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Adspicere, et qualis Rutulum confundat Erinnys.
Nam, si Virgilio puer, et tolerabile desit

Hospitium, caderent omnes a crinibus hydri;
Surda nihil gemeret grave buccina....

«La crainte de manquer d'un habit gêneroit la muse du poëte, lorsqu'il s'agit de voir, de peindre les dieux, leurs >> chars et leurs coursiers, ou bien Erinnys soufflant au sein » de Turnus le vertige et la terreur. Virgile, sans esclave et » mal logé, n'eût point entortillé de serpens les crins de sa »furie; ce monstre infernal n'auroit point fait gémir son fu›nèbre cornet.» ( Trad. de Dussaulx.)

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Les comparaisons qui se trouvent dans ce passage ont été le sujet de plus d'une critique. On a reproché à Virgile d'avoir comparé la reine Amate à un sabot, et Turnus à une chaudière bouillante. Nous n'osons affirmer que ces comparaisons, et surtout la première, soient parfaitement du ton de la poésie épique; mais les critiques conviendront que ce qu'il y a de commun ici dans le sujet est bien racheté par la richesse des images et des expressions. On pourroit ajouter que l'objet du poëte latin doit être de rabaisser le caractère d'Amate et de Turnus, et qu'il 'étoit convenable de chercher le sujet de sa comparaison dans les choses les plus vulgaires. Homère, pour donner une idée du trouble qui agite le chef des Grecs, compare son agitation à celle de l'air, lorsque l'embrasant de son tonnerre Jupiter annonce aux humains tous les ravages de la tempête ou tous les malheurs de la guerre. Cette comparaison est aussi belle que convenablement placée; mais Virgile auroit manqué de jugement s'il eût pris le sujet de la sienne dans des images aussi élevées. Il ne s'agit pas du roi des rois, du chef d'une ligue puissante, mais d'une

femme emportée par ses passions, d'un jeune prince aveuglé par sa furcur, et qui l'un et l'autre sont en proie aux puissances du Tartare.

Nous remarquerons, en finissant ces observations, que la fiction employée par Voltaire dans le cinquième chant de la Henriade ressemble beaucoup à ce passage du septième livre de l'Éneïde. D'un côté, c'est Junon qui s'indigne de l'audace des Troyens ; de l'autre, c'est la Discorde qui frémit de rage en voyant les succès des ennemis de la ligue: Junon invoque Alecton; et la Discorde invoque le Fanatisme, divinité infernale: Alecton prend les traits d'une prêtresse de Junon, et le Fanatisme ceux du duc de Guise. Ce dernier trait, il est vrai, ressemble moins à Virgile qu'au 2o. livre de la Thébaïde où l'ombre de Laïus apparoît à Tydée pendant son sommeil, sous les traits de Tyrésias; mais pour tout le reste la ressemblance est parfaite le moyen de Voltaire est le même que celui de Virgile; heureux si, en adoptant cette fiction du poëte latin, il eût imité son modèle dans ses développemens et dans ses détails!

Cervus erat formâ præstanti et cornibus ingens, etc.

Macrobe, dans son livre des Saturnales, se récrie beaucoup sur ce passage et sur ceux qui précèdent ; et sa critique, surtout pour ce qui regarde le cerf de Silvie, a frappé beaucoup de bons esprits. On a trouvé ridicule qu'un cerf tué par Ascagne fût la cause d'une guerre dont le résultat devoit être la fondation de Rome : plusieurs écrivains ont défendu Virgile; ils ont observé que la plupart des guerres les plus sanglantes avoient eu une cause plus légère, que quelques unes même n'en avoient point eu du tout, et que d'ailleurs le cerf tué

n'étoit point ici la cause mais l'occasion des combats. On pourroit ajouter qu'il n'est point étonnant que la guerre commençât par un pareil motif parmi des peuplades agrestes qui n'étoient point accoutumées à se battre pour des empires et qui devoient plus facilement embrasser la querelle d'un fermier puissant que la cause de rois qu'ils ne connoissoient point. Au reste, sans prétendre ni justifier ni condamner Virgile, nous nous contenterons de faire remarquer quelques unes des beautés de détail qui se trouvent dans ce morceau.

Mollibus intexens ornabat cornua sertis,
Pectebatque ferum, puroque in fonte lavabat.
Ille, manum patiens, mensæque assuetus herili,
Errabat silvis, rursusque ad limina nota

Ipse domum serâ quamvis se nocte ferebat.

Ce sujet prêtoit beaucoup aux images pittoresques et riantes; Virgile n'a rien oublié ; c'est ici qu'il a fait preuve d'un goût exquis, en disant tout ce qu'il falloit dire, et en ne disant rien de trop. Ovide est loin de montrer la mème résérve en décrivant les caresses et les ornemens que Cyparisse prodigue au cerf qui suit partout ses pas. On peut comparer son tableau à celui de Virgile:

Cornua fulgebant auro; demissaque in armos
Pendebant tereti gemmata monilia collo.

Bulla super frontem parvis argentea loris
Vincta movebatur; parilique ex arte nitebant
Auribus e geminis circum cava tempora baccæ.

Le dernier vers présente une image ridicule, en donnant à un cerf des pendans d'oreilles. Le poëte en a deja trop dit:

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mais il ne s'en tient pas là; il ajoute, en s'adressant à Cypa

risse:

Tu modò texebas varios per cornua flores;

Nunc eques in tergo residens, huc latus et illuc,
Mollia purpureis frenabas ora capistris.

Quelque agréables que soient ces détails, ils sont trop Tultipliés pour produire un heureux effet ; on peut dire ici d'Ovide,

Qu'il a peint la richesse et non pas la beauté.

C'est avoir beaucoup d'esprit, dit un écrivain moderne, que d'en avoir trop; mais, à mon avis, c'est n'en pas avoir assez. Le reste de ce morceau, dans Virgile, est écrit avec le charme et le naturel qui le caractérisent. Les malheurs du vieux Tyrrhée arrachent des larmes; la consternation qui se répand dans les campagnes est partagée par tous les lecteurs; la Discorde qui entonne la trompette guerrière sur le toit modeste du chef des pasteurs présente un tableau à la fois pittoresque et effrayant. Qui n'est pas touché surtout du sentiment qui règne dans ce vers,

Et trepida matres pressere ad pectora natos?

Les circonstances de cette scène pathétique sont empruntées d'Apollonius de Rhodes: « Le dragon, dont les yeux per»çans n'étoient jama's fermés par le sommeil, les vit s'ap

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procher, et, alongeant une tête effroyable, remplit l'air » d'horribles sifflemens. La forêt et les rivages du fleuve en » retentirent, et ils furent entendus de ceux qui habitoient

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» les extrémités de la Colchide; à ce bruit affreux, les mères

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épouvantées s'éveillèrent et pressèrent contre leur sein leurs » nourrissons tremblans. » Euripide a exprimé cette dernièreidée dans sa Troade : « Les enfans cachèrent leurs mains » tremblantes sous les robes de leurs mères. >>

Pandite nune Helicona, Dex, cantusque movete;
Qui bello exciti reges; quæ quemque secutæ
Complêrint campos acies...

La gradation du ton et des images est très-bien soutenue: Virgile commence par une scène pastorale; bientôt la consternation et le tumulte succèdent au tableau des travaux champêtres; les instrumens du labourage se changent au gré d'Alecton en armes meurtrières; déjà la terrible scène des combats va s'ouvrir, et la querelle des pasteurs devient celle des rois. L'invocation aux muses prépare très-bien l'esprit des lecteurs aux scènes sanglantes qui doivent se passer.

Macrobe et quelques autres critiques ont reproché à Virgile de n'avoir pas mis assez de méthode dans son dénombrement; les mêmes critiques louent beaucoup Homère de l'ordre qu'il a mis dans les siens. Les éloges qu'ils donnent au poëte grec sont de toute justice; mais la critique qu'ils font du poëte latin nous paroît mal fondée. Au temps d'Homère, les poëtes étoient en quelque sorte des historiens; le monde étoit peu connu; et la méthode géographique, l'esprit de classification, étoient nécessaires dans un poëme. Il n'en étoit pas de même au temps de Virgile, où les conquêtes des Romains avoient mis les lecteurs les moins éclairés à portée de connoître les contrées les plus éloignées; on ne doit pas oublier que

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