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que

lui dut être d'autant plus sensible qu'il parut rabaisser fort crûment son crédit devant celui de M. Le Brun. Ce dernier s'étant rendu un peu tard à l'assemblée, M. Ratabon n'avoit pas jugé à propos de l'attendre, et s'étoit acheminé sans lui vers l'hôtel de M. Colbert. Le portier avait ordre de son maître de ne laisser entrer à cette heure-là M. Le Brun et les personnes qui seroient avec lui. Nul autre objet, dans cet ordre ainsi donné, que celui de voir l'Académie avec plus de liberté et moins de distraction. Sur cela M. Ratabon se présenté avec l'Académie à la porte de l'hôtel. Le portier, qui ne voit pas M. Le Brun, en refuse l'entrée; M. Ratabon décline son nom, se démène et fait toutes les instances possibles pour pénétrer; le tout en vain : il ne lui reste plus d'autre parti à prendre que celui de s'en retourner honteusement, Sur ces entrefaites arrive M. Le Brun. Dès qu'on l'aperçoit, les portes s'ouvrent. La compagnie entre et est introduite avec honneur dans une salle où, un moment après, M. Colbert vient la trouver. Rien au-dessus de l'accueil obligeant qu'il fit d'abord au corps académique en général, et de l'air ouvert et vrai avec lequel il lui renouvela les assurances de sa bienveillance et de son amitié. Entrant ensuite dans le particulier, chaque académicien d'une certaine réputation qui étoit connu de

lui eut son petit mot de distinction et d'encouragement; ceux qui lui étoient inconnus, il demanda à M. Le Brun de les lui faire connoître, et répartit aussi à chacun la juste mesure d'approbation qu'ils pouvoient mériter. Tous demeurèrent comblés de ses attentions et de ses égards. Il n'y eut que le seul M. Ratabon qui pût être affecté différemment. En tout cela il n'y eut pas un seul mot pour lui. Au contraire, M. Colbert lui marqua une froideur si bien caractérisée qu'elle frappa toute la compagnie, et que lui-même en fut saisi d'une morne perplexité. Il sortit, comme il étoit entré, à la tête de la compagnie, et au lieu de la conduire aussi chez M. le chancelier, où elle alla du même pas, il se retira à son logis.

Ce fut donc M. Le Brun qui la mena chez notre protecteur en chef. Comme il a déjà été remarqué plus d'une fois dans le cours de ces Mémoires, elle ne s'y pouvoit présenter sous des auspices plus favorables; même en cette occasion ce grand magistrat sembla vouloir renchérir encore sur toutes les marques qu'il en avoit données précédemment; car, après avoir assuré la compagnie, avec son affabilité ordinaire, de la continuation des sentiments d'affection dont chacun savoit qu'il étoit prévenu pour elle, il dit en souriant << qu'il se feroit toujours un singulier plaisir » de lui faire du bien et de lui en procurer, et

» surtout lorsqu'il la verroit bien unie avec ce bon » ami-là », frappant en même temps sur la tête de M. Le Brun; et il finit en exhortant l'Académie à s'attacher de plus en plus à faire fleurir les beaux-arts en France, et à se rendre encore plus considérable par sa concorde, ses succès et son utilité, que par les protections les plus éclatantes et par tout autre appui étranger. Ainsi se termina cette seconde audience. Tout ce qui s'y passa de satisfaisant pour nous, et le sensible contentement que nous avions reçu de la première, étoit une influence si peu méconnoissable de la haute estime où étoit M. Le Brun auprès des puissances supérieures, que nous eussions été entraînés malgré nous, pour ainsi parler, à le traiter avec cette déférence et cette sorte de respect qu'un crédit si marqué impose communément aux autres, si la rare modestie avec laquelle il nous procuroit tous ces agréments eût chez nous laissé place à d'autres sentiments qu'à ceux de la plus tendre reconnaissance. Chacun, d'un commun accord, bénit le jour qui avoit rendu à l'Académie un membre si illustre et inspiré si dignement.

Après avoir rempli ainsi ses devoirs publics et extérieurs, il fut question de travailler à l'exécution des projets de réformation qui avoient été minutés dès le voyage de Fontainebleau. Ce fut M. Colbert lui-même qui en rappela l'idée, et qui

excita M. Le Brun à y mettre la dernière main. Ces vues si nobles et si élevées, que ce ministre avoit jusque alors tenues renfermées en lui-même pour les digérer avec plus de maturité, ne cherchoient plus qu'à percer et à se montrer au grand jour. Outre le plan qu'il s'étoit fait de donner aux beaux-arts tout le ressort et tout le lustre qu'y peuvent communiquer les récompenses et les honneurs, il avoit aussi formé celui de remettre sur pied et de faire fleurir les manufactures qui y ont rapport, et de commencer par celle des tapisseries de l'hôtel royal des Gobelins. Il invita donc M. Le Brun à développer et à mettre en ordre le plan de la restauration des arts et de l'Académie, qui lui paroissoit n'avoir été qu'indiqué dans leurs conférences particulières. Et, comme il n'avoit pas tout le loisir nécessaire pour pouvoir discuter en détail toutes les parties subordonnées de ce plan, il crut pouvoir se reposer de ce soin sur M. du Metz, son premier commis.

L'un des grands talents de M. Colbert étoit de savoir admirablement bien choisir ses sujets. Il ne s'en pouvoit guère trouver un plus propre pour l'opération dont il s'agit ici que ce M. du Metz, par son amour pour les arts et pour la gloire de son maître et de l'état, par le degré considérable de ses connoissances, par sa droiture, sa sagacité et son application. M. Le Brun fut encore invité

à communiquer à cet homme de mérite ses lumières sur l'arrangement des Gobelins. Entre des mains comme les leurs, cet arrangement prit bientôt une consistance à garantir d'avance la brillante réussite dont il fut suivi de si près. Mais, comme cet objet n'appartient à ces Mémoires qu'indirectement, il paroît à propos de le laisser là, pour ne s'arrêter qu'aux détails qui ont un rapport immédiat à la restauration et à l'histoire de l'Académie.

Le premier soin de M. Le Brun fut de mettre M. du Metz bien au fait de l'histoire et des motifs de l'établissement de l'Académie, de lui donner une idée juste et précise des traverses qu'elle avoit essuyées, et par rapport à la jonction, et d'ailleurs de sa situation alors actuelle, et de ce qu'il estimoit à faire de plus convenable pour lui en procurer une qui la mît à couvert de semblables révolutions, et lui assurer cette plénitude et cette stabilité de succès qui seules pouvoient faire sa véritable gloire et celle des illustres auteurs d'un si désirable bienfait. Le résultat de cette conférence fut que le secrétaire de l'Académie dresseroit un mémoire à l'usage de M. Colbert luimême, où tous ces objets seroient exposés dans un détail suffisamment circonstancié, et accompagné des réflexions nécessaires pour en bien faire sentir toute l'importance et toute l'utilité.

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