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Tout ce qui suit est d'une fécondité d'imagination, d'une verve de style admirable. Le poëte suppose que les femmes du Latium célébroient dans ce moment la fête de Bacchus: Amate y conduit sa fille, et la mène dans les forêts pour se mêler à leurs chants bachiques, et la consacrer à leur dieu. Cette fiction, en associant sa fureur et son délire à l'ivresse sacrée des prêtresses de Bacchus, semble imprimer quelque chose d'auguste aux sentimens d'orgueil et de tendresse qui l'animent et qui l'égarent.

Les détracteurs de Virgile les plus obstinés, n'ont pu nier que le caractère de Turnus n'eût un grand éclat; plusieurs même le lui ont reproché, comme effaçant celui d'Énée. Aucun d'eux n'a rendu assez de justice à celui de Mézence; aucun d'eux ne paroît avoir senti combien ce prince barbare et irréligieux, qui

se vante de ne connoître d'autres Dieux que son bras et son épée, forme un contraste admirable avec le caractère pieux et bienfaisant d'Énée.

On n'a pas rendu plus de justice au carac tère de Latinus et à celui de Lavinie. Virgile a eu soin de prévenir les reproches que l'on fait au caractère de ce prince, en le représentant comme un roi affoibli par l'âge et le malheur; et le caractère religieux qu'il lui a donné, s'accorde parfaitement avec celui d'Énée. Quant à Lavinie, quelqu'effort qu'eût fait Virgile, pour donner à son caractère autant d'intérêt qu'à celui de Didon, il n'auroit pu y réussir. M. de Laharpe a oublié que l'hymen de cette princesse, brigué par Énée, n'est qu'un hymen politique et religieux, et Lavinie rentre alors dans la classe des princesses destinées à un mariage étranger; elle

est élevée dans le palais de la reine, et ne paroît qu'une ou deux fois en public, entre son père et sa mère, avec toute la modestie et la pudeur qui conviennent à son sexe, à son âge et à sa position: oculos dejecta decoros.

héros

que

Enfin, Homère ne nous a montré dans ses des hommes faits: Virgile a le mérite particulier d'avoir peint les guerriers dans un âge encore tendre,

Qui goûtent tout sanglans le plaisir et la gloire
Que donne aux jeunes cœurs la première victoire.
RACINE.

Tels sont Euryale, Nisus, et Pallas confié par son père Évandre au monarque Troyen, pour apprendre sous sa conduite le métier de la guerre; sur-tout le jeune Lausus, qui défend son père avec un si noble dévouement, et dont la piété filiale fait un si beau con

traste avec l'inhumanité et l'impiété de Mézence. L'intérêt que Virgile a su inspirer pour lui, est tel qu'il se réfléchit jusque sur le tyran odieux qui lui a donné le jour. On est tenté, en le pleurant, d'oublier le supplice barbare qu'avoit inventé ce monstre, et dont Virgile fait une peinture si énergique on se plaît à voir tomber des yeux de ce tyran féroce des larmes paternelles.

Ascagne lui-même, tout enfant qu'il est, mérite d'être remarqué par la manière naturelle et vraie dont Virgile l'a introduit sur la scène. Il le peint d'abord, dans le premier livre, comme un enfant tellement beau, que l'Amour, par l'ordre de Vénus, emprunte ses traits pour se présenter à la cour de Didon. Dans le quatrième livre, Virgile, en peignant Ascagne, qu'il associe à la foule des chasseurs, semble avoir voulu se conformer

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au portrait qu'Horace a tracé de l'enfance, quand il peint les différens âges:

Gaudet equis canibusque, et aprici gramine campi.

At p

t puer

HOR.

Ascanius mediis in vallibus acri Gaudet equo; jamque hos cursu, jam præterit illos, Spumantemque dari pecora inter inertia votis Optat aprum, aut fulvum descendere monte leonem.

« Ascagne aiguillonnant un coursier plein de cœur, » Court, vole, et, dédaignant des combats sans honneur, » Voudroit qu'un fier lion, un sanglier sauvage, » Vint d'un plus beau triomphe honorer son courage,»

On aime à voir, dans ce jeune chasseur, ces premiers symptômes d'ardeur et de courage, prémices de sa valeur future. Enfin, Virgile est admirable dans le récit qu'il fait de son premier fait d'armes. C'est au géant Numanus, fier de sa taille et de sa force, et qui, placé au premier rang, prodigue des

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