ページの画像
PDF
ePub

quand on a lu Desfontaines ou Bitaube? Pour ce voyage d'Italie si souvent projeté, il ne se fera jamais. Jamais, mon ami, nous ne nous embrasserons dans cette demeure antique, silencieuse et sacrée ou les homines sont venus' si souvent accuser leurs erreurs ou exposer leurs besoins; sous ce Panthéon, sous" ces voûtes obscures ou nos ames devoient s'ouvrir sans réserve et verser toutes ces pensées retenues, tous ces sentimens secrets, toutes ces actions dérobées, tous ces plaisirs cachés, toutes ces peines dévorées, tous ces mystères de notre vie, dont l'honnêteté scrupuleuse interdit la confidence à l'amitié même la plus intime et la moins réservée. Eh bien ! mon ami, nous mourrons dont sans nous être parfaitement connus; et vous n'aurez point obtenu de moi toute la justice que vous méritiez. Consolez-vous; j'aurois été vrai, et j'y aurois peutêtre autant perdu que vous y auriez gagné. Combien de côtés en moi que je craindrois de montrer tout nus! Encore une fois, consolezvous, il est plus doux d'estimer infiniment son ami, que d'en être infiniment estimé. Une autre raison de la pauvreté de ce salon-ci, c'est que plusieurs artistes de réputation ne sont plus, et que d'autres dont les bonnes et les mauvaises qualités m'auroient fourni une récolte

*

abondante d'observations, ne s'y sont pas montrés cette année. Il n'y avoit rien ni de Pierre, ni de Boucher, ni de la Tour, ni de Bachelier, ni de Greuze, Ils ont dit, pour leurs raisons qu'ils étoient las de s'exposer aux bêtes, et d'être déchirés. Quoi! M, Boucher, vous à qui les progrès et la durée de l'art devroient être spécialement à cœur, en qualité de premier peintre du roi, c'est au moment où vous obtenez ce titre, que vous donnez la première atteinte à une de nos plus utiles institutions, et cela par la crainte d'entendre une vérité dure? Vous n'avez pas conçu quelle pouvoit être la suite de votre emple! Si les grands maîtres se retirent, les subalternes se retireront, ne fût-ce que pour se donner un air de grands maîtres; bientôt les murs du Louvre seront tout nus, ou ne seront couverts que du barbouillage de polissons, qui ne s'exposeront que parce qu'ils n'ont rien à perdre à se laisser voir; et cette lutte annuelle et publique des artistes venant à cesser, l'art s'acheminera rapidement à sa décadence, Mais à cette considération, la plus importante, il s'en joint une autre qui n'est pas à négliger. Voici comment raisonnent la plupart des hommes opulens qui occupent les grands artistes. La somme que je vais mettre en dessins de Boucher, en tableaux de Vernet,

[ocr errors]
[ocr errors]

de Casanove, de Loutherbourg, est placée au plus haut intérêt. Je jouirai toute ma vie de la vue d'un excellent morceau. L'artiste mourra; et mes enfans ou moi nous retirerons de ce morceau vingt fois le prix de son premier achat. Et c'est très-bien raisonné; et les héritiers voient sans chagrin un pareil emploi de la richesse qu'ils convoitent. Le cabinet de M. de Julienne a rendu à la vente beaucoup au-delà de ce qu'il avoit coûté. J'ai à présent sous mes yeux un paysage que Vernet fit à Rome pour, un habit, veste et culotte, et qui vient d'être acheté mille écus. Quel rapport y a-t-il entre le salaire qu'on accordoit aux maîtres anciens et la valeur que nous mettons à leurs ouvrages? Ils ont donné pour un morceau de pain, telle, composition que nous offririons inutilement de couvrir d'or. Le brocanteur ne vous lâchera, pas un tableau du Corrège pour un sac d'argent dix fois aussi lourd que le sac de liards sous lequel un infâme cardinal le fit mourir. Mais à quoi cela revient-il, me direz-vous? Qu'est-ce que l'histoire du Corrège et la vente des tableaux de M. de Julienne ont de commun avec l'exposition publique et le salon? vous allez l'entendre. L'homme habile à qui l'homme riche demande un morceau qu'il puisse laisser. à son enfant, à son héritier, comme un effet

précieux, ne sera plus arrêté par mon jugé→ ment, par le vôtre; par le respect qu'il se portera à lui-même; par la crainte de perdre sa réputation; ce n'est plus pour la 'nation, c'est pour un particulier qu'il travaillera; et vous n'en obtiendrez qu'un ouvrage médiocre, et de nulle valeur. On ne sauroit opposer trop de barrières à la paresse, à l'avidité, à l'infidélité; et lá censure publique est une des plus puissantes. Ce serrurier qui avoit femme et enfans, qui n'avoit ni vêtement ni pain à leur donner, et qu'on ne put jamais résoudre à quelque prix que ce fût, à faire une mauvaise gâche, fut un enthousiaste très-rare. Je voudrois donc que M. le directeur des académies obtînt un ordre du roi, qui enjoignît, sous peine d'être exclus, à tout artiste, d'envoyer au salon deux morceaux au moins, au peintre deux tableaux, au sculpteur une statue ou deux modèles. Mais ces gens qui se moquent de la gloire de la nation, des progrès et de la durée de l'art, de l'instruction et de l'amusement publics, n'entendent rien à leur propre intérêt. Combien de tableaux seroient demeurés des années entières dans l'ombre de l'attelier, s'ils n'avoient point été exposés? Tel particulier va promener au salon son désœuvrement et son ennui, qui y prend ou reconnoît en lui le goût'

[ocr errors]

de la peinture. Tel autre qui en a le goût, et n'y étoit allé chercher qu'un quart-d'heure d'amusement, y laisse une somme de deux mille écus. Tel artiste médiocre s'annonce en un instant à toute la ville pour un habile hom me. C'est-là que cette si belle chienne d'Oudri, qui décoré à droite notre synagogue attendoit le Baron notre ami. Jusqu'à lui personne ne l'avoit regardée; personne n'en avoit senti le mérite, et l'artiste étoit désolé. Mais, mon ami, ne nous refusons pas au récit des procédés honnêtes. Cela vaut encore mieux que la critique ou l'éloge d'un tableau. Le Baron voit cette chienne, l'achète, et à l'instant voilà tous ces dédaigneux amateurs furieux et jaloux. On vient; on l'obsède; on lui propose deux fois le prix de son tableau. Le Baron va trouver l'artiste, et lui demande la permission de céder sa chienne à son profit. Non, monsieur. Non, lui dit l'artiste. Je suis trop heureux que mon meilleur ouvrage appartienne à un homme qui en connoisse le prix. Je ne consens à rien, je n'accepterai rien; et ma chienne vous restera. Ah! mon ami, la maudite race que celle des amateurs! Il faut que je m'en explique et que je me soulage, puisque j'en ai l'occasion. Elle commence à s'éteindre ici. où elle n'a que trop duré et fait trop de mal.

« 前へ次へ »