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93. Une jeune Fille endormie, surprise par son père et sa mère.

La jeune fille est couchée; sa gorge est découverte; elle a des couleurs. Sa tête repose sur deux oreillers couverts d'une peau de mouton. Il paroît que ses cuisses sont séparées. Elle a le bras gauche dans ce lit, et le bras droit sur la couverture, qui se plisse beaucoup à la séparation des deux cuisses, et la main posée où la couverture se plisse. Son vieux père et sa vieille mère sont debout au pied du lit, toutà-fait dans l'ombre ; le père plus sur le fond; il impose silence à la mère qui veut parler. A droite sur le devant, c'est un panier d'œufs renversés et cassés. Sur cette inscription qu'on lit dans le livret, une jeune fille endormie, surprise par son père et sa mère, on cherche des traces d'un amant qui s'échappe ou qui s'est échappé, et l'on n'en trouve point. On regarde l'impression du père et de la mère, pour en tirer quelque indice, et ils n'en révèlent rien. On s'arrête donc sur la petite fille. Que faitelle? qu'a-t-elle fait? on n'en sait rien. Elle dort. Se repose-t-elle d'une fatigue voluptueuse? cela se peut. Le père et la mère, appelés par quelques soupirs aussi involontaires

qu'indiscrets, reconnoîtroient-ils aux couleurs vives de leur fille, au mouvement de sa gorge, au désordre de sa couche, à la mollesse d'un de ses bras, à la position de l'autre, qu'il ne faut pas différer à la marier? cela est vraisemblable. Ce panier d'œufs renversés et cassés est-il hiéroglyphique? Quoi qu'il en soit, la dormeuse est sans grace et sans intérêt. La peau de mouton sur laquelle sa tête repose est parfaitement traitée; le désordre des oreillers et des couvertures, on ne sauroit mieux. Mais comment se fait-il que cette fille et son lit soient si fortement éclairés, et que les ténèbres les plus épaisses obscurcissent tout le reste de la composition. Lorsque Rembrant oppose des chairs du plus grand éclat, à des noirs tout-à-fait noirs, il n'y a pas à s'y tromper; on voit que c'est l'effet nécessaire d'un local particulier et de choix. Mais ici la lumière est diffuse. D'où vient cette lumière? Comment se répand-elle sur certains objets, et s'éteint-elle sur les autres? Pourquoi n'en apperçoit-on pas le moindre reflet? D'où naît cette division du jour et de la nuit, telle que dans la nature même, au cercle terminateur de l'ombre et de la lumière, elle n'existe pas aussi tranchée ? Il faut d'aussi bons yeux pour voir le fond, et découvrir le père et la mère,

qui sont toutefois au pied du lit et sur le devant, que de pénétration pour deviner le sujet qui les amène ! M. Le Prince, vous avez cherché un effet piquant; mais il faut d'abord être vrai dans son technique, et clair dans sa composition. Encore une fois, le père et la mère auroient-ils eu quelque suspicion de la conduite de leur fille? Seroient-ils venus à dessein de la surprendre avec un amant? Reconnoîtroient-ils, au désordre de la couche, qu'ils étoient arrivés trop tard? Le père espéreroit-il s'y prendre mieux une autre fois, et seroit-ce là le motif du geste qu'il fait à sa femme? Voilà ce qui me vient à l'esprit, parce que je ne suis plus malin. Mais d'autres ont d'autres idées. Tous ces plis; l'endroit où ils se pressent; eh bien! ces plis, cet endroit, cette main; après ? est-ce qu'une fille de cet âge là n'est pas maîtresse d'user dans son lit de toutes ses lumières secrètes, sans que ses parens doivent s'en inquiéter? Ce n'est donc pas cela. Qu'est-ce donc ? Voyez, M. Le Prince, quand on est obscur, combien on fait imaginer et dire de sottises! J'ai dit que la tête de la fille étoit maussade; mais cela n'empêche pas qu'elle ne soit, ainsi que sa gorge, de très-bonne couleur. J'ai dit que le père et la mère étoient dans l'ombre, sans qu'on sût pourquoi; mais cela

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n'empêche pas qu'ils ne soient moelleusement touchés, et que ce morceau, à tout prendre, ne l'emporte sur les autres du même artiste. Il est certainement plus soigné, mieux peint et plus fini.

94. Autre Bonne Aventure.

Tableau de deux pieds deux pouces de haut, sur un pied dix pouces de large.

On voit la retraite d'un Russe, Tartare ou autre; à droite, le Tartare debout, a la main appuyée sur une massue hérissée de pointes Quel est ici l'usage de cette massue? Ce personnage est silencieux, grave et tranquille. Il a une physionomie sauvage, fière et imposante; figure supérieurement ajustée; draperies bien roides et bien lourdes; grands et longs plis bien droits, comme les affectent toutes les étoffes d'or et d'argent. Sa femme, vue de profil, est assise, en allant vers la gauche. C'est une assez jolie mine; elle a de l'ingénuité et de la finesse, avec des traits qui ne sont pas les nôtres. Elle regarde fixement la diseuse de bonne aventure, en qui pareillement la coiffure, les draperies, les vêtemens sont à merveille. Celle-ci tient la main de la jeune femme. Elle lui parle; mais elle n'a point le caractère

faux et rusé de son métier. C'est une vieille comme une autre. Sur le fond, entre ces deux femmes, deux esclaves froides et pauvres. Vers l'angle gauche, une cassolette sur son pied. Entre la femme et le mari, sur le fond, un bouclier, un faisceau de flèches, un drapeau déployé, le tout faisant masse ou trophée. Il ne manque à cette composition que des têtes qui soient peintes. Les figures plates ressemblent à de belles et riches images collées sur toile. C'est une foiblesse de pinceau, un négligé, un manque d'effet qui désespèrent. C'est dommage, car tout est naturellement ordonné; les personnages, le Tartare sur-tout bien posé; -les objets bien distribués; la femme Tartare, en fourrure rouge, a les pieds posés sur un coussin.

95. Le Concert.

Tableau de deux pieds deux pouces de haut, sur un pied dix pouces de large.

Composition charmante; certes, un des plus jolis tableaux du Salon, si les têtes étoient plus vigoureuses. Mais pourquoi la monotonie de ces têtes? pourquoi ces visages si plats, si plats, si foibles, si foibles, qu'à peine y remarque-t-on du relief? Est-ce que n'ayant plus

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