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sier? Plus instruit, plus civil, qu'y gagneroit-il? Ma foi je n'en sais rien.

Je m'ennuie de faire, et vous apparemment de lire des descriptions de tableaux. Par pitié pour vous et pour moi, écoutez un

conte.

A l'endroit où la Seine sépare les Invalides des villages de Chaillot et de Passi, il y avoit autrefois deux peuples. Ceux du côté du GrosCaillou étoient des brigands; ceux du côté de Chaillot, les uns étoient de bonnes gens qui cultivoient la terre, d'autres des paresseux qui vivoient aux dépens de leurs voisins; mais de temps en temps les brigands de l'autre rive passoient la rivière à la nage et en bateaux, tomboient sur nos pauvres agriculteurs, enlevoient leurs femmes, leurs enfans, leurs bestiaux, les troubloient dans leurs travaux, et faisoient souvent la récolte pour eux. Il y avoit long-temps qu'ils souffroient sous ce fléau, lorsqu'une troupe de ces oisifs du village de Passi, leurs voisins, s'adressèrent à nos agriculteurs, et leur dirent: Donnez-nous ce que les habitans du Gros-Caillou vous prennent, et nous vous défendrons. L'accord fut fait, et tout alla bien. Voilà, mon ami, l'ennemi, le soldat, et le citoyen. Il vint avec le temps une seconde horde d'oisifs de Passi, qui dirent aux

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agriculteurs de Chaillot : Vos travaux sont pénibles, nous savons jouer de la flûte et danser; donnez-nous quelque chose, et nous vous amuserons ; vos journées vous en paroîtront moins longues et moins dures. On accepta leur offre et voilà les gens de lettres qui, dans la suite firent respecter leur emploi, parce que, sous prétexte d'amuser et de délasser le peuple, ils l'instruisirent, ils chantèrent les loix, ils encouragèrent au travail et à l'amour de la patrie, ils célébrèrent les vertus, ils inspirèrent aux pères de la tendresse pour leurs enfans, aux enfans du respect pour leur père; et nos agriculteurs furent chargés de deux impôts, qu'ils supportèrent volontiers, parce qu'ils leur restituoient autant qu'ils leur prenoient. Sans les brigands du Gros - Caillou, les habitans de Chaillot se seroient passés de soldats; si ces soldats leur avoient demandé plus qu'ils ne leur économisoient, ils n'en auroient point voulu; et à la rigueur, les flûteurs leur auroient été superflus, et on les auroit envoyés jouer de la flûte et danser ailleurs, s'ils avoient mis à trop haut prix leurs chansons. Elles sont pourtant bien belles et bien utiles. Ce sont ces chansonniers qui distinguent un peuple barbare et féroce d'un peuple civilisé et doux.

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89. L'Oiseau retrouvé.

Tableau de deux pieds de haut, sur un pied deux pouces de large.

A droite, paysage, bout de roche, masse informe de pierres, dont la cime est couverte de plantes et d'arbustes. Sur ce massif, c'est une cuvette soutenue par des enfans debout, et dont les eaux sont reçues dans un bassin. Au-devant du massif, jeune homme s'avançant bêtement vers une vieille qui le regarde et semble lui dire : C'est l'oiseau de ma fille. Au pied du bassin, vers la gauche, cette fille est étendue à terre, la tête et la partie supérieure du corps tournées vers le porteur d'oiseau, et le bras droit appuyé sur sa cage ouverte. On voit à ses pieds un mouton et un panier de fleurs. Tout cela est insignifiant. Ces enfans sont beaucoup trop grands pour une scène aussi puérile, si elle est réelle; si c'est une allégorie, elle est plate. La fille paroît avoir vingt ans passés, le jeune homme dixhuit à dix-neuf ans : scène froide et mauvaise, où la misère de l'idéal n'est point rachetée par le faire.

90. Le Musicien champêtre.

Tableau de deux pieds de haut, sur un pied deux pouces de large.

Je m'établis sur la bordure, et je vais de la droite à la gauche. Ce sont d'abord de grands rochers assez près de moi. Je les laisse. Sur la saillie d'un de ces rochers, j'apperçois un paysan assis, et un peu au-dessous de ce paysan, une paysanne assise aussi. Ils regardent l'un et l'autre vers le même côté ; ils semblent écouter, et ils écoutent en effet un jeune musicien qui joue, à quelque distance, d'une espèce de mandoline. Le paysan, la paysanne et le musicien ont quelques moutons autour d'eux. Je continue mon chemin ; je quitte à regret le musicien, parce que j'aime la musique, et que celui-ci a un air d'enthousiasme qui attache. Il s'ouvre une percée, d'où mon œil s'égare dans le lointain. Si j'allois plus loin, j'entrerois dans un bocage; mais je suis arrêté par une large mare d'eaux qui me font sortir de la toile.

Cela est froid, sans couleur, sans effet. Tous ces tableaux de Le Prince n'offrent qu'un mêlange désagréable d'ocre et de cuivre. On ne dira pas que l'éloge me coûte, car j'en vais faire un très-étendu du petit musicien. La tête

en est charmante, d'un caractère particulier et d'une expression rare. C'est l'ingénuité des champs fondue avec la verve du talent. Cette belle tête est un peu portée en avant. Les cheveux blonds, frisés, ramenés sur son front, y forment une espèce de bourrelet ébouriffé, comme les anciens l'ont fait au soleil et à quelques-unes de leurs statues. Pour moi, qui ne retiens d'une composition musicale, qu'un beau passage, qu'un trait de chant ou d'harmonie qui m'a fait frissonner; d'un ouvrage de littérature, qu'une belle idée, grande, noble, profonde, tendre, fine, délicate ou forte et sublime, selon le genre et le sujet; d'un orateur, qu'un beau mouvement; d'un historien, qu'un fait que je ne réciterois pas sans que mes yeux s'humectent et que ma voix s'entrecoupe, et qui oublie tout le reste, parce que je cherche moins des exemples à éviter que des modèles à suivre, parce que je jouis plus d'une belle ligne que je ne suis dégoûté par deux mauvaises pages; que je ne lis que pour m'amuser ou m'instruire; que je rapporte tout à la perfection de mon cœur et de mon esprit, et que, soit que je parle, réfléchisse, lise, écrive ou agisse, mon but unique est de devenir meilleur. Je pardonne à Le Prince tout son barbouillage jaune, dont je n'ai plus d'idée, en faveur de la

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