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CHAPITRE IX

SITUATION DE LA CLASSE INDUSTRIELLE A LA FIN DU XVII SIÈCLE

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L'apprenti (382).

Le compa

Le compagnonnage et la coalition Les patrons de la grande inLes lettres de maîtrise royales (405). Les artisans suivant Les que

La hiérarchie des maîtres dans la corporation (107). la cour (409). Les demi-castors et la fabrication des boutons (410). relles des métiers (412). Les confréries (414). - Le mai des orfèvres de Paris (415). L'endettement des corporations (417). - L'œuvre du xvn° siècle (418).

Maintien de la corporation. Le xvII° siècle a créé en France la grande industrie en créant les manufactures: c'était une victoire de l'esprit moderne qui modifiait dans certaines branches la condition. du travail.

La condition des personnes s'en ressentit. Mais, de ce côté, la révolution fut loin d'être générale, parce que les réformateurs tels que Colbert songaient plus à régulariser qu'à détruire les institutions du passé. Non seulement ils respectèrent les formes vieillies de la corporation; mais ils en augmentèrent beaucoup le nombre; ils communiquèrent aux règlements l'autorité du pouvoir absolu et les firent exécuter plus rigoureusement qu'ils ne l'avaient jamais été. Le cadre de l'organisation industrielle se rétrécit au moment où il aurait dû s'élargir.

L'autorité du roi n'empêchait pas qu'en vertu d'anciens droits, les municipalités de certaines villes eussent conservé la juridiction des métiers et l'investiture des maîtres, et que dans certains domaines les gens de métier fussent censitaires du seigneur et que quelques-uns tinssent même des métiers en fief comme nous l'avons vu pratiquer au x1° siècle 2.

1. Inv. des archives dép. de Seine-et-Oise. Affaires civiles. Série E, art. 5864, 633. Introduction sur les communautés d'habitants de Chevreuse, par M. COUARD.

A Chevreuse, en 1668, on trouve 28 marchands, 22 tanneurs, 9 manouvriers, 6 tailleurs, 5 bouchers, 3 boulangers, 4 cordonniers qui sont tous censiers du duc de Chevreuse.

2. Voici un exemple curieux qui se rapporte probablement à un fief de ce genre. Il se trouve dans les Archives dép. d'Eure-et-Loir, H. 2636 « Monseigneur illustrissime

Le régime corporatif, ainsi que nous l'avons plusieurs fois fait remarquer, ne s'appliquait pas partout, quoique les édits de 1597 et de 1673 l'eussent beaucoup généralisé; les campagnes, sauf exception, n'y étaient pas assujetties.

Dans le Gévaudan, par exemple, il n'avait pas pénétré. « Il n'y a, dit l'intendant à la fin du xvI° siècle, ni maîtres ni maîtrises ni apprentis. Les pauvres paysans sont les seuls qui s'occupent du tissage dans leurs chaumines, au temps que la rigueur les empêche de pouvoir travailler la terre ou, dans les autres saisons, lorsqu'ils ont quelque petite relâche. » Chaque paysan avait son métier, tous travaillaient, les enfants dès l'âge de quatre ans, ces gens gagnaient peu: 2 sous par jour une fileuse, 8 sous un tisserand. Ils livraient au marché des cadis grossiers à 10 sous l'aune 1. On leur avait un moment imposé la marque; on y renonça (1682) et on eut raison.

En Poitou, le régime corporatif était une exception rare dans les campagnes et n'était pas une règle générale dans les villes.

« Il faut arriver, dit M. Boissonnade, jusqu'aux réformes de Colbert pour étendre sous l'impulsion de la royauté le régime corporatif à 157 bourgs ou villages du Poitou. Encore les communautés groupées en corporations aux xvii et xvine siècles, par l'ordre du pouvoir central, sont-elles exclusivement celles des tisserands en laine ou en toile et des drapiers drapans. En réalité jusqu'à la fin de l'ancien régime, les campagnes du Poitou n'ont guère connu que des métiers libres. »

« On en peut dire autant de la majorité des 27 villes qui, d'après les statistiques officielles, existaient au début du dernier siècle dans le Poitou. En dehors de Poitiers, de Châtellerault, de Civray et de Charroux, de Lusignan et de Chauvigny, de Niort et de Saint-Maixent, de Parthenay et de Thouars, des Sables d'Olonne, de Fontenay et de Luçon, et de quelques autres centres urbains de moindre importance, la corporation jurée était inconnue. Dans les villes elles-mêmes les plus peuplées les professions libres l'emportaient en général par le

nombre 2. »

et reverendissime evesque baron de Luçon, doyen de Saint-Denys et Nogent-le-Rotrou. Supplie et vous remontre très humblement Jean Girard, fils héritier des défunts Gervaise Girard et de Catherine Goujon, ses père et mère, disant que de temps immemorial les seigneurs prieurs doyens du dit Saint-Denys avaient mis et institué des maîtres postiers de terre en leur justice et seigneurie de Saint-Denys... » Son père avait été gratifié de cette qualité; il demande à l'être aux mêmes conditions, et autres, à la charge « d'entretenir la maison du prieuré de Saint-Denys de toutes sortes de terre grands et petits » Le contrat est conclu devant le chapitre en faveur de Girard et de sa femme à qui on « octroye l'état de potier de terre en la dite terre et seigneurie de Saint-Denys pour jouir paisiblement des honneurs, profits et revenus. » Le concessionnaire, en extrayant la terre, doit faire le moins de dégâts possible.

1. Voir M. MONIN, Essai sur l'histoire admin. du Languedoc, p. 308.

2. Essai sur l'organisation du travail en Poitou, par M. BOISSONNADE, t. II, p. 5.

S'il y avait peu de provinces auxquelles pût s'appliquer l'exemple du Gévaudan, il y en avait beaucoup qui étaient, sous ce rapport, dans le même état que le Poitou.

Trois sortes de personnes composaient, comme au moyen âge, la classe industrielle : l'apprenti, le compagnon et le maître.

2

L'apprenti. Les conditions de l'apprentissage étaient, comme autrefois, déterminées par les statuts qui en fixaient la durée à deux ou quatre ans au moins ; il y avait des corporations, mais très peu, qui exigeaient huit ans 1; c'était un peu moins qu'au xIII° siècle, mais c'était encore trop. Dans beaucoup de corporations, en province comme à Paris, un maître ne pouvait pas avoir plus d'un apprenti à la fois; parfois des décisions spéciales en restreignaient temporairement le nombre en deçà des limites statutaires, quand on craignait l'encombrement. Cependant on avait introduit à Paris une exception en faveur des enfants trouvés de l'hôpital de la Trinité, et presque partout on échappait à la règle en prenant des fils de maîtres ou même des étrangers sous le nom d'alloués. Les apprentis ne devaient ni être mariés ni avoir passé un certain âge 5.

Le maître devait loger ses apprentis, les nourrir, leur apprendre leur état; s'il s'absentait ou restait trop longtemps sans travail, ceux-ci avaient le droit de le quitter et de chercher un autre patron".

De leur côté, les apprentis devaient consacrer à leur maître tout leur temps. Ils le servaient à l'atelier, ils faisaient ses commissions. Dans plusieurs métiers cet emploi dégénérait même en abus que la police essaya de réprimer; les apprentis, passant une partie de la journée hors de la maison, s'habituaient au vagabondage au lieu d'apprendre leur profession. Si quelque apprenti parlait de chez son maître

1. Les orfèvres, par exemple.

2. Voir les Anciennes corporations ouvrières à Bourges, par BOYER, passim. 3. Exemples: Un arrêt du 29 novembre 1619 autorisa les doreurs sur cuir de Paris à rester dix ans sans faire d'apprentis; une sentence du prévôt de Paris, du 30 juin 1631, autorisa les orfèvres de Paris à ne recevoir que des fils de maîtres jusqu'à ce que leur nombre fût ramené à 300; en 1659, les brossiers s'engagèrent par leurs statuts à ne faire d'apprenti que de dix ans en dix ans ; par arrêt du 16 septembre 1670, les tapissiers de Paris obtinrent que l'apprentissage fût supprimé pendant dix ans; en 1761, les fourbisseurs furent autorisés à ne faire d'apprentis que tous les dix ans, « les maîtres de la communauté ne pouvant gagner leur vie par la missère du tems ».

4. Voir la pièce justificative E, no 1.

5. Chez les orfèvres, l'apprenti devait avoir de dix à seize ans.

6. Après un mois chez les drapiers. - Règlement d'août 1669. Rec. des règlements, t. I, p. 295.

7. « Défense de rechef à tous maistres paticiers, oublayers, d'envoyer à l'avenir vendre et debiter par leurs apprentis, compagnons, domestiques ou autres dans les rues, marchez, carrefours et places publiques, ny dans les cabarets, hotelleries

avant d'avoir achevé son temps, les parents devaient le ramener de force ou payer des dommages-intérêts. Dans plusieurs corporations, l'enfant prêtait serment de bien servir son maître ; dans toutes, il Un avait à payer un droit aux jurés, quelquefois même à la commune. contrat écrit et passé devant notaire garantissait d'ordinaire les droits et les devoirs des deux parties 2, mais cette règle, comme d'autres, était souvent inexécutée.

Le compagnon. L'ouvrier restait, comme il l'avait été dans les temps passés, soumis aux statuts des corporations que les maîtres seuls avaient été appelés à rédiger et dont les principales prescriptions avaient toujours pour objet de consacrer leur autorité et leurs privilèges. Il en était ainsi à Paris ; il en était ainsi dans les villes de province qui avaient des jurandes. Il existe un recueil des ordonnances relatives aux métiers à Bourges de 1561 à 1633, antérieur par conséquent aux règlements de Colbert. Dans presque toutes les ordonnances il est dit que les compagnons « seront tenus porter honneur à leurs maistres et travailler fidellement sans laisser leurs besognes imparfaites, soit qu'ils travaillent à la journée ou au mois » ; sous peine d'amende ou de prison, il est défendu aux maîtres de prendre un ouvrier sortant de chez un autre maître sans s'être assuré préalablement de la raison pour laquelle il en était sorti et sans avoir la certitude qu'il avait achevé sa besogne; il est défendu aux compagnons de travailler ailleurs que chez les maîtres, et il est dit que si des compagnons sont surpris travaillant autrement, leur travail sera saisi et qu'ils seront punis de prison et d'amende ; il est défendu aux ouvriers

et autres endroits leurs marchandises de patisserie, attendu les inconvénients qui arrivent journellement, tant par la corruption que par l'abandon desdits apprentis ; lesquels par le colportage continuel desdites marchandises esdits lieux, et lesquelles sont le plus souvent corrompues et indignes d'entrer dans le corps humain, que par l'abandon, lesquels par le colportage continuel desdites marchandises esdites places et lieux, consomment inutilement le temps de leur apprentissage sans rien apprendre de leur metier: et ce qui est d'une plus dangereuse conséquence pour eux, s'adonnent au jeu, à la faineantise, à la debauche, et finalement à toutes sortes de desordres par la frequentation continuelle qu'ils ont, en colportant lesdites marchandises, avec les faineans, coupeurs de bourses, et autres gens de leur cabale, dont lesdits lieux publics sont ordinairement remplis ; auxquels inconvénients les pauvres pprentifs, la plupart sans aucuns parens qui puissent veiller à leur conduite, sont sujets par le fait de leurs maistres qui contreviennent impunement aux défenses portées par plusieurs arrets et reglemens.>> · DE LA MARE, Traité de la police, t. III, p. 476. Sent. du 4 mars 1678.

Les statuts des pâtissiers de Paris de 1566 (art. 10) défendaient en effet d'envoyer les apprentis vendre par la ville « a perdition des dits apprentis qui ne peuvent apprendre leur métier et, au lieu de ce, apprennent toute pauvreté ».

1. Chez les drapiers de Carcassonne, par exemple. Rec. des règlements, t. III, p. 227.

2. Voir la pièce justificative E, no 1.

de faire « aucune assemblée ni monopoles entre eux au préjudice du métier»; des précautions sont prises pour que les compagnons soient embauchés exclusivement par le valet de la communauté et non par les compagnons eux-mêmes, comme cela se pratiquait dans le compagnonnage 1; la défiance et même l'hostilité des patrons contre ce genre de société se manifeste clairement dans les statuts de Bourges, et il n'est pas douteux qu'il en fut de même dans les autres villes jurées 2.

L'absence de toute loi livre à un fâcheux arbitraire les rapports entre ouvriers et patrons. Du jour au lendemain, un ouvrier congédié peut se trouver sans travail et sans pain; un maître abandonné de ses ouvriers peut être dans l'impossibilité de remplir ses engagements. Les statuts avaient prévenu ce désordre en fixant de part et d'autre un délai; c'était ordinairement huit jours, quelquefois moins *.

Quelques corporations, par exemple les teinturiers de fil et les bonnetiers de Paris, exigeaient que le maître donnât congé par écrit un mois à l'avance 5. C'était trop ; l'ouvrier ne travaille plus avec la même conscience dans une maison qu'il doit quitter, et une telle loi était préjudiciable au patron.

Une règle conforme à l'esprit général du corps de métier interdisait à tout ouvrier d'entreprendre aucun ouvrage pour le compte d'un bourgeois, et même, dans plusieurs métiers, de travailler aux pièces ; on édictait des peines sévères contre les compagnons qui, au lieu d'aller en journée chez les maîtres, exerçaient la profession pour leur compte particulier en chambre. Il était interdit aux maîtres d'attirer chez eux les ouvriers travaillant chez un autre maître.

1. Voir les Anciennes corporations ouvrières à Bourges, par BOYER.

2. Voir livre IV, chap. V, passim, particulièrement les statuts des tailleurs d'habits, année 1622, p. 66. Dans les statuts des corroyeurs de Bourges de 1615 (Ibid., p. 252) on trouve la prescription suivante relative aux maîtres qui demandaient du travail comme salariés en concurrence avec les ouvriers : « art.XXX.—Et au cas où il y aura quelque maistre dudit mestier qui n'ora aucune besogne seront tenus les aultres maistres de luy bailler lhors qu'il les yra trouver pour leur en demander et en cas qu'ils en aient seront tenus lesdits maistres préférer les maistres qui auront à faire la besogne aux compagnons dudit mestier. »>

3. Voir, par exemple, l'ordonnance du 25 août 1710: Bonnetiers de Nîmes, Rec. des règlements, t. IV, p. 115.

4. A Carcassonne, le délai n'était que de trois jours (Ibid., t. III, p. 226). Il en était de même à Cahors pour les tonneliers (art. 10 des statuts de 1670).

5. Ordonnance du 22 juillet 1669 (Rec. des règlements, t. I, p. 391). nance du 18 février 1720 (Ibid., t. IV, p. 78).

- Ordon

6. Traité de la police, t. IV, p. 97 et 122, pour les maçons et les serruriers. L'amende pour les maçons était de 500 livres.

7. Il y eut plusieurs arrêts rendus à ce sujet contre les compagnons orfèvres (11 septembre 1671, 7 mars 1679, 18 mars 1684). — Ms. DE LA MARE, Arts et métiers, t. VII, p. 239 et suiv.

8. Les tonneliers de Châlons punissaient d'amende et de dommages-intérêts tout

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