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Elle-même, ajoutant la nuit à ses travaux,
Aux lueurs d'une lampe exerce ses fuseaux;
Ou, tenant dans sa main l'industricuse aiguille,
Soutient d'un gain permis sa naissante famille,
La pudeur de sa fille et l'honneur de son lit :
Tel le dieu matinal à Vénus obéit.

Ainsi, le lecteur, en quittant la couche d'or du couple divin, le palais de l'Olympe, les forges de Lemnos, où se forgeoient l'égide de Pallas et les foudres de Jupiter, se trouve transporté, par la magie de cette comparaison, dans l'humble ménage d'une mère de famille laborieuse et vigilante, qui dès le point du jour réveille le feu assoupi sous la cendre, distribue leur tâche journalière aux femmes qui la servent, travaille elle-même pour élever ses enfans en bas âge, et conserver la chasteté conjugale.

Voilà un de ces admirables tableaux qui n'appartiennent qu'à Virgile, où il a su réunir

sans disparate les idées les plus majestueuses

et les plus simples; et tout cela est dû aux traits ingénieux et naïfs d'une comparaison bien choisie.

Enfin, la comparaison a lieu quelquefois entre les objets de la nature et les travaux des arts. Dans un épisode, plusieurs fois imprimé, je me proposois de peindre, avec des traits nouveaux, une jeune beauté. Laissant donc de côté, la vivacité, l'enjouement, l'élégance des formes et la régularité des traits, j'ai tâché de la rendre intéressante, en la rendant insignifiante; c'est-à-dire, en lui donnant une ame neuve, des sens non encore éveillés, un grand calme, et une extrême modestie. C'est ce que j'ai essayé d'exprimer dans cette comparaison qui m'a obtenir le suffrage de plusieurs gens de Lettres :

paru

Ses yeux,

Tout en elle étoit calme; une pudeur modeste
Régloit son air, sa voix, son silence, son geste;
d'où sa pensée à peine osoit sortir,
N'exprimoient rien encore, et faisoient tout sentir.
Il sembloit qu'en secret sa douce indifférence
D'un ascendant suprême attendît la puissance.
Tel ce chef-d'oeuvre heureux de l'amour et des arts,
La jeune Galathée enchantoit les regards,
Lorsqu'essayant la vie et son ame naissante,
N'étant déjà plus marbre, et pas encore amante,
Entr'ouvrant par degrés ses paupières au jour,
Pour achever de vivre, elle attendoit l'amour.

Dans ces observations j'ai tâché de faire sentir tout ce qui constitue la beauté d'un poëme épique, et de prouver que Virgile n'a oublié aucun de ces avantages. Il ne me reste plus qu'à réfuter quelques objections faites des hommes de mérite, contre quelquesuns des premiers livres, et surtout contre les six derniers.

par

M. de Laharpe paroît craindre que le cin

quième livre, où Virgile décrit les jeux célébrés en Sicile sur le tombeau de son père, ne refroidisse le lecteur. On auroit pu, avec plus de raison, faire ce reproche au troisième, qui ne renferme que la description d'une navigation dans les mers de la Grèce et de l'Italie; mais le troisième et le cinquième livres sont également à leur place. Le premier est pour le lecteur un agréable repos, après la catastrophe d'un grand empire; l'autre est peut-être encore, à cet égard, plus convenablement placé entre la mort de Didon et la description des enfers. C'est ce livre que Montaigne regarde comme le plus grand effort de la poésie de Virgile.

Examinons enfin s'il est vrai que les six derniers livres soient inférieurs aux premiers pour l'invention, l'intérêt et le style. Je remarquerai d'abord que la plupart des lec

teurs français sont tellement accoutumés aux

peintures de l'amour théâtral, que , que l'intérêt cesse pour eux où ces peintures finissent. Aussi y a-t-il un grand nombre, non-seulement de lecteurs ordinaires, mais de gens de lettres, qui n'ont lu avec plaisir, dans l'Enéide, que le quatrième livre et quelques morceaux du second. Mais ce n'est pas là qu'est l'intérêt de l'action épique; il est tout ce qui prépare le dénouement, dans tout ce qui doit décider des destinées d'Énée et de Turnus; et il est évident que c'est dans les derniers livres que tous ces évènemens se trouvent. La fureur de Junon qui se réveille, le soulèvement de toute l'Italie, l'apparition de Turnus, opposant sa valeur, sa naissance, le crédit d'Amate aux oracles des dieux et aux droits d'Énée, la victoire adroitement balancée dans différens combats, re

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