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Prétend que les destins l'appellent à l'empire;
Déjà de toutes parts on s'assemble, on conspire;
Déjà vingt nations s'intéressent pour lui;
Fier de sa renommée, et sûr de leur appui,
On prévoit ce qu'Énée un jour peut entreprendre :
Diomède le sait, c'est à lui de l'apprendre
Aux rois de l'Ausonie, au chef des Ardéens:
Sans doute c'est aux Grecs à juger les Troyens.
Cependant, agité par des projets contraires,
Énée en entretient ses pensers solitaires,

Et, partageant entr'eux ses esprits inquiets,
Roule, prend, abandonne, et reprend ses projets :
Tel dans l'airain brillant où flotte une eau tremblante,
Le soleil variant sa lumière inconstante,
Croise son jeu mobile et son rapide essor,
Va, vient, monte, descend, et se relève encor,
Et des murs aux lambris rapidement promène
Des reflets vagabonds la lueur incertaine.

La nuit couvroit la terre, et le dieu du repos
Sur tout ce qui respire épanchoit ses pavots.;
De ses périls futurs se retraçant l'image,
Le héros méditoit, couché sur le rivage;
Mais enfin le sommeil assoupit ses chagrins.
Tout à coup, à travers les peupliers voisins,
Le Tibre s'offre à lui durant la nuit obscure :
Des tresses de roseaux ceignent sa chevelure,

Et du lin le plus fin le léger vêtement

De ses plis azurés l'entoure mollement :

<< Fils des dieux, lui dit-il, qui sauvas de la flamme,
Qui portas sur ces bords l'éternelle Pergame,
» Toi qu'attendoient Laurente et l'empire latin,
» La guerre et ses dangers te menacent en vain :
>> Rassure-toi; du sort la tempête orageuse
» Ne fatiguera plus ton ame courageuse.

>> Ne crains pas qu'un vain songe abuse ici de toi;
» De mes prédictions garantissant la foi,

>> Sous les chênes sacrés de ma rive fidèle,

>> Une laie aux poils blancs, trente enfans blancs comme elle, » Vont s'offrir à tes yeux, et vont donner leur nom » A cette Albe héritière et fille d'Ilion:

» Là t'attend un asile et la fin de tes peines.

» Ces promesses, crois-moi, ne sont point incertaines; » Et trente ans révolus ne s'écouleront pas,

>> Qu'lule ne commande à ces nouveaux états.
» Mais écoute, et connois les secours qui t'attendent,
» Et quels soins importaus tes intérêts commandent:
» Un peuple, qui d'Évandre a suivi les drapeaux,
» A sur les monts latins fondé ses murs nouveaux;
» Par les Arcadiens leur ville est habitée;
» Leur ancêtre Pallas du nom de Pallantée
» Fit appeler ces murs, et d'éternels combats
>> Contre les fiers Latins défendent leurs états:

» Pour l'intérêt commun qu'un traité vous unisse;
» Moi-même, vous guidant sur mon onde propice,
>> J'aiderai vos vaisseaux à remonter son cours.
>> Lève-toi donc, va, pars, implore leurs secours;
» Et demain, quand la nuit, en répliant ses voiles,
» Donnera du départ le signal aux étoiles,

>> Prie, appaise Junon dont la longue rigueur
» Par de si longs revers exerça ton grand cœur.
>> Un jour, vainqueur du sort, ta nouvelle puissance
» Me paîra le tribut de sa reconnoissance.

>> Tourne vers moi les

yeux,

vois ce dieu protecteur

>> Qui baigne ces beaux champs de son flot bienfaiteur,

» Le Tibre, dont le ciel favorise la course.

» Un superbe palais aux lieux où naît ma source
>> Cache aux profanes yeux mon fleuve encor ruisseau,
>> Et d'illustres cités entourent mon berceau. >>

Il dit, et se replonge en ses grottes profondes.
Le héros se réveille au doux bruit de ses ondes,
Et l'ombre loin de lui fuit avec le sommeil.
Il se lève, et, tourné vers l'orient vermeil,
Près d'invoquer les dieux de l'antique Laurente,
Il s'approche, et courbé sur l'onde transparente
Pour puiser l'eau sacrée il a courbé ses mains ;
Aussitôt il s'écrie : « O nymphes des Latins,

>>

Nymphes, mères des lacs, des fleuves, des fontaines! » Et toi, Tibre sacré, qui fécondes ces plaines,

» Auguste souverain des fleuves de ces bords,

>> Quels que soient les saints lieux où naissent tes trésors, » Si tu finis mes maux, si tu sers mon courage,

» Dieu puissant, je te jure un éternel hommage! »
Il dit, et dans sa flotte il choisit deux vaisseaux:

Déjà la rame est prête à sillonner les eaux ;
Ils partent. Tout à coup, ô surprise! ô merveille!

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Une laie et ses fils, tous de couleur pareille,
S'offrent à ses regards sur la rive étendus:
De leur sang aussitôt les flots sont répandus:
« C'est à vous, ô Junon, que j'en offre l'hommage! »
Ainsi le dieu du Tibre accomplit son présage.
Le fleuve cependant, durant toute la nuit,
De son onde fougueuse a fait taire le bruit;

Ce n'est plus un torrent, c'est un marais tranquille,
C'est d'un lac endormi la surface immobile;

Et,

sans que les rameurs luttent contre les eaux,
La vague complaisante obéit aux vaisseaux :
Ils poursuivent leur cours, la nef glisse sur l'onde,
Le fleuve les reçoit dans sa forêt profonde.
Surpris de voir troubler leurs bords délicieux,
Le fleuve infréquenté, le bois silencieux
Admirent ces vaisseaux, cette troupe guerrière.
Les rameurs patiens, le jour, la nuit entière,
Du courant tortueux suivant les longs détours,
Fendent l'onde docile, ou combattent son cours:

Sur eux les bois en voûte inclinent leur feuillage,
Et des forêts dans l'onde ils sillonnent l'image.
Déjà l'astre du jour brilloit au haut des cieux :
On approche; et déjà se montrent à leurs yeux
Et la ville et ses tours, et ce palais de chaume,
La capitale lors de cet humble royaume,

Mais où doit Rome un jour, mettant le monde aux fers
De sa toute-puissance étonner l'univers.

Ils voguent, et déjà s'approchent de la ville.

Ce jour, sous leurs remparts, au fond d'un bois tranquille,
Le roi, son fils Pallas, les premiers de l'état,
Ce peuple encore agreste, et son petit sénat,
Au fils d'Amphitryon, noble vengeur des crimes,
Offroient un encens pur et le sang des victimes.
Des vaisseaux tout à coup les mâts frappent leurs yeux:
A travers la forêt, d'un cours silencieux

Ils approchent. Soudain dans le sacré boccage;
Tout fuit: Pallas lui seul, conservant son courage,
Fait poursuivre la fête et le sacré festin;

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Il court au-devant d'eux les armes à la main;
Et, d'un tertre élevé qui commande à la plaine:
Étrangers, leur dit-il, quel sujet vous amène?
Quels sont votre pays, votre nom, vos projets?
>> Parlez: apportez-vous ou la guerre ou la paix? >>
Alors, l'olive en main, et monté sur sa poupe,

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Le héros en ces mots parle au nom de sa troupe:

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