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Autre exemple de l'art de ramper en peinture.

Ce mauvais tableau a pensé faire répandre du sang. Un jeune mousquetaire appelé Moret, regardoit avec attention un homme assez plat, assis au café de Viseux, à la même table que lui. Cet homme, si attentivement et si continuement regardé, dit à Moret: Monsieur, est-ce que vous m'auriez vu quelque part? Vous l'avez deviné. Tenez, monsieur, vous ressemblez comme deux gouttes d'eau à un certain Christ, de Brenet, qui est maintenant au Salon. Et l'autre tout courroucé: Parlez donc, monsieur, est-ce que vous me prenez pour un jean-foutre? Et puis voilà la querelle engagée, des épées tirées, la garde, le commissaire appelés; et le commissaire qui se tourmentoit à persuader à ce quidam colérique qu'on n'en étoit pas moins honnête homme pour ressembler à un Christ; et le quidam qui répondoit au commissaire : Monsieur, cela vous plaît à dire, mais vous n'avez pas vu celui de Brenet. Je ne veux point ressembler à un Christ, et moins à celui-là qu'à un autre. Et le Moret: Oh! pardieu, vous y ressemblerez malgré vous, et cætera. Je voudrois avoir fait ce conte; mais ce n'en est point un..

Bon soir, mon ami. Semper frondesce et vale.

120. LOUTHERBOURG.

Ut pictura poesis erit.

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Il en est de la poésie ainsi que de la peinture. Combien on l'a dit de fois! Mais ni celui qui l'a dit le premier, ni la multitude de ceux qui l'ont répété après lui, n'ont compris toute l'étendue de cette maxime. Le poète a sa palette, comme le peintre ses nuances ses passages, ses tons. Il a son pinceau et son faire; il est sec, il est dur, il est crud, il est tourmenté, il est fort, il est vigoureux, il est doux, il est harmonieux et facile. Sa langue lui offre toutes les teintes imaginables; c'est à lui à les bien choisir. Il a son clair-obscur dont la source et les règles sont au fond de son ame. Vous faites des vers? Vous le croyez, parce que vous avez appris de Richelet à arranger des mots et des syllabes dans un certain ordre et selon certaines conditions données; parce que vous avez acquis la facilité de terminer ces mots et ces syllabes ordonnées par des consonnances. Vous ne peignez pas; à peine savez-vous calquer. Vous n'avez pas, peut-être même êtes-vous incapable de prendre la première notion du rithme, le poète a dit:

Monte decurrens, velut amnis, imbres
Quem super notas aluere ripas,
Fervet, immensusque ruit profundo
Pindarus ore.

Qui est-ce qui ose imiter Pindare? c'est un torrent qui roule ses eaux à grand bruit de la cime d'un rocher escarpé. Il se gonfle, il bouillonne, il renverse, il franchit sa barrière, il s'étend; c'est une mer qui tombe dans un gouffre profond.

Vous avez senti la beauté de l'image, qui n'est rien c'est le rithme qui est tout ici; c'est la magie prosodique de ce coin du tableau, que vous ne sentirez peut-être jamais. Qu'est-ce donc que le rithme, me demandez-vous? C'est un choix particulier d'expressions; c'est une certaine distribution de syllabes longues ou brèves, dures ou douces, sourdes ou aigres, légères ou pesantes, lentes ou rapides, plaintives ou gaies, ou un enchaînement de petites onomatopées analogues aux idées qu'on a, et dont on est fortement occupé; aux sensations qu'on ressent, et qu'on veut exciter; aux phénomènes dont on cherche à rendre les accidens; aux passions qu'on éprouve, et au cri animal qu'elles arracheroient; à la nature, au caractère, au mouvement des actions qu'on se propose de

rendre; et cet art là n'est pas plus de convention que les effets de la lumière et les couleurs de l'arc-en-ciel; il ne se prend point; il ne se communique point; il peut seulement se perfectionner. Il est inspiré par un goût naturel, par la mobilité de l'ame, par la sensibilité. C'est l'image même de l'ame rendue par les inflexions de la voix, les nuances successives, les passages, les tons d'un discours accéléré, ralenti, éclatant, étouffé, tempéré, en cent manières diverses. Ecoutez le défi énergique et bref de cet enfant qui provoque son camarade. Ecoutez ce malade qui traîne ses accens douloureux et longs. Ils ont rencontré l'un et l'autre le vrai rithme sans y penser. Boileau le cherche, et le trouve souvent. Il semble venir au-devant de Racine. Sans ce mérite, un poète ne vaut presque pas la peine d'être lu; il est sans couleur. Le rithme pratiqué de réflexion, a quelque chose d'apprêté et de fastidieux. C'est une des principales différences d'Homère et de Virgile, de Virgile et de Lucain, de l'Arioste et du Tasse. Le sentiment se plie de lui-même à l'infinie variété du rithme; la réflexion ne sauroit. L'étude, le goût acquis, la réflexion saisiront fort bien la place d'un vers spondaïque; l'habitude dictera le choix d'une expression,

elle séchera des pleurs, elle laissera couler les larmes; mais frapper mes yeux et mon oreille, porter à mon imagination par le seul prestige des sons, le fracas d'un torrent qui se précipite, ses eaux gonflées, la plaine submergée, son mouvement majestueux, et sa chûte dans un gouffre profond; cela ne se peut. Entrelacer d'étude des syllabes sourdes ou molles, entre des syllabes fortes, éclatantes ou dures; suspendre, accélérer, heurter, briser, renverser; cela ne se peut. C'est nature, et nature seule qui dicte la véritable harmonie d'une période entière, d'un certain nombre de vers. C'est elle qui fait dire à Quinault :

Au temps heureux où l'on sait plaire,
Qu'il est doux d'aimer tendrement!
Pourquoi dans les périls, avec empressement
Chercher d'un vain honneur l'éclat imaginaire?
Pour une trompeuse chimère,

Pourquoi quitter un bien charmant?
Au temps heureux où l'on sait plaire,
Qu'il est doux d'aimer tendrement!

C'est elle qui fait dire à Voltaire :

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Le moissonneur ardent qui court avant l'aurore
Couper les blonds épis que l'été fait éclore,
S'arrête, s'inquiète et pousse des soupirs:

Son cœur est étonné de ses nouveaux desirs.

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