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que ce manége lui avoit fait plus de patrons et plus de prôneurs d'importance que tout ce qu'il pouvoit avoir de mérite dans l'exercice de son art. Ce n'est pas qu'il n'en eût, et même en un assez haut degré, mais il en présumoit trop pour vouloir se contenter, à moins que d'une supériorité absolument exclusive et reconnue telle. Cette vanité en lui fut d'autant plus choquante qu'elle étoit injuste, mais nous le rendit, à notre tour, à son égard, en le rabaissant beaucoup au dessous de ce que la vraie connaissance et la saine raison pouvoient nous le permettre. Dans une âme constituée comme la sienne, ce procédé ne pouvoit manquer de produire une forte irritation, que parmi nous on étoit plus soigneux d'enflammer encore que d'adoucir. Il en prit droit pour nous haïr publiquement, et ne connut plus d'autre passion que celle de se venger de nous.

La circonstance où nous nous trouvions lui en offrit une occasion trop favorable pour qu'il voulût la négliger. Persuadé que ce seroit mettre le comble à notre déplaisir, il conçut le dessein d'élever sur les débris de notre école académique une semblable école chez les maîtres, et il ne douta pas un moment que son nom seul suffiroit pour donner à cet établissement un éclat et un succès capables d'opérer la destruction totale du nôtre. Quoiqu'il ne fût pas besoin auprès de la

maîtrise de parer cette proposition qui pouvoit avoir pour objet de nous nuire, celle-ci fut ajustée cependant par cet esprit avantageux de tout ce qui lui parut propre à la rendre et plus brillante et plus pompeuse. Dépouiller l'Académie de sa gloire et en revêtir la communauté, c'étoit la moindre de ses promesses. Les jurés et leurs satellites en furent charmés et adoptèrent le projet avec transport; ils se pourvurent de deux modèles et des autres choses nécessaires. Peu de jours après ils firent avec grand apparat l'ouverture de leur école, qu'ils qualifièrent d'Académie de SaintLuc. Pour signaler leur reconnaissance envers le grand homme qui avoit bien voulu tant mériter d'eux en cette occasion, ils le proclamèrent prince de cette académie. Comme tel il présida à cette cérémonie, et y soutint son nouveau rang avec un air de dignité qui parut fort ridicule à ce qu'il avoit là de l'évaluer sa y gens assez sensés pour juste valeur. Il est fâcheux pour la mémoire de M. Mignard que son nom soit conservé avec celle de cet événement dans les registres de la communauté.

Vingt-quatre anciens furent établis en cette première séance pour régenter la nouvelle école, sous les ordres du prince. Il crut qu'un choix sı nombreux seroit plus imposant pour le public, et plus ravalant pour l'école royale. Rien ne fut ou

blié en même temps de ce qu'on imagina pouvoir servir encore à dégrader celle-ci, et à la ruiner sans retour. On avoit commencé d'en retirer, par un ordre exprès, tous les enfants et les apprentis des maîtres, sans exception. Cela étoit tout naturel, mais ne laissa pas cependant d'y causer un nouveau vide fort considérable. Ensuite l'on réduisit à la moitié la rétribution de dix sols qui s'y payoit par semaine, et l'on publia, avec beaucoup d'ostentation, que la nouvelle école, sans rien diminuer des exercices, fixeroit la sienne à cinq sols seulement. Cet appât produisit encore quelque effet, en nous enlevant plusieurs jeunes gens de qui les parents préféroient l'avantage de cette épargne à tout autre. A l'égard du surplus de nos étudiants, vrais sujets académiques, et qui comme tels s'étoient déclarés être invariablement attachés à notre école, l'on s'y. prit d'une autre façon pour nous les débaucher. On les fit rechercher par ceux de nos transfuges qui avoient toujours été leurs plus intimes amis; ceux-ci, séduits

par le charme de la nouveauté et par les caresses du prince, qu'il prodiguoit avec beaucoup d'art à ces sortes d'émissaires, ne cessoient d'agir pour grossir, à nos dépens, le nombre de ses sujets. Quelques uns se laissèrent aller aux belles promesses qu'on leur faisoit de sa part. Un prix d'honneur, dont il eut l'adresse de rehausser l'é

clat naissant de son école, sans qu'il lui en coûtât rien, en éblouit encore quelques autres, qui passèrent de son côté; nul effort du nôtre pour les retenir.

Ce prix, consistant en une épée à garde d'argent, après avoir été annoncé quelque temps d'avance, fut exposé avec beaucoup d'appareil dans l'une des salles de l'École de Saint-Luc. Ce fut M. Bonneau, procureur du roi au Châtelet, le même dont il a été fait mention ci-devant, qui avoit bien voulu en faire les frais. Peut-être étoitce pour faire sentir à l'Académie ce qu'elle avoit perdu de n'avoir su s'acquérir un protecteur aussi munificent; peut-être aussi n'étoit-ce que dans la vue toute simple d'encourager un établissement immédiatement soumis à sa juridiction. Quoi qu'il en soit, il ne réitéra plus jamais cette dépense, et n'y fut imité par personne, en sorte qu'elle ne produisit qu'un fruit absolument passager. L'on se flatta d'abord que le nouveau prince voudroit signaler son règne, ou du moins son avénement, par quelque largesse semblable; mais ce fut vainement. Parmi les belles qualités dont il a pu avoir été doué, la libéralité a toujours été celle qu'il a le moins cherché à produire au dehors.

Toutes ces diverses désertions qu'essuya notre école la réduisirent enfin à une espèce de dernier période de décadence, peu différent d'une chute to

tale. Il ne falloit pas moins qu'un homme du cou rage, de la générosité et de la réputation de M. Testelin l'aîné, pour entreprendre de la relever de cet abaissement, et pour en venir à bout. Outre qu'il avoit beaucoup d'esprit, c'étoit un des plus excellents dessinateurs de l'Académie, et il étoit avec cela fort aimé et fort considéré des étudiants. Par une circonstance tout à fait heureuse, la place d'ancien, qui vaquoit par la mort de M. Perrier, venoit de lui être conférée, et ce fut à lui d'entrer en exercice. Il commença par continuer à ses frais celui du modèle. Son assiduité, son affabilité, la solidité et la clarté de ses préceptes, rallièrent bientôt autour de lui tout ce qu'il y eut d'étudiants d'un certain mérite, capables de discerner cette culture si supérieure de leur art. A voir cette troupe d'élite, l'on eût dit que l'entreprise des maîtres n'eût eu pour objet que de purger l'école royale de tout ce qu'elle n'avoit que trop long-temps gardé de sujets médiocres et indignes de ses soins. Ceux des membres de l'Académie qui avoient la faiblesse de s'en éloigner, touchés d'un retour de succès si subit et si flatteur, frappés, d'un autre côté, d'indignation de la basse manœuvre du prince de la maîtrise et de ses adhérents, sortirent aussitôt de leur engourdissement, revinrent comme en foule, et reprirent leurs exercices avec plus de zèle et d'éclat que jamais. Par une suite immanquable,

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