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Pour revenir au caractère d'Énée, on a supposé, dans l'intention de le déprécier, qu'il ne se présente que comme un fugitìf qui vient injustement usurper le trône, et traverser les amours de Turnus et de Lavinie; mais Virgile a eu soin de fonder ses droits à l'empire, sur la volonté des dieux, manifestée par les oracles, et même sur la consanguinité. Quant aux amours de Turnus et de Lavinie, il n'en est pas dit un seul mot dans toute l'Énéide: ce n'est pas de l'amour que Virgile a donné à Turnus, c'est de l'ambition. On reproche aussi à Énée de la cruauté, et on allègue en preuve, le meurtre de Turnus. Mais comment n'a-t-on pas vu que c'est là que le poëte a mis un goût exquis et une convenance admirable. Turnus, prêt à recevoir le coup mortel, s'est jeté aux pieds d'Énée, pour lui demander, non pas la vie,

mais la consolation d'être porté dans le tombeau de ses pères. Énée est prêt à lui faire grâce, lorsqu'il apperçoit sur le corps de son ennemi, le baudrier du jeune Pallas égorgé par Turnus. A cette vue, sa fureur se réveille, et il l'immole sans pitié, en disant : « Ce n'est pas moi qui te tue, c'est Pallas. » Pallas, te hoc vulnere, Pallas

Immolat.

Voilà, je crois, le personnage d'Énée suffisamment justifié. Mais on a prétendu qu'en général Virgile, sous le rapport des caractères, étoit resté fort inférieur à Homère. « Une foule de héros, nous dit-on, se signalent dans l'Iliade; chacun a sa physionomie particulière, et cette richesse est un des principaux mérites de ce poëme; tandis que, dans Virgile, Énée seul est remarquable par ses grandes qualités.» Des gens de goût

ont, à mon avis, complètement justifié Virgile à cet égard. On se rappelle ce qui arriva, lorsque la France eut le malheur de perdre le grand Turenne. Louis XIV nomma plusieurs officiers-généraux, qu'on appela plaisamment la monnoie de M. de Turenne. De grands hommes d'états et de conditions différentes, ont souvent entr'eux des rapports inattendus. Homère a fait comme Louis XIV; Achille, par son absence, étant mort pour l'armée, Homère l'a, pour ainsi dire, monnoyé, en mettant à sa place Diomède, les deux Ajax, Idoménée, etc. Mais Énée étant toujours présent, tout a dû lui être subordonné, excepté son adversaire Turnus, qui, pour l'honneur même de son rival, a dû être digne de lui.

D'ailleurs, on ne peut pas même raisonnablement reprocher à Virgile une pénurie

que

réelle de caractères; on peut même assurer les caractères subalternes de Virgile ont quelque chose de supérieur à ceux d'Homère. Tout le génie de celui-ci n'a pu empêcher que tous ses héros, nés dans le même pays, se battant pour la même cause, contre les mêmes ennemis, avec le même courage et les mêmes armes, n'eussent entr'eux une grande ressemblance. Rien de pareil dans Virgile. J'observerai, de plus, que beaucoup de lecteurs passionnés d'Homère restent indécis sur Achille et Hector, que même les partisans de ce dernier sont les plus nombreux : aussi Virgile, frappé de cette idée, paroît-il avoir voulu retracer Achille dans Turnus, et Hector dans Énée, Amate, mère de Lavinie, dont le caractère n'a été remarqué par aucun critique, méritoit de l'être. Virgile a peint en elle le sentiment maternel avec une

justesse, une vérité et une nouveauté de couleurs, qu'on ne retrouve dans aucun poëme. Cet amour, dans Amate, a deux caractères bien frappans, que l'on ne trouve dans aucun autre tableau de la maternité, et ces deux caractères sont également dans la nature. Une mère a non- seulement une tendresse de dévouement qui la porte à se sacrifier elle-même pour sauver sa fille d'un grand danger, mais encore un sentiment de ses droits, qui lui fait regarder comme un outrage, qu'on en dispose sans son aveu. Aussi, lorsqu'Amate s'adresse, aux mères d'Italie pour les engager à se joindre à elle, elle s'écrie:

« O vous! qui que vous soyez, mères » d'Italie, si vous êtes encore jalouses des » droits de la maternité, écoutez-moi, joi»gnez-vous à moi!»

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