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libres. «S'ils sont libres ! oui, sans doute, répondit le sauvage; je le suis bien, moi qui suis leur chef. >> Voilà de ces traits qu'on chercherait en vain parmi les nations civilisées de l'Europe : leurs vertus, ainsi que leurs vices, ont une couleur artificielle qu'il faut observer avec soin

peindre avec vérité.

pour les Une qualité essentielle des mœurs, c'est l'intérêt. On en a fait, avec raison, le grand objet de la tragédie; mais dans l'épopée on l'a trop négligé. Or il n'y a de mœurs bien intéressantes que les mœurs passionnées; et que ce soit l'amour, la colère, l'ambition, la tendresse filiale, le zèle pour la religion ou pour la patrie, qui soit l'ame de l'épopée, plus ce sentiment aura de chaleur, plus l'action sera intéressante. On a distingué assez mal à propos, ce me semble, le poème épique moral du poème épique passionné; car le poème moral n'est intéressant qu'autant qu'il est passionné lui-même. Supposons, par exemple, qu'Homère eût donné à Ulysse l'inquiétude et l'impatience naturelles à un bon père, à un bon époux, à un bon roi, qui, loin de ses états et de sa famille, a sans cesse présents les maux que son absence a pu causer; supposons, dans le poème de Télémaque, ce jeune prince plus occupé de l'état d'oppression et de douleur où il a laissé sa mère et sa patrie: leurs caractères plus passionnés n'en seraient que plus touchants; et lorsque Télémaque s'arrache aux plai

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sirs, on aimerait encore mieux qu'il cédât aux mouvements de la nature qu'aux froids conseils de la sagesse. Si ce poème, divin du côté de la morale, laisse désirer quelque chose, c'est plus de chaleur et de pathétique; et c'est aussi ce qui manque à l'Odyssée et à la plupart des poèmes connus.

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Je ne prétends pas comparer en tous points le mérite d'un beau roman avec celui d'un beau poème mais qu'il me soit permis de demander pourquoi certains romans nous touchent, nous remuent, nous attachent, et nous entraînent jusqu'à nous faire oublier (je n'exagère pas) la nourriture et le sommeil; tandis que nous lisons d'un œil sec, je dis plus, tandis que nous lisons à peine sans une espèce de langueur les plus beaux poèmes épiques. C'est que dans ces romans le pathétique règne d'un bout à l'autre; au lieu que dans ces poèmes il n'occupe que des intervalles, et qu'il y est souvent négligé. Les romanciers en ont fait l'ame de leur intrigue; les poètes épiques ne l'ont presque jamais employé qu'en épisodes. Il semble qu'ils réservent toutes les forces de leur génie pour les tableaux et les descriptions, qui cependant ne sont à l'épopée que ce qu'est à la tragédie la décoration théâtrale. Or, le plus beau spectacle, sans le secours du pathétique, serait froid, languissant, fatigant même, s'il était long; et c'est ce qui arrive à l'épopée quand la passion ne l'anime pas.

MORALITÉ. Quelle est la fin que la poésie se propose? Il faut l'avouer, le plaisir. S'il est vicieux, il la déshonore; s'il est vertueux, il l'ennoblit; s'il est pur, sans autre utilité que d'adoucir de temps en temps les amertumes de la vie, de semer les fleurs de l'illusion sur les épines de la vérité, c'est encore un bien précieux. Horace distingue, dans la poésie, l'agrément sans utilité, et l'utilité sans agrément : l'un des deux peut se passer de l'autre, je l'avoue; mais cela n'est pas réciproque, et le poème didactique même a besoin de plaire, pour instruire avec plus d'attrait. Mais qu'à l'aspect des merveilles de la nature, plein de reconnaissance et d'amour, le génie, aux ailes de flamme, se rapproche de la divinité par le désir d'être le bienfaiteur du monde; qu'ami passionné des hommes, il consacre ses veilles à la noble ambition de les rendre meilleurs et plus heureux; que dans l'ame héroïque du poète l'enthousiasme de la vertu se mêle à celui de la gloire; c'est alors que la poésie est digne de cette origine céleste qu'elle s'est donnée autrefois.

Ainsi toute poésie un peu sérieuse doit avoir son objet d'utilité, son but moral; et la vérité de sentiment ou de réflexion qui en résulte, l'impression salutaire de crainte, de pitié, d'admiratión, de mépris, de haine, ou d'amour, qu'elle fait sur l'ame, est ce qu'on appelle moralité.

Quelquefois la moralité se présente directement, comme dans un poème en préceptes; mais le plus souvent on la laisse à déduire, et l'effet n'en est que plus infaillible, lorsque le mérite de l'avoir saisie trompe et console la vanité que le précepte aurait blessée : c'est l'artifice de l'apologue; c'est, plus en grand, celui de la tragédie et de l'épopée.

Je ferai voir, en parlant de la tragédie, comment elle est une lecon de mœurs.

Dans l'épopée, la moralité n'est pas toujours aussi sensible ni aussi généralement reconnue.

Le Bossu veut que ce poème, pour être moral, soit composé comme l'apologue. « Homère, dit-il, a fait la fable et le dessein de ses poèmes sans penser à ces princes (Achille et Ulysse), et ensuite il leur a fait l'honneur de donner leurs noms aux héros qu'il avait feints. » Homère serait, je crois, bien surpris d'entendre comme on lui fait composer ses poèmes. Aristote ne le serait pas moins du sens qu'on donne à ses lecons. « La fable, dit ce philosophe, est la composition des choses. >> « Or deux choses composent la fable, dit Le Bossu, la vérité qui lui sert de fondement, et la fiction qui déguise la vérité et qui lui donne la forme de fable. » Aristote n'a jamais pensé à ce déguisement. Il ne veut pas que la fable enveloppe la vérité; il veut qu'elle l'imite. Ce n'est donc pas dans l'allégorie, mais dans l'imitation, qu'il en fait consister l'essence.

Le propre de l'allégorie est que l'esprit y cherche un autre sens que celui qu'elle présente. Or, dans la querelle d'Achille et d'Agamemnon, le sens littéral et simple nous satisfait aussi pleinement que dans la guerre civile entre César et Pompée. Le sens moral de l'Odyssée n'est pas plus mystérieux : il est direct, immédiat, aussi naturel enfin que dans un exemple tiré de l'histoire; et l'absence d'Ulysse, prise à la lettre, a toute sa moralité. La peine inutile que Le Bossu s'est donnée pour appliquer son principe à l'Énéide, aurait dû l'en dissuader. Qui jamais, avant lui, s'était avisé de voir dans l'action de ce poème << l'avantage d'un gouvernement doux et modéré sur une conduite dure, sévère, et qui n'inspire que la crainte »? Voilà où conduit l'esprit de système. On s'aperçoit que l'on s'égare, mais on ne veut pas reculer.

Ce n'est pas, comme l'a entendu l'abbé Terrasson, la colère d'Achille en elle-même, mais la colère d'Achille fatale aux Grecs, qui fait le sujet de l'Iliade. Si par elle une armée triomphante passe tout à coup de la gloire de vaincre à la honte de fuir, et de la plus brillante prospérité à la plus affreuse désolation; l'action est grande et pathétique.

Le Tasse prétend qu'Homère a voulu démontrer dans Hector, que c'est une chose très louable que de défendre sa patrie; et dans Achille, que la vengeance est digne d'une grande ame.

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