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ce même esprit de pusillanimité, qui avoit si inconsidérément engagé l'Académie dans ces pourparlers de jonction, y reprit aussitôt le dessus. Les représentations, et nobles, et vives, et touchantes, de ces grands hommes qui avoient tant mérité de la Compagnie, et dont les sentiments auroient dû y être d'un si grand poids, n'y purent tenir contre l'idée mal conçue de sortir de procès et d'avoir la paix. Il passa donc, à la grande pluralité des voix, que l'on députeroit de nouveau pour entendre les nouvelles propositions de la communauté. Celle-ci s'y prit cette fois comme si elle eût voulu agir avec plus de netteté et de franchise. Après quelques conférences, l'on convint d'un certain nombre d'articles qui devoient servir comme de base à l'accord. A force de les peser, de les discuter, de les rectifier, ils eurent bientôt acquis la consistance et la forme de l'accord lui-même. Plus de soixante des principaux membres de la maîtrise y signèrent. L'Académie crut ne pouvoir pas douter que ce ne fût une affaire pleinement terminée.

La malice des jurés lui en préparoit encore bien d'autres. Malgré l'empressement avec lequel ils avoient affecté de rechercher le nouvel accord, et ce grand nombre de signatures qu'ils y avoient laissé s'accumuler, ils en surent si bien éluder la ratification et l'exécution, qu'au bout d'un certain

temps l'Académie, toute surprise, comprit qu'il n'y avoit rien de fait et que la négociation se trouvoit renvoyée au même terme que celui d'où l'on étoit parti. Il sembloit, à considérer cette conduite des deux compagnies, qu'elles eussent juré de se montrer inépuisables, l'une du côté de la patience, l'autre du côté d'une hardiesse sans exemple dans les manquements.

L'arbitrage de quelque personne considérable et impartiale vint alors saisir l'esprit de quelques uns des plus zélés d'entre nos pacificateurs. Cette voie leur parut d'une ressource décisive pour ajuster et terminer tous les embarras anciens et nouveaux. Ils n'eurent point de peine à faire goûter cette idée à ceux de l'Académie qui s'étoient déclarés pour la conciliation et avec lesquels ils y formoient le parti dominant. Les jurés, de leur côté, affectèrent de s'y ranger uniquement par déférence pour ceux des nôtres qui s'étoient mis à la tête de ce projet; mais, au fond, ce ne fut que dans la vue d'engager l'affaire plus sûrement. Ils voyoient du premier coup d'œil tout l'avantage qu'ils se pouvoient promettre de cette nouvelle forme de procéder. La précipitation avec laquelle on fut en avant de part et d'autre fut encore une adresse de la leur et ferma tout accès aux avis les plus réfléchis et les plus frappants de ce que nous avions de bons esprits parmi nous.

M. Hervé, conseiller au parlement, ayant fixé le vœu des deux parties contendantes, elles agirent auprès de lui avec une telle vivacité qu'il fut en quelque sorte forcé de céder sans délai à leur empressement. Elles soumirent tous leurs différents à l'arbitrage de ce magistrat, par acte passé devant Marion et son confrère, notaires au Châtelet de Paris, le 13 juillet 1651. Au moyen de ce compromis, le procès fut abandonné et comme annulé. Ce fut, du côté de l'Académie, avec sa bonne foi ordinaire. Du côté des jurés, le même esprit qui les avoit conduits jusque alors les gouverna toujours et ne fit en cette occasion que se retourner pour se mettre au ton du jour. Invariablement butés à se ressaisir de leur ancienne usurpation, ils ne connoissoient de moyens louables que ceux qui les en pouvoient approcher le plus sûrement.

M. Le Brun et le petit nombre d'académiciens qui pensoient comme lui ressentoient un véritable chagrin en voyant ce vif empressement avec lequel l'Académie couroit au devant de sa honte et de sa dégradation. L'honneur de cet établissement leur étoit cher. C'étoit celui de tous les beauxarts en général; c'étoit le leur en particulier. La conservation et pure et entière de ce même établissement ne les intéressoit pas moins. Ils le regardoient comme l'asile et la dernière ressource

de ces arts dont ils étoient passionnés. La distinction qui en résultoit pour ceux-ci avoit été rendue commune par ces grands hommes à tous ces sujets plus ordinaires qu'ils avoient bien voulu associer à leur mérite et à leur réputation. Par un juste retour, même par un motif plus immédiat, ils avoient compté trouver dans chacun d'eux un zélé défenseur de cet état de franchise et d'honneur où ils les avoient élevés. Pouvoient-ils n'être point touchés d'y rencontrer le moyen le plus puissant pour opérer sa subversion? Et n'étoit-ce pas pour eux une mortification bien sensible de voir, par une défection si générale, abandonner une institution également noble et fructifiante, pour rechercher une jonction aussi avilissante que contraire à tout bien? Et dans quelles circonstances? Lorsque tout sembloit annoncer la prochaine réduction de la jurande; qu'il ne pouvoit plus rester aucun doute chez les juges sur la perversité de ses maximes et de ses projets, et que des succès éclatants déposoient de l'autre côté en faveur de l'utilité de la séparation et garantissoient en quelque sorte celui du jugement qui y devoit mettre la dernière main.

Disons tout. Ceux qui tenoient le parti de la conciliation ne manquoient point de raisons pour en faire sentir l'avantage et la nécessité et pour s'autoriser à la poursuivre avec cette ferveur avec

laquelle on les voyoit s'y employer. 1o Ils redoutoient l'esprit du palais, la connaissance des lois n'étant pas toujours compagne de celle des arts. Ils savoient que plusieurs de leurs juges regardoient comme une innovation la juste distinction que les lettres du roi établissoient en faveur de ces mêmes arts. Cette possession de près de trois cents ans dont se targuoit la maîtrise formoit un moyen de droit contre lequel ils craignoient que les raisons les plus lumineuses et les plus frappantes n'allassent échouer. L'Académie pouvoit donc fort bien perdre son procès. Alors elle se trouvoit anéantie sans réserve et sans retour. La jonction la garantissoit de ce danger. En lui conservant cette flatteuse distinction tant alléguée, elle lui conservoit son honneur et sa gloire. Elle faisoit plus; elle lui offroit le moyen de s'en procurer une autre non moins satisfaisante, celle d'abolir toute division et tous débats. 2o Ils se complaisoient dans la pensée d'acquérir à l'Académie plusieurs sujets d'un vrai mérite, gens d'honneur et de talent qui, par un esprit de bonté et de stabilité, étoient restés dans la société des maîtres, et qui, remplis d'estime et de considération pour le corps académique, ne cherchoient qu'une occasion honnête pour pouvoir s'en approcher. Cette acquisition, d'ailleurs, étoit regardée comme une affaire de sentiment. Ces membres si recommandables de la

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