuter cette entreprise, je me suis vu dans un bien singulier embarras : ce n'étoit pas de trouver des raisons en faveur de mon sentiment, c'étoit d'en imaginer de contraires; c'étoit d'établir sur quelque apparence d'équité des procédés où je n'en apercevois aucune. Voyant cependant tout Paris, toute la France, toute l'Europe, se conduire à mon égard avec la plus grande confiance sur des maximes si nouvelles, si peu concevables pour moi, je ne pouvois supposer que cet accord unanime n'eût aucun fondement raisonnable, ou du moins apparent, et que toute une génération s'accordât à vouloir éteindre à plaisir toutes les lumières naturelles, violer toutes les lois de la justice, toutes les règles du bon sens, sans objet, sans profit, sans prétexte, uniquement pour satisfaire une fantaisie dont je ne pouvois pas même apercevoir le but et l'occasion. Le silence profond, universel, non moins inconcevable que le mystère qu'il couvre, mystère que depuis quinze ans on me cache avec un soin que je m'abstiens de qualifier, et avec un succès qui tient du prodige; ce silence effrayant et terrible ne m'a pas laissé saisir la moindre idée qui pût m'éclairer sur ces étranges dispositions. Livré pour toute lumière à mes conjectures, je n'en ai su former aucune qui pût expliquer ce qui m'arrive, de manière à pouvoir croire avoir démêlé la vérité. Quand de forts indices m'ont fait penser quelquefois avoir découvert avec le fond de l'intrigue son objet et ses auteurs, les absurdités sans nombre que j'ai vues naître de ces suppositions m'ont bientôt contraint de les abandonner, et toutes celles que mon imagination s'est tourmentée à leur substituer n'ont pas mieux soutenu le moindre examen.

Cependant, pour ne pas combattre une chimère, pour ne pas outrager toute une génération, il falloit bien supposer des raisons dans le parti approuvé et suivi par tout le monde. Je n'ai rien épargné pour en chercher, pour en imaginer de propres à séduire la multitude; et, si je n'ai rien trouvé qui dût avoir produit cet effet, le ciel m'est témoin que ce n'est faute ni de volonté ni d'efforts, et que j'ai rassemblé soigneusement toutes les idées que mon entendement m'a pu fournir pour cela. Tous mes soins n'aboutissant à rien qui pût me satisfaire, j'ai pris le seul parti qui me restoit à prendre pour m'expliquer : c'étoit, ne pouvant raisonner sur des motifs particuliers qui m'étoient inconnus et

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