ページの画像
PDF
ePub

de cette humble destination, que M. Forgeais a réuni ces petits monuments de la vie intime de nos pères, sous le titre de Numismatique populaire.

L'usage de ces monnaies fiduciaires montre combien les idées du moyen âge différaient de celles de nos jours. Notre civilisation moderne emploie simplement le papier où nos ancêtres employaient le métal, et l'on en est venu jusqu'à ce point de remplacer une partie de la monnaie d'or et d'argent par des billets, tandis que nos pères, au contraire, donnaient une apparence monétaire à de simples bons, à de purs certificats de comptabilité. Fondre en plomb des méreaux pour chaque destination spéciale, était d'ailleurs un procédé naturel d'empreindre, de contre-marquer ces bons, à une époque où l'imprimerie n'était pas encore connue.

Nous avons déjà, à l'occasion des premiers volumes de la collection de M. Forgeais, fait remarquer dans le Bulletin du Bouquiniste tout ce que ces publications fournissaient de révélations sur les mœurs de nos aïeux et sur leurs usages les plus oubliés. Le nouveau tome dont nous rendons compte aujourd'hui, mettra à même d'apprécier encore plus la science ingénieuse de M. Forgeais, à qui l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a successivement décerné toute la série ascendante de ses récompenses, depuis la simple mention honorable jusqu'à la médaille d'or du concours des antiquités de la France. Notre patient chercheur apprécie le moyen åge avec une rectitude de sentiment, dont nous le louerons fort, car il nous semble dire bien vrai quand il écrit, à propos de certains scandales si bètement exploités de nos jours: « N'évoquons pas gratuitement la chronique scandaleuse qui s'établit parfois sur la malice ou la rancune des conteurs, beaucoup plus que sur la réalité des faits.» N'a-t-il pas encore grandement raison, lorsqu'en parlant des emblèmes propres à nos vieilles provinces, il dit : « Je doute qu'un symbole (supposé qu'il en existe jamais qui soit fort intelligible) de département, parvienne à lier fortement les gens de la Somme, du Doubs, du Nord, etc. Mais jadis on était, et l'on demeure encore, picard, normand, tourangeau, champenois, etc. Nous avons changé tout cela, c'est-à-dire nous avons cru le changer. »

Beaucoup de pièces résistent à toute interprétation, et cela se comprend, puisqu'à l'époque où elles furent fabriquées, plusieurs avaient été faites pour servir de passe, de signe de ralliement à des réunions parfois secrètes. M. Forgeais a attribué avec raison un bon nombre

de ces plombs à des corporations de métiers. En voici qu'il rapproche du type monétaire de Déols, petite ville du Berry, célèbre par ses foires et son abbaye (on a imprimé par erreur Bourges, au lieu de Deols). Ce type de Déols consiste en une étoile formée de deux triangles:

Or cette combinaison de deux triangles a une certaine célébrité ; malgré ses six pointes, elle ne diffère guère de l'étoile à cinq angles connue sous le nom de Pentalpha, qui remonte, dit-on, à Pythagore, et les architectes du moyen-åge lui ont donné une signification mystérieuse. J'ai remarqué cette figure sur des clefs de voûtes gothiques du xve siècle, où elle est certainement la marque, la signature du maitre-maçon. Il n'en fallait pas davantage pour qu'à l'époque où les confréries qui avaient bâti les grandes cathédrales du moyen âge, commencèrent à perdre leur esprit religieux et discontinuèrent leurs travaux d'architecture, pour se transformer en sociétés secrètes et s'affilier à des sectes plus ou moins occultes, le pentalpha devint un signe de franc-maçonnerie. Je supposerais donc qu'au lieu d'être un méreau relatif aux foires de Déols, ces plombs pourraient avoir été émis par un chantier, par une loge de maçons, ou être le signe de ralliement de quelque secte à doctrines suspectes, de chercheurs de pierre philosophale, de curieux d'astrologie, de magie ou de cabale. Malgré l'obscurité et l'incohérence des écrits des philosophes hermétiques, qui tenaient à n'être point compris du vulgaire, le sens du pentalpha n'a pas été hermétiquement tenu ́secret. J'étais surpris que M. Forgeais n'eût rien dit de cette figure cabalistique, mais à la page 238 de son livre, en nous donnant ce plomb décoré d'un pentagone:

notre savant auteur répare cette omission, à propos de cette espèce

d'étoile connue aussi sous le nom de pas de druide ou de pied de sorcière,et sur laquelle M. Duchallais avait réuni, parait-il, maintes observations curieuses. Nous signalerons à ce propos, ce qu'un prélat hongrois, Mgr Mislin, a dit du pentagramme ou pentalpha, en parlant de la franc-maçonnerie, dans le tome Ier de son livre sur Jérusalem, intitulé Les Saints Lieux..

Il me semble encore bon de rapprocher du pentalpha, les points symétriquement disposés autour de la croix sur le revers de beaucoup de ces jetons; ces points .. ont peut-être quelqu'analogie avec les points dont les francs-maçons de nos jours bariollent leur écriture.

M. Forgeais termine son volume en donnant la gravure de quatre moules ou fourmes, qui servaient à fabriquer ces plombs. L'un d'eux donnait l'empreinte de ce double triangle qui vient de nous occuper.

[graphic]

Au reste, ce n'est pas seulement dans la Seine que l'on a trouvé de ces moules à fabriquer des méreaux de plomb. J'en ai vu un récemment au musée de Blois, gravé sur une plaque d'ardoise, matière

ordinaire de ces moules, dont les analogues avaient occupé les curieux au siècle dernier. Je viens de grossir encore ma bibliothèque, déjà suffisamment encombrante cependant, des cent et quelques volumes du Journal de Verdun, et en parcourant cette collection, j'y ai trouvé dans le premier volume de 1754, page 446, une Dissertation sur des moules à couler monnoye nouvellement découverts à Tours. Il y avait trois de ces moules que le journal de Verdun fit même graver grossièrement sur bois; l'un en pierre blanche comme la pierre de liais, présentait neuf cercles disposés en forme d'arbre généalogique, sur deux colonnes, avec des canaux ou jets pour conduire le plomb fondu à chaque cercle. Le type était une croix avec la légende en lettres gothiques, SANCS GACIANUS. On sait que saint Gatien est le patron de la cathédrale de Tours. Les deux autres creux, qui étaient les deux moitiés du même moule, l'une pour le type, l'autre pour le revers, étaient de pierre d'ardoise. Ces trois objets avaient été trouvés en faisant une fouille dans une maison canoniale. La dissertation est signé de Le Moine, paléographe connu, archiviste de Saint-Martin de Tours. L'abbé Lebeuf fit observer que ces moules avaient servi à couler, non des monnaies, mais des méreaux de plomb, et il cita les Plombs qu'à Auxerre on distribuait dans le choeur aux chanoines présents. Le Moine répondit à l'abbé Lebeuf, dans le Journal de Verdun de février 1755, et on trouve dans sa lettre des détails sur les méreaux encore en usage de son temps, dans l'abbaye de Saint-Martin de Tours. Je signalerai en terminant une Lettre de M. Tremet, cloitrier de l'église de Troyes, sur l'usage des méreaux, imprimée dans le Journal de Verdun de septembre 1755. On y lit la description d'un moule à méreaux en pierre d'ardoise, conservé alors dans le trésor du chapitre, et on y voit qu'une distribution de pièces de cette espèce était faite à douze pauvres femmes appelées mandés, choisies par le chapitre pour une cérémonie de l'office du carême. Ces méreaux étaient une preuve d'assistance à cette cérémonie, et pour avoir la rétribution, les mandés les remettaient ensuite au compteur. Ces articles, perdus dans la collection du Journal de Verdun, sont intéressants.

Je ne vois qu'un reproche à faire au beau volume de M. Forgeais, c'est de n'être point terminé par une table donnant tous les noms de lieux, d'hommes et de corporations dont il est question dans l'ouvrage.

R. BORDEAUX.

MA TANTE PERONNE

Recueil de contes par CHAMPFLEURY. 1 vol. in-12. Paris, Faure. 3 » १

Choisir un caractère en pleine réalité du milieu dans lequel nous vivons, l'encadrer avec art dans une action simple, vraisemblable, conçue de façon à nous le présenter sous toutes ses faces et à en refléter, comme un miroir, les détails originaux les plus intimes et les plus significatifs; tel est le procédé que M. Champfleury a adopté dans la composition de son dernier recueil de nouvelles.

C'est là, si je ne me trompe, le procédé pittoresque des peintres de la vie flamande, et des petits maîtres hollandais si fins et si exquis, les Tenier, les Ostade, les Terburg et les Pieter de Hooge.

Ce procédé triomphant réussit à merveille à l'auteur des Bourgeois de Molinchard, et chacun de ses tableaux est un petit chef-d'œuvre d'observation railleuse et de description abondante et délicate, détaillée avec cet art incomparable des sculptures sur ivoire du XVe siècle.

Tantôt, suivant l'humeur du moment, ce Champfleury, si capricieux en son humour, peint une individualité vue et étudiée avec cette passion fiévreuse qu'on apporte à la solution d'un problème, tantôt il revêt des apparences saisissantes de la réalité une création vraisemblable et vivante entrevue dans son imagination, comme il l'a fait dans le très-vif et très-spirituel conte de la Cinquantaine, où l'étude purement psychologique des caractères acquiert, par la logique du fait inventé, le relief et le coloris du vrai. D'autres fois enfin, ainsi que dans l'épisode héroïque du Porte-drapeau, poétique comme une épopée militaire de Vigny, ou dans le Drame judiciaire, net, impitoyable et disséqué comme un récit de Mérimée, il se plaît à envelopper d'une forme épique un trait émouvant de la vie réelle.

Je n'ai jamais trouvé dans l'œuvre de Champfleury plus de souplesse, un style aussi ferme, une puissance d'expression plus simple et plus savante que dans ces deux derniers contes et dans l'étude philosophique intitulée le Baron de la Brunière.

Ce volume, curieux et intéressant, sort avec une grande énergie de volonté des miévreries à la mode, et mérite de prendre une place dans la bibliothèque humoristique des délicats.

ALBERT DE LA FIZELIÈRE.

[ocr errors]
« 前へ次へ »