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tour plein de prévenance et d'honnêteté; il fit dire à l'Académie par une espèce d'ami commun que, si elle causoit quelque diminution à ses droits, encore ne falloit-il pas qu'elle vécût avec lui dans un état d'éloignement, et qu'il perdît l'amitié de tant d'hommes illustres dont elle étoit composée et du mérite desquels il faisoit une estime si singulière, qu'il saisiroit avec empressement les occasions où il pourroit leur témoigner son affection et son zèle, et désiroit leur rendre tous les services qui dépendroient de lui.

La compagnie, informée de la sorte d'un discours pour elle à tous égards si obligeant, crut devoir y répondre sur le même ton et rendre politesse pour politesse; à l'effet de quoi, et afin de faire les choses plus décemment, elle députa quatre de ses principaux officiers avec M. de Charmois. M. Bonneau fit à cette députation tout l'accueil imaginable; les protestations et les offres de son amitié et de ses services redoublèrent et furent portées à l'infini son zèle pour l'honneur et les intérêts de l'Académie n'avoit point de bornes; il la vouloit défendre contre toutes les entreprises des jurés, et soutenir à ses frais tous les procès qu'elle auroit à essuyer de leur part. Ensuite il vint à toucher la corde sensible: il ne souhaitoit d'autre récompense de son empressement et de ses soins que l'hon

neur de se trouver aux assemblées de ces hommes

recommandables qu'il chérissoit si cordialement; une personne revêtue d'un caractère public y pouvoit être d'une grande utilité pour valider la réception des serments, pour le maintien du bon ordre, la conservation de la décence, de l'autorité, etc.

Cette proposition, faite en la présence même de M. de Charmois, parut extrêmement incivile aux autres députés ; l'embarras où il étoit naturel qu'il se trouvât d'y répondre porta l'un d'eux, qui avoit toujours l'esprit présent, de prendre la parole. Après avoir remercié M. Bonneau des témoignages de bienveillance dont il avoit bien voulu prévenir l'Académie, il lui fit sentir en peu de mots, mais avec beaucoup de force, les obligations qu'elle avoit à M. de Charmois, la qualité de chef qu'il tenoit chez elle de l'autorité du roi et en vertu des statuts, et celle de conseiller d'état dont il étoit honoré et qui lui donnoit un caractère suffisamment distingué pour remplir cette première place. Il y avoit cette finesse dans ce dernier trait, que M. Bonneau s'étoit donné beaucoup de mouvement depuis peu pour obtenir le brevet qui permettoit de prendre cette qualité. Le député termina son discours en assurant ce magistrat que l'Académie recevroit toujours avec une sensible satisfaction l'honneur qu'il voudroit lui faire d'assister à ses assemblées; mais il déclara sans détour qu'il falloit que ce fût, non en qualité de procureur du roi, mais comme

amateur des beaux arts, digne par lui-même de tous les égards et des respects de la compagnie, et des sentiments de laquelle il se montra si bien instruit sur ce point qu'il n'hésita pas de s'en porter pour garant.

Une réponse aussi précise et aussi ferme fit concevoir de reste à M. Bonneau combien sa tentative étoit vaine et hasardée à contre-temps. Délié comme il l'étoit, il se replia aussitôt et fit semblant de ne s'y arrêter aucunement. La conversation se reprit en termes de politesse et de bienséance. M. Bonneau en combla la mesure: il reconduisit les députés jusqu'à la porte extérieure de sa maison. Là il avoit apparemment résolu de se montrer à eux un peu plus à découvert. Il leur dit donc en cet endroit, et en les quittant, que, puisqu'il ne pouvoit obtenir l'honneur auquel il avoit cru pouvoir aspirer en l'Académie, il la prieroit de prendre en bonne part si, en conservant l'estime parfaite due au mérite de chacun de ses membres en particulier, et le désir sincère qu'il avoit de les servir, il se montroit quelquefois un peu contraire aux vues ou aux projets de la compagnie en général, lorsqu'il croiroit y être. obligé par l'intérêt de sa charge ou celui du public.

Cette espèce de menace alarma peu l'Académie. Elle ne songea même à se prémunir contre ses

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effets qu'en poursuivant de pied ferme son premier dessein et en faisant de nouveaux efforts pour avancer et perfectionner le grand ouvrage de la culture de cette pépinière de talents distingués dont elle avoit entrepris d'illustrer son siècle et la nation. Son zèle et son courage sembloient s'accroître également et par les succès et par les difficultés. L'on en peut juger par plusieurs excellentes dis-. positions qu'elle fit en ce temps, et dont il paroît nécessaire d'indiquer ici les divers objets.

L'art de grouper une ou plusieurs figures est fondé en principes certains, applicables à tout autre genre de composition dont ils font la base, comme ils en déterminent l'économie et l'agencement. Rien ne parut plus utile à l'Académie que de familiariser de bonne heure la jeunesse avec ces principes, et rien ne lui parut plus propre à produire cet effet que cette pratique habituelle que donnent la bonne école et les études académiques. Pour y parvenir, il fut réglé que l'Académie entretiendroit à l'avenir deux modèles, et que ces deux modèles y seroient posés, tantôt séparément et tour à tour, et tantôt ensemble ou conjointement, selon qu'il seroit jugé le plus convenable par l'ancien qui se trouveroit en mois pour professer.

Cet arrangement en occasionna un autre. L'Académie commit la garde de sa porte à ces deux modèles alternativement, chacun pendant la se

maine qu'il seroit de repos. Cette fonction avoit jusque là fait partie de celle des deux syndics de la compagnie. Elle crut avoir lieu d'être mécontente de la conduite de ceux à qui l'on a vu qu'elle avoit confié ces emplois. Ils s'y étoient comportés d'une manière tout à fait contraire à l'esprit de leur institution, affectant d'en dédaigner les fonctions nécessaires et indispensables, et s'en arrogeant d'autres qui ne pouvoient leur appartenir. L'un d'eux surtout agissoit avec une hauteur et une déraison intolérables, sans cependant qu'il eût d'autre mérite auprès de l'Académie que celui d'avoir été extrêmement en butte aux vexations des jurés. Elle prit donc le parti d'abolir le syndicat et de renvoyer ce sujet altier et intraitable. Pour l'autre, plus modéré et moins inflexible, elle lui pardonna le passé, et permit qu'il demeurât sous sa protection, et il en jouit tant qu'il vécut.

L'anatomie, la géométrie, la perspective, ont des droits trop marqués sur la peinture et sur la sculpture pour que l'étude en échappât à la sagacité de ces grands hommes, si heureusement occupés à donner une consistance solide à celle de ces deux arts. Ces habiles maîtres étoient bien éloignés de se persuader qu'il fût possible d'atteindre l'excellence de ces arts avec le secours d'une connaissance superficielle et légère de ces

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