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votre bonheur, et, si je trouve jamais une manière de vous servir de disposer de moi comme d'un bien à vous. Adieu! Adieu! »

Nous allons maintenant franchir un espace de quelques années, et nous transporter à Paris au moment où la paix d'Amiens était venue interrompre, pour trop peu de temps, hélas ! les horreurs de la guerre, et reposer les esprits fatigués de tant de secousses. Toute la haute société anglaise semblait s'être donné rendez-vous dans la capitale de la France; on voulait y étudier sur place, pour ainsi dire, l'influence de l'esprit révolutionnaire, et les mœurs d'un monde nouveau; on voulait surtout voir de près, admirer à l'aise ce grand capitaine qui, en si peu de temps, avait rempli de sa gloire l'Europe entière. M. Otto suffisait à peine à distribuer les passe-port, la route de Calais à Paris était couverte de diligences et de chaises de poste remplies de voyageurs, les hôtels et les auberges regorgeaient. Que d'aventures inouïes, que de catastrophes ridicules parmi tout ce monde! Les chevaux s'abattent, les postillons se grisent, les Vatels de la Picardie rançonnent nos bons amis. Puis, n'oublions pas la douane et la visite des bagages. Ecoutons, sur ce chapitre-là, Me d'Arblay: « J'avais tout-à-fait négligé de demander à quelle heure on devait faire l'inspection de nos malles, et je commençais à m'alarmer, supposant que je n'étais pas en règle, lorsqu'un jeune :1 homme, commissionnaire de l'hôtel, vint me demander si j'avais des objets de contrebande. Non. Mais, madame, avez-vous quelque chose de neuf? Oui, monsieur. Quelques jupons? Oui, monsieur, beaucoup. Quelques bas de coton? Plusieurs, monsieur. Eh bien! madame, tout cela sera saisi. Mais, monsieur, quand ce n'est pas du tout pour vendre, mais seulement pour porter? C'est égal, madame, tout ça sera saisi. Eh! mais, que faut-il donc faire? Il faut, madame, payer généreuşement, et si vous êtes bien sûre qu'il n'y a rien à vendre, alors peut-être... » Bref, il en coûta une guinée et demie à Mme d'Arblay, plus deux guinées et demie pour excédant de bagages.

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Enfin, on arrive à Paris, et je ferai remarquer en passant à mes lecteurs, que quoique le titre de ce petit travail soit Madame de Staël en Angleterre, je ne crois pas les dérouter en les invitant à me suivre dans le voisinage du fameux ruisseau de la rue Saint-Honoré. Ici comme à Norbury, comme à Londres, c'est en effet 'Angleterre que je me propose d'étudier, c'est l'impression produite sur les Anglais par Mme de Staël que je voudrais retracer. La

calomnie n'avait pas manqué l'occasion de s'exercer activement sur le compte de l'ambassadrice de Suède. Pourquoi vivait-elle loin de son mari? Quelle était la nature de ses relations avec M. de Talleyrand, avec M. de Narbonne? Sa conduite était-elle irréprochable? etc., etc. Mme d'Arblay avait évidemment eu le très-grand tort de se prêter à tous ces commérages, et d'après ce qu'elle nous raconte dans son journal, on voit qu'elle craignait de se compromettre auprès d'un certain monde en fréquentant la société d'une femme dont on parlait partout. Sa résolution bien arrêtée en venant en France, était de faire tout ce qui lui serait possible pour éviter M de Staël. Que l'on juge donc de son embarras, de son impatience, lorsqu'un beau matin elle reçut le billet suivant :

Je voudrois vous témoigner mon empressement, madame, et je crains d'être indiscrète. J'espère que vous aurez la bonté de me faire dire quand vous serez assez remise des fatigues de votre voyage, pour que je puisse avoir l'honneur de vous voir sans vous importuner.

Ce 4 floréal.

NECKER DE STAEL. »

Après un peu d'hésitation, Mme d'Arblay fit écrire, nous dit-elle, par son maître de français cette réponse, qui nous semble le comble de l'impertinence :

Malame d'Arblay ne peut être qu'infiniment flattée de l'extrême bonté de madame la comtesse de Staël. Elle aura trèscertainement l'honneur de se présenter chez madame de Staël, aussitôt que possible. ».

La visite, cependant, n'eut jamais lieu; c'est du moins ce que l'on est fondé à croire en voyant qu'il n'est plus question de Me de Stael durant le séjour de Mme d'Arblay à Paris.

Les mémoires et la correspondance de Miss Berry sont aussi fort utiles à consulter sur cette intéressante époque. Amie d'Horace Walpole et du docteur Johnson, intimement mêlée au mouvement littéraire de la Grande-Bretagne vers la fin du siècle dernier, miss Berry, que nous avons vu mourir il y a peu de temps dans un åge fort avancé, était une personne hors ligne par le talent et l'esprit. Elle ne visait pas, comme Mme d'Arblay) au blue-stockingism, mais elle s'intéressait vivement aux questions d'art et de gout, et tous les écrivains de mérite appréciaient la delicatesse de son jugement. Miss Berry fit comme tant de ses compatriotes, le pélerinage de France à l'époque du traité d'Amiens, et elle nous

raconte aussi sa présentation à Mme de Staël. J'extrais deux ou trois passages de ses mémoires (1):

« Diné chez Mme de Staël avec vingt autres personnes. Jy rencontrai le général Marmont et Mme Marmont, Mme Récamier, M. et Mme Necker de Saussure, lord Archibald Hamilton, le comte Marcoff, ministre de Russie, Benjamin Constant, M. de Chauvelin, lord Henri Petty, le marquis Lucchesini, le comte Louis de Narbonne, le général Dessolles, M. de Girardin (maintenant président du Tribunat et fils du propriétaire d'Ermenonville) et deux ou trois autres messieurs dont je ne sais pas les noms. Par bonheur je me trouvai placée auprès du comte Louis de Narbonne, dont la conversation est extrêmement sensée et agréable. De l'autre côté se trouvait le général Dessolles; il était chef d'état-major de Moreau, et c'est lui qui a écrit ce fameux récit de la bataille de Hohenlinden, que l'on regarde à Paris comme le modèle des dépêches militaires. Il a une physionomie fort douce et des manières exquises. Le peu de conversation que j'eus avec lui roula sur les beaux climats pour lesquels je partage sa prédilection. Par hasard, nous vinmes à parler de la Suisse; il regrette beaucoup les événements qui se sont passés dans ce pays, et qui ont, dit-il, fait un grand tort aux Français. » « Samedi 3 avril 1802. Pendant la soirée, nous allâmes à la réception de Mme Fouché... Nous y vimes Barbé Marbois, un des déportés de Cayenne. Il ne voulut pas se sauver comme les autres, mais resta dans l'exil, conformément aux ordres de son gouvernement, jusqu'à ce que Bonaparte ordonnât son rappel. Il est maintenant ministre du Trésor public... Mme de Staël qu'on est toujours sûr de voir s'entretenir ou essayer de s'entretenir avec l'homme le plus distingué qui se trouve dans le salon, l'amena près de nous. >>

« Dans la soirée (5 avril), nous nous rendons à une espèce de concert donné par Mme de Staël. Au moment ou nous arrivions, quelqu'un touchait du piano, et le domestique nous pria d'attendre dans l'antichambre jusqu'à ce que le morceau fût fini. Nous consentimes volontiers. Bientôt après survint le prince d'Orange.

(1) Extracts of the Journal and Correspondence of Miss Berry, vol. 2. Nous sommes étonnés que Lady Thérésa Lewis, qui s'est chargée d'éditer cet amusant ouvrage, ait estropié ou laissé estropier par son imprimeur tant de noms propres. Ainsi dans le premier extrait ci-dessus on trouve Neckar, de Saussure (somme s'il s'agissait de deux personnes différentes), le marquis Laccresini, M. Girandin, président dn Tribunal, fils du propriétaira d'Hormononville.

Même injonction de la part du laquais. Nous nous récrions alors sur l'inconvenance de faire faire antichambre au prince d'Orange, mais le cerbère est inflexible et déclare que ses ordres n'admettent aucune exception. Les retardataires se résignent donc, et à la fin du morceau, nous entrons tous ensemble. Garat se fit entendre; on le regarde comme le meilleur chanteur de Paris... La réunion comprenait beaucoup plus de personnes de l'ancienne que de la nouvelle société ...»

Et ainsi le temps se passait dans les deux camps. Chacun se hitait de jouir de ce court intervalle de répit, et on se livrait avec d'autant plus d'entrain aux charmes d'une réconciliation, que l'on sentait de part et d'autre qu'une nouvelle rupture ne pouvait manquer d'éclater bientôt.

(La fin au prochain numéro.)

GUSTAVE MASSON.

ORIGINE, ÉTYMOLOGIE ET SIGNIFICATION

DES NOMS PROPRES ET DES ARMOIRIES

Par M. le Baron de COSTON (').

Les études étymologiques sur les noms propres ont fait peu de progrès jusqu'ici. Cela a tenu à plusieurs causes. D'abord ceux qui s'en sont occupés sérieusement ont eu tort, selon nous, de les traiter à un point de vue, plutôt philosophique que méthodique, ce qui a nui à leur succès. D'un autre côté, l'abus qu'on a fait des étymologies et le ridicule qui s'y est souvent mêlé, ont discrédité ces études dans l'esprit de beaucoup de monde.

Malgré cela, M. de Coston n'a pas hésité à entreprendre un long travail sur cette matière. Son livre, fruit de nombreuses recherches et d'études consciencieuses est fait avec esprit, et n'encourt pas les reproches que nous venons de faire à ses devanciers. Il traite de l'origine des noms, de leur signification si variée, de leurs rapports avec les armoiries, des changements qu'ils ont subis à diverses

(1) Paris, Aubry, 1866. Uu vol. grand in-8 de 464 pages. Prix : 9 fr.- Pap. fort: 10 fr. Pap. couleur: 12 fr...

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époques, du rôle qu'ils ont joué dans l'histoire; il nous cite des exemples de l'influence qu'ils ont eue parfois sur la destinée des individus. Ainsi Blanche de Castille ne serait jamais montée sur le trône de France si sa sœur ne s'était appelée Urraca, nom assez mal sonnant et qui a, en outre, l'inconvénient de signifier en espagnol La Pie. Cette princesse, supérieure à Blanche par sa beauté, serait devenue la compagne de Louis VIII, sans la diplomatie d'alors qui aurait jugé qu'avec un tel nom le mariage était impossible, car c'eût été exposer la jeune souveraine, en entrant à Paris, à des sourires moqueurs et à une foule de quolibets..

On trouvera peut-être que les anecdotes et les bons mots conviennent peu à un livre de ce genre, mais cela a son bon côté. Il faut distraire le lecteur, le dérider un peu, surtout quand son esprit s'est absorbé dans les profondeurs d'une étymologie sanscrite ou celtique. Avouons-le, nous nous sentons généralement peu de goût pour ces solutions tirées de nos langues primitives, langues que peu de personnes connaissent d'une manière complète, et où chacun puise si largement. Notre attention se porte plus volontiers sur des noms moins anciens, et qui sont encore en usage parmi nous; ils nous intéressent davantage parcequ'ils nous touchent de plus près. Ces noms viennent en général des langues latine et germanique, de notre vieux français et par conséquent de nos patois. C'est à ces sources qu'il faut chercher, comme l'a fait M. de Coston, l'étymologie de la plupart des noms que nous portons.

Toutefois, nous observerons qu'au lieu de prendre ces noms un peu partout, sur les divers points de la France, l'auteur eût mieux fait, selon nous de s'attacher à l'étude de ceux des provinces qu'il connaissait le mieux, et de les comparer entre eux. Il serait arrivé ainsi à découvrir l'origine de leurs races et à indiquer les éléments ethnographiques de leur formation. En n'étendant pas indéfiniment ses recherches, en les localisant au contraire, M. de Coston aurait dû soigner davantage le côté historique de la question. Sa tâche n'en eût été que plus facile, car en n'ayant pas à étudier tous les patois et idiomes de la France, il aurait pu appliquer ses connaissances qu'à certaines provinces, et son livre aurait gagné, en resserrant son sujet, la valeur historique qu'il amoindrit en voulant trop l'étendre. Pour n'en donner qu'un exemple, je citerai l'étymologie qui me touche de fort près, puisqu'elle est relative à mon nom, que l'auteur fait venir du tudesque Manniger, Manniher, signifiant homme, guerrier courageux, et qui en réalité est un mot du patois artésien, voulant dire Meunier.

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