ページの画像
PDF
ePub

Ce sont grâces d'en haut rares et singulières,

Qui n'en descendent point pour des ames vulgaires;
Ou, pour mieux en parler, la justice des cieux
Garde ce privilége au digne sang des dieux.

14) PAGE 352, VERS 16.

Jupiter ipse duas æquato examine lances
Sustinet, etc.

Dans l'Iliade, Jupiter pèse de même les destinées d'Hector et d'Achille. Milton a fait usage de cette image sublime dans son Paradis perdu; mais, comme l'observe Addisson, il l'emploie pour prolonger sa fable, en séparant Gabriel et Satan, et non comme un embellissement poétique. On trouve cette belle allégorie dans l'Écriture, où il est dit d'un méchant prince, quelques heures avant sa mort, qu'il a été pesé dans la balance, et trouvé trop léger.

15) PAGE 354, VERS 18.

Interdum genua impediunt, cursumque recusant,
Insequitur, trepidique pedem pede fervidus urget, etc.

Le dernier de ces deux vers est admirable; Scaliger a beaucoup loué ce passage, et surtout la comparaison du cerf poursuivi par un chien. Voici les propres expressions de ce savant critique: Exacta, venusta, grandis, efficax, numerosa, florida locutio, cujuscumque theatri expectationem superat. Homère a employé la même comparaison en parlant d'Hector fuyant devant Achille; mais la belle image du chien ouvrant la gueule pour saisir sa proie qui lui échappe, morsu

[ocr errors]

que elusus inani est, n'appartient qu'à Virgile. Ovide et

Stace l'ont imitée :

Jamjamque tenere

Sperat, et extento stringit vestigia rostro.

( Metam., libr. I.)

Jamjamque teneri

Credit, et elusos audit concurrere morsus.

(Theb., libr. V.)

16) PAGE 362, VERS 15.

Ne vetus indigenas nomen mutare Latinos,
Neu Troas fieri jubeas, Teucrosque vocari.....

Ce discours de Junon est très adroit de la part du poëte; il établit la vraisemblance de l'origine des Romains. On pouvoit demander pourquoi le célèbre nom de Troie ne s'étoit pas conservé : la réponse à cette objection est dans la transaction que Junon propose à Jupiter. Virgile s'est bien gardé d'invoquer ici le témoignage de l'histoire, qu'on pouvoit démentir; il n'étoit pas convenable non plus que les Troyens victorieux consentissent à une condition qu'on n'impose ordinairement qu'aux peuples vaincus : tout se passe dans l'Olympe; les dieux paroissent seuls dans ce traité, et tout devient ainsi vraisemblable.

17) PAGE 368, VERS 2.

At, procul ut Diræ stridorem agnovit et alas,
Infelix crines scindit Juturna solutos, etc.

La Furie envoyée par Jupiter paroît ici sous la forme d'un oiseau de mauvais augure; elle est par conséquent moins

l'instrument que l'interprète de la volonté des dieux. Dans ce cas, l'apparition de cette Furie n'est point, comme on l'a prétendu, une intervention directe de la divinité : la mort des héros et des princes, chez les anciens, étoit toujours annoncée par quelques présages sinistres. Cette opinion, quoiqu'elle soit rejetée par les philosophes, peut cependant être adoptée par les poëtes; tout ce qui peut émouvoir les cœurs est raisonnable et vrai en poésie. Le moyen que Virgile emploie ici est très bon, en ce qu'il prépare l'esprit du lecteur à la mélancolie, et que ces images de deuil montrent de loin le tombeau de Turnus.

Le tableau de la douleur de Juturne est très pathétique. La Nymphe commence par déplorer le sort inévitable de son frère, puis elle déplore le sien. Rien n'est plus touchant que l'apostrophe par laquelle elle termine son discours: elle se plaint de son immortalité, et elle regrette de ne pouvoir descendre chez les morts avec Turnus, dont elle n'a pu reculer le trépas.

18) PAGE 372, VERS 21.

Ille, humilis supplexque, oculos dextramque precantem
Protendens: Equidem merui, nec deprecor, inquit:
Utere sorte tuâ.

Ceux qui blâment la mort de Turnus paroissent avoir formé leur opinion un peu légèrement. On sent combien ce personnage eût été embarrassant pour l'avenir. Le meilleur parti à prendre étoit de se défaire d'un rival aussi dangereux: l'intérêt des Troyens et des Latins, comme celui du poëme, commandoit à Énée cet acte de rigueur. Il est certain que

cette conduite est contraire aux idées reçues parmi les guer riers modernes; mais il est probable qu'elle étoit dans les mœurs des anciens, peu retenus par la sainteté des traités, et accoutumés à ne voir la paix que dans la mort de leur ennemi. Dans Homère, Achille dit à Hector: « Que ne peut la » rage qui me transporte m'égarer au point de porter moi» même à mes lèvres ta chair palpitante! » Non seulement le héros grec insulte à son ennemi vaincu, mais il traîne son corps autour du bûcher de Patrocle. Virgile a évité de présenter à ses lecteurs des tableaux aussi révoltans; la prière qu'il met dans la bouche de Turnus est touchante ; ce héros expirant intéresse, non point par lui-même, mais par son père, comme Mézence dans le dixième livre intéresse par son fils. Ce moyen de faire naître la pitié pour les rivaux d'Énée est une conception judicieuse et profonde. L'intérêt qu'on prend à leur défaite ne nuit point à celui qu'on doit prendre à leur vainqueur. Le dernier coup porté à Turnus est d'ailleurs heureusement motivé par le souvenir de Pallas: ce n'est point Énée qui immole ce héros, c'est le fils d'Évandre: Pallas te hoc vulnere, Pallas immolat.

On a dû voir, par tout ce que nous avons dit, que le nœud et le dénoûment de l'Eneïde naissent de la constitution de la fable et du sujet du poëme, comme le recommande Aristote. Les principaux obstacles à l'établissement d'Énée en Italie, qui forment le nœud de l'action épique, sont la colère de Junon qui poursuit les Troyens, l'amour de Didon qui veut retenir le héros à Carthage, l'opposition d'Amate et de Turnus à son mariage avec Lavinie: il est naturel que

Junon poursuive le fils de Vénus sa rivale; quant à l'opposition de Didon, elle n'est pas seulement naturelle, mais elle est historique. On voit, dit le père Le Bossu, dans la personne d'Énée et dans celle de Didon, l'esprit et la conduite des deux grands empires dont ils étoient les fondateurs. On y voit le plus grand obstacle que les Romains aient jamais eu; et ce grand nœud de la fable est une vérité de l'histoire. Enfin, l'amour de Turnus pour Lavinie, la préférence d'Amate pour ce héros italien, naissent également du sujet du poëme; et la solution de tous ces obstacles suit nécessairement de la marche de l'action.

guerre,

Didon ne peut retenir Énée, et elle s'immole dans son désespoir; Junon n'a pu fléchir les destins, et elle se laisse apaiser par Jupiter; Amate avoit juré qu'Énée ne seroit point son gendre, et quand son parti est désespéré elle se donne la mort. Turnus, en recherchant la main de Lavinie contre la volonté des dieux et celle de Latinus, devenoit la seule cause de la et il devoit tomber sous les coups d'Énée, plus vaillant que lui et surtout plus favorisé des dieux. Non seulement le dénoûment de l'Eneide se trouve ainsi tiré du sujet du poëme; mais, comme nous avons eu occasion de le remarquer, il naît du caractère même du héros. C'est parce qu'Énée est soumis à la volonté des dieux qu'il quitte Carthage, et qu'il vient à bout de fléchir Junon elle-même ; c'est parce qu'il est généreux qu'il épargne aux deux peuples les horreurs de la guerre, et qu'il propose un combat singulier dans lequel son rival lui seul doit être immolé.

Ce dénoûment est d'autant plus admirable, qu'il montre

[ocr errors]
« 前へ次へ »