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mour avec celles de l'ambition, et que l'on dit que celles-ci sont plus pesantes et moins fragiles. Alors ce sont les idées mêmes que l'on compare sous des noms étrangers.

Mais c'est abuser des termes, que d'établir une ressemblance réelle du figuré au simple: l'image n'est qu'une comparaison dans le sens de celui qui l'emploie ; c'est la donner pour l'objet même, que de lui attribuer les mêmes rapports qu'à l'objet, comme dans ces vers:

Brûlé de plus de feux que je n'en allumai. ·

(RACINE.)

Elle fuit, mais en Parthe, en me perçant le cœur.

(CORNEILLE.)

De la fiction à la réalité les rapports sont pris à la lettre, et non pas de la métaphore à la réalité. Par exemple, après avoir changé Syrinx en roseau, le poète en peut faire une flûte; mais quoiqu'il appelle des lis et des roses les couleurs d'une bergère, il n'en fera pas un bouquet. Pourquoi cela? C'est que la métamorphose de Syrinx est donnée pour un fait dont le poète est persuadé; au lieu que les lis et les roses ne sont qu'une comparaison dans l'esprit même du poète. C'est pour n'avoir pas fait cette distinction si facile, que tant de poètes ont donné dans les jeux de mots, l'un des vices les plus opposés au naturel, qui fait le charme du style poétique.

IMAGINATION. On appelle ainsi cette faculté de

l'ame qui rend les objets présents à la pensée; elle suppose dans l'entendement une appréhension vive et forte, et la facilité la plus prompte à reproduire ce qu'il a reçu. Quand l'imagination 'ne fait que retracer les objets qui ont frappé les sens, elle ne diffère de la mémoire que par la vivacité des couleurs. Quand de l'assemblage des traits que la mémoire a recueillis, l'imagination compose elle-même des tableaux dont l'ensemble n'a point de modèle dans la nature, elle devient créatrice; et c'est alors qu'elle appartient au génie.

Il est peu d'hommes en qui la réminiscence des objets sensibles ne devienne, par la réflexion, par la contention de l'esprit, assez vive, assez détaillée pour servir de modèle à la poésie. Les enfants mêmes ont la faculté de se faire une image frappante, non-seulement de ce qu'ils ont vu, mais de ce qu'ils ont ouï dire d'intéressant, de pathétique. Tous les hommes passionnés se peignent avec chaleur les objets relatifs au sentiment qui les occupe. La méditation dans le poète peut opérer les mêmes effets; c'est elle qui couve les idées et les dispose à la fécondité; et quand il peint faiblement, vaguement, confusément, c'est le plus souvent pour n'avoir pas donné à son objet toute l'attention qu'il exige.

Vous avez à peindre un vaisseau baltu par la tempête, et sur le point de faire naufrage. D'abord ce tableau ne se présente à votre pensée

que dans un lointain qui l'efface; mais voulezvous qu'il vous soit plus présent, parcourez des yeux de l'esprit les parties qui le composent : dans l'air, dans les eaux, dans le vaisseau même, voyez ce qui doit se passer; dans l'air, les vents mutinés qui se combattent, des nuages qui éclipsent le jour, qui se choquent, qui se confondent, et qui de leurs flancs sillonnés d'éclairs vomissent la foudre avec un bruit horrible; dans les eaux, les vagues écumantes qui s'élèvent jusques aux nues, des lames polies comme des glaces qui réfléchissent les feux du ciel, des montagnes d'ean suspendues sur les abîmes où le vaisseau paraît s'engloutir, et d'où il s'élance sur la cime des flots; vers la terre, des rochers aigus où la mer va se briser en mugissant, et qui présentent aux yeux des nochers les débris récents d'un naufrage, augure effrayant de leur sort : dans le vaisseau, les antennes qui fléchissent sous l'effort des voiles, les mâts qui crient et se rompent; les flancs mêmes du vaisseau qui gémissent, battus par les vagues, et menacent de s'entrouvrir ; un pilote éperdu, dont l'art épuisé succombe et fait place au désespoir; des matelots accablés d'un travail inutile, et qui, suspendus aux cordages, demandent au Ciel, avec des cris lamentables, de seconder leurs derniers efforts; un héros que les encourage, et qui tâche de leur inspirer la confiance qu'il n'a plus. Voulez-vous rendre ce tableau plus touchant et plus terrible

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encore, supposez dans le vaisseau un père avec son fils unique, des époux, des amants qui s'adorent, qui s'embrassent, qui se disent, Nous allons périr. Il dépend de vous de faire de ce vaisseau le théâtre des passions, et de mouvoir avec cette machine tous les ressorts les plus puissants de la terreur et de la pitié. Pour cela il n'est pas besoin d'une imagination bien féconde; il suffit de réfléchir aux circonstances d'une tempête pour y trouver ce que je viens d'y voir. Il en est de même de tous les tableaux dont les objets tombent sous les sens; plus on y réfléchit, plus ils se développent. Il est vrai qu'il faut avoir le talent de rapprocher les circonstances et de rassembler des détails qui sont épars dans le souvenir; mais dans la contention de l'esprit la mémoire rapporte, comme d'elle-même, ces matériaux qu'elle a recueillis; et chacun peut se convaincre, s'il veut s'en donner la peine, que l'imagination, dans le physique, est un talent qu'on a sans le savoir.

On confond souvent avec l'imagination un don plus précieux encore, celui de s'oublier soi-même; de se mettre à la place du personnage que l'on veut peindre; d'en revêtir le caractère; d'en prendre les inclinations, les intérêts, les sentiments; de le faire agir comme il agirait, et de s'exprimer sous son nom comme il s'exprimerait luimême. Ce talent de disposer de soi diffère autant de l'imagination, que les affections intimes de

l'ame different de l'impression faite sur les sens. Il veut être cultivé par le commerce des hommes, par l'étude de la nature et des modèles de l'art : c'est l'exercice de toute la vie; encore n'est-ce point assez. Il suppose de plus une sensibilité, une souplesse, une activité dans l'ame, que la nature seule peut donner. Il n'est pas besoin, comme on le croit, d'avoir éprouvé les passions pour les rendre; mais il faut avoir dans le cœur ce principe d'activité qui en est le germe, comme il est celui du génie. Aussi entre mille poètes qui savent peindre ce qui frappe les yeux, à peine s'en trouve-t-il un qui sache développer ce qui se passe au fond de l'ame. La plupart connaissent assez la nature, pour avoir imaginé, comme Racine, de faire exiger d'Oreste, par Hermione, qu'il immolât Pyrrhus à l'autel; mais quel autre qu'un homme de génie aurait conçu ce retour si naturel et si sublime?

Pourquoi l'assassiner? qu'a-t-il fait? à quel titre ?
Qui te l'a dit?

Les alarmes de Mérope sur le sort d'Égisthe, sa douleur, son désespoir à la nouvelle de sa mort, la révolution qui se fait en elle en le reconnaissant, sont des mouvements que la nature indique à tout le monde; mais ce retour si vrai, si pathétique :

... Barbare, il te reste une mère.
Je serais mère encor sans toi, sans ta fureur.

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