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De tout ce qu'il saisit chacun se fait des armes.
Tyrrhée, en ce moment, loin d'eux et sans alarmes,
A l'aide de longs coins enfoncés par son bras,
D'un chêne déchiré séparoit les éclats;

Il écoute, il approche, il apprend son outrage,
Et, la hache à la main, vole brûlant de rage.
Cependant la déesse, avide de malheurs,

Ne perd pas ce moment d'embraser tous les cœurs,
S'élance vers l'étable, et sa bouche infernale
Enfle d'horribles sons sa trompette fatale.
La forêt s'épouvante à ces sons mugissans,
Ils ébranlent au loin les bois retentissans;
Le Vélino frémit dans ses sources profondes;
Le Nar, au lit de soufre, a suspendu ses ondes;
Tout est dans l'épouvante, et de leurs bras tremblans
Les mères sur leur sein ont pressé leurs enfans.

Soudain du fond des bois, du sommet des collines, Volent à ce signal les peuplades latines;

Tous ont armé leurs bras endurcis aux travaux.
Le Troyen, à son tour, de ses remparts nouveaux
En flots impétueux vole au secours d'Ascagne;
Leurs bataillons serrés ont couvert la campagne.
Ce n'est plus une troupe, une attaque sans art,
Où l'on marche sans ordre, où l'on s'arme au hasard
De bois durcis au feu, et de tiges noueuses:

Partout le fer éclate en leurs mains valeureuses;

Partout les javelots, les lances et les traits
D'une horrible moisson hérissent les guérets;
Et l'airain, du soleil défiant la lumière,

Renvoie au loin l'éclat de sa pompe guerrière :
Tel, lorsqu'un premier vent ride et blanchit les flots,
L'Océan par degrés enfle en grondant ses eaux;
Il s'agite, il bondit dans ses prisons profondes,
Et jusqu'au ciel enfin lance en grondant ses ondes.
On se mêle aussitôt tombe le brave Almon,
Premier fils de Tyrrhée, espoir de sa maison;
Et, sortant à grands flots sous la flèche ennemie,
Son sang arrête l'air, la parole et la vie.
Sur ce corps expirant s'entassent mille corps.
Un mortel s'opposoit à ces premiers transports;
C'est le vieux Galésus, fameux par sa sagesse,
Et de qui la justice égaloit la richesse:

Cinq fois vingt socs lassoient ses robustes taureaux;
Dans ses prés mugissoient ou bêloient vingt troupeaux.
Vaine richesse, hélas! répandu par la guerre,

De cet homme de paix le sang rougit la terre.

Tandis que dans les champs règne un massacre égal, Celle qui du carnage a donné le signal,

Du sang qu'elle a versé savourant les prémices,
Se promet en secret de plus grands sacrifices;
Et, s'enorgueillissant de ses heureux essais,
Elle court à Junon raconter ses succès:

« Reine des dieux, dit-elle avec une voix fière,
>> Mes mains à la discorde ont ouvert la carrière;
» Le sang de l'Ausonie a souillé lès Troyens:
» De la paix maintenant renouez les liens!
>> Le fer les a tranchés. Si Junon le desire,
» Je ferai plus encor : bien loin de cet empire,
>> J'irai par de faux bruits, de sinistres rumeurs,
>> De la soif des combats embraser tous les cœurs;
>>> Cent cités marcheront de carnage affamées,
» Et la terre à ma voix vomira des armées. >>

« C'est assez, dit Junon; ces préludes heureux >>> Me sont un sûr garant du succès de mes vœux. » Un premier sang versé vient de rougir la terre; » Rien dans son cours sanglant n'arrêtera la guerre : » Qu'ainsi traitent ensemble, aux dépens de Turnus, » Et le roi des Latins et le fils de Vénus.

>> Pour ne pas irriter le souverain du monde,

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Toi, regagne à l'instant ta demeure profonde: » Sur le trône des cieux gardons de le braver. » Va, pars; tu commenças, c'est à moi d'achever. » Ainsi parle Junon. La terrible Immortelle, Secouant les serpens qui sifflent sous son aile, Pour gagner le Cocyte, abandonne les cieux. Au sein de l'Italie, et sous des monts affreux, S'étend un noir vallon, où des feuillages sombres Entretiennent l'horreur de leurs épaisses ombres;

Partout l'œil y rencontre un deuil majestueux;
Sous leur voûte funèbre un torrent tortueux
Roule, et, battant les rocs de ses eaux vagabondes,
Fatigue les échos du fracas de ses ondes.

Là, des vapeurs du Styx empoisonnant les airs,
S'ouvre un antre profond, soupirail des enfers,
Du séjour ténébreux épouvantable entrée.
Là, dirigeant son vol, la déesse abhorrée
Plonge et dérobe au jour son visage odieux,
Et soulage en partant et la terre et les cieux.
Junon n'en suit pas moins ses projets de vengeance.
D'agrestes combattans bientôt un peuple immense
Court à Laurente, étale aux yeux épouvantés
D'Almon, de Galésus les corps ensanglantés;
Galésus moissonné dans sa noble vieillesse,
Almon pleuré des siens dans sa tendre jeunesse.
Tous implorent les dieux, tous conjurent le roi.
Turnus soudain se montre, et redouble l'effroi :
« Connoissez les Troyens, dit-il, et leurs victimes;
» Ces cadavres sanglans déposent de leurs crimes:
» Et ce double attentat reste encore impuni!
» Le trône attend Énée, et Turnus est banni! »
Ces mots ont rallié tous ceux de qui les mères
Accompagnent la reine à ses sacrés mystères;
Tous importunent Mars de leurs cris furieux,
Tous veulent des combats réprouvés par les dieux.

Les dieux parlent en vain, et la rage l'emporte.
De Latinus en foule on assiège la porte;

Calme, il voit sans pâlir leurs efforts menaçans :
Tel un roc est battu par les flots impuissans;
En vain autour de lui les vents ligués rugissent,
En vain contre ses flancs mille vagues mugissent;
Lui, tandis qu'à ses pieds fléchissent les roseaux,
Tranquille, et défiant la colère des eaux,
Aux coups de la tempête il oppose sa masse.
Mais enfin, quand il voit leur sacrilège audace
L'emporter sur les dieux qu'il attestoit en vain,
Et la fière Junon triompher du Destin :

« Dieux, éloignez de nous l'orage qui s'apprête!
>> Dit-il en vain j'ai cru surmonter la tempête,
» Je suis vaincu. Mais vous, qui renversez l'État,
>> Combien vous paîrez cher votre horrible attentat!
» Et toi, Turnus, et toi, quels orages t'attendent !
>> Tu n'arriveras pas où tes fureurs prétendent;
>> Malheureux ! tu mourras proscrit, désespéré,
» Levant trop tard au ciel ton bras déshonoré.
>> Pour moi, je touche au port, j'ai fini ma carrière.
» Puisse une prompte mort, abrégeant ma misère,

>>

Épargner à mon cœur ces tableaux douloureux,

» Et que je meure au moins d'un trépas moins affreux ! » Il dit; dans son palais tristement se retire,

Et remet au Destin les rênes de l'empire.

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